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Un combat laïque

Lilas Rigaux · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 6 janvier 2025

Ce mot qui était un phare pour tous les métèques. Ce mot qui se retourne en une insulte dans la bouche des ennemis de la liberté et de la France. Sans ce mot, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Sans ce mot, mes parents n’auraient pas fait le choix de la France. »

Laïcité, j’écris ton nom est l’ouvrage d’Abnousse Shalmani, présidente du jury du Prix de la Laïcité 2023 en France. Ce livre reprend certains passages de son discours lors de la remise dudit prix, partage sa vision de la laïcité, et s’interroge sur sa place dans le débat politique contemporain.

Française née à Téhéran, Abnousse Shalmani a fui l’obscurantisme islamiste pour trouver refuge en France et embrasser la laïcité française, garante de toutes les libertés. Forte de cette expérience personnelle, elle livre son analyse en questionnant certaines dérives actuelles dans un langage clair et passionné. Illustrant ses propos par des références historiques et philosophiques, des anecdotes et des exemples tirés de l’actualité (comme l’affaire Charlie Hebdo ou le débat sur le port du voile dans les écoles), l’auteure dénonce les concessions faites à des revendications communautaires qu’elle considère comme une menace pour notre démocratie et les principes universalistes.

Selon elle, la laïcité n’est plus ce qu’elle était : autrefois perçue comme une victoire à défendre avec fierté, elle est aujourd’hui trop souvent considérée comme agressive ou discriminante. Ses défenseurs doivent désormais répondre à des accusations de racisme, de colonialisme ou d’islamophobie. Regrets et colère se mêlent chez l’autrice face à ce qu’elle considère comme un abandon, par certains, des principes de la laïcité. Les coupables : les islamistes, ennemis de la liberté, et certaines personnalités publiques, principalement issues de la gauche, qui, par peur, par culpabilité mal placée ou au nom d’une tolérance excessive, ne défendent plus les valeurs laïques, notamment en minimisant des propos antisémites sous couvert qu’ils proviennent de la religion dite « des opprimés ».

Ce livre a le mérite de poser des questions dérangeantes et nécessaires sur l’extrémisme religieux. Abnousse Shalmani rappelle avec justesse que la peur de discriminer ne doit pas conduire à une forme de « complaisance » envers des pratiques contraires aux droits fondamentaux, comme l’égalité entre les genres ou la liberté d’expression. Nous noterons toutefois qu’en mettant l’accent presque exclusivement sur l’islamisme, l’auteure semble réduire la laïcité à ce seul combat. Or, la laïcité est un cadre juridique et philosophique universel, et les dangers qui la menacent proviennent de toutes les formes d’extrémisme religieux, chacune étant tout aussi dangereuse. La dédicace en première page du livre aux victimes des pogroms du 7 octobre en Israël, bien qu’évidemment nécessaire, peut donner l’impression que l’auteure limite son analyse à une opposition entre islamistes et valeurs laïques, sans intégrer d’autres enjeux.

Avec une plume plutôt acerbe, qui pourra rebuter ou séduire le lecteur, le discours de l’auteure peut paraître inflexible, notamment en raison de la dureté et du caractère clivant de ses propos. Cette posture contraste avec celles et ceux qui défendent une approche plus « inclusive » de la laïcité, envisagée comme une construction collective nécessitant dialogue et adaptation, laquelle ne signifie pas pour autant d’une forme de complaisance envers les extrémismes religieux. En adoptant une telle rigidité, l’auteure semble parfois s’éloigner de l’esprit universaliste qu’elle revendique.

Au fil de l’ouvrage, Abnousse Shalmani met en lumière les tensions qui secouent les valeurs d’universalisme, d’humanisme et de laïcité. On regrette cependant l’absence d’une réflexion approfondie sur les moyens de renforcer le vivre ensemble dans le respect des différences, sans compromettre les droits humains et les libertés fondamentales dans un contexte marqué par l’extrémisme.

Laïcité, j’écris ton nom est un ouvrage engagé qui interpelle sur les défis contemporains posés à la laïcité. Si Abnousse Shalmani a le mérite de rappeler les dangers des extrémismes religieux et de poser des questions essentielles, son discours aurait gagné en profondeur avec une approche plus contextuelle. La laïcité, pilier essentiel de la démocratie, ne doit pas se réduire à une opposition frontale, mais être perçue comme un cadre juridique universel capable de répondre aux défis du XXIᵉ siècle. En somme, un ouvrage qui bouscule, mais qui aurait gagné à aller plus loin dans la réflexion.

Abnousse Shalmani, Laïcité, j’écris ton nom, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2024, 80 pages.

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