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L’IA, nouvelle déesse
de la Silicon Valley

Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef

Mise en ligne le 27 mars 2025

Dans Les prophètes de l’IA, Thibault Prévost analyse l’impact de l’industrie numérique sur les rapports de pouvoir. Ce journaliste indépendant nous alerte sur la manière dont les grands entrepreneurs de la Silicon Valley envisagent notre futur, entre transhumanisme et productivisme accentué par les technologies digitales et l’intelligence artificielle. Dans ce monde où les algorithmes sont rois s’immiscent aussi des visions aux accents prophétiques qui ne laissent pas indifférents face au pouvoir de cette industrie et à la place d’Elon Musk dans le nouveau gouvernement américain.

Photo © Anggalih Prasetya/Shutterstock

Pourquoi ce livre au titre si interpellant ? De quels prophètes parle-t-on ?

Je me suis intéressé à la manière dont la Silicon Valley, derrière un prétexte technologique, s’impose de plus en plus comme un mouvement politique et une force radicale. Les prophètes de l’IA, ce sont plusieurs types de personnes. Les plus médiatisés sont les grands patrons et les entrepreneurs de la Silicon Valley comme Elon Musk, qui est un peu la tête de gondole de ce mouvement-là, ou Sam Altman, le P-DG d’OpenAI (entreprise détentrice de ChatGPT, NDLR). Ensuite, il y a les investisseurs de l’ombre, beaucoup moins connus, mais qui ont un pouvoir assez important au sein de la Silicon Valley et croissant à Washington tels que Marc Andreessen ou Peter Thiel. Leurs idéologies sont assez radicales et de plus en plus ouvertement proches du fascisme et de différents types de racismes. Enfin, on a une espèce de figure assez étonnante qui est celle des chercheurs repentis, comme Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio considérés comme les pères du machine learning (apprentissage machine) et qui ont fait de grandes tournées médiatiques pour expliquer que leur propre création les terrorisait. Le quatrième type de prophètes, qui ne sont liés ni à l’informatique ni géographiquement à la Silicon Valley (ils sont situés vers Oxford), ce sont des philosophes. Ces derniers vont servir d’idéologues et inventer des cadres conceptuels pseudoscientifiques sur-mesure pour justifier le travail de ces entreprises de la tech dans la poursuite d’un futur transhumaniste. Nicholas Strom est certainement la figure de proue de cette philosophie tech médiatique.

Thibault Prévost, Les prophètes de l’IA. Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse, Montréal, Lux, coll. « Futur proche », 2024, 216 pages.

Revenons à Sam Altman, le P-DG d’OpenAI, donc de ChatGPT. Il affirme croire fermement en l’imminence d’une super intelligence omnipotente. Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est l’un des concepts centraux, mais aussi des plus nébuleux, à savoir le concept d’AGI (Artificial General Intelligence), une intelligence artificielle dite générale qu’OpenAI se fixe comme but à atteindre, c’est-à-dire une machine capable d’imiter l’ensemble des capacités humaines. Sam Altman utilise cela comme un argument marketing, car la mission principale est évidemment de récolter des fonds, ce qui fonctionne très bien puisqu’il a reçu près d’une quinzaine de milliards de dollars de financement. Microsoft a notamment conclu un énorme contrat avec OpenAI, s’assurant un partenariat et un monopole sur la technique à développer. Pour l’instant, ce sont des fonds sous forme de crédits et de stockage. Microsoft permet d’utiliser ses serveurs et ses centres de données pour l’équivalent de dix milliards de dollars. Il y a encore quelques semaines, Sam Altman a annoncé qu’on était à 1 000 jours de cette intelligence artificielle générale, qui sera un prélude à ce qu’il appelle « la super intelligence artificielle », encore beaucoup plus hypothétique. C’est quelque chose qui est complètement inenvisageable, c’est carrément une forme de vie largement supérieure, soit ni plus ni moins que Dieu.

Outre la dimension financière, quel est le but poursuivi ?

Ce qui est fondamental à comprendre quand on lit un peu la production de cette socio-science, c’est qu’elle émerge d’une poignée d’idéologues transhumanistes. Toute la recherche produite derrière est en fait une manière de faire du lobbying transhumaniste déguisé, en vue de dépasser l’enveloppe corporelle humaine grâce à la science et à la technologie. Quand Nick Bostrom (directeur de l’Oxford’s Future of Humanity Institute jusqu’en 2024, NDLR) théorise sa vision, il s’agit d’atteindre la prochaine forme de l’être humain, de dépasser l’Homo sapiens notamment grâce à la numérisation du cerveau et à l’IA, une sorte d’union avec la machine. Mais en réalité, tout ce qu’il développe derrière cela, c’est une manière de s’approcher du divin en quittant le corps, perçu comme pourrissant. Tous ces entrepreneurs ont en commun la quête effrénée de l’immortalité.

Vous dites dans votre livre que Peter Thiel, le fondateur de PayPal, va jusqu’à s’injecter du sang de jeunes gens pour tenter de vivre jusqu’à 120 ans.

Je ne sais pas si c’est avéré, même s’il l’a dit en interview. Peter Thiel a grandi en lisant assidûment Le Seigneur des anneaux. Il s’est identifié aux elfes et à leur immortalité. Il considère que la mort ne doit pas être une fatalité. Tout comme Mark Zuckerberg, c’est quelqu’un qui est assez terrorisé par la mort et qui investit dans l’augmentation de la longévité humaine. Ces patrons ont en commun « l’idéologie californienne », avec la conviction d’appartenir à une autre espèce. Ce qui est aussi évident, c’est que ce transhumanisme est tout à fait inégalitaire : il n’a pas vocation à s’appliquer à l’entièreté de l’humanité, mais seulement à une petite caste issue de la Silicon Valley. Cette matrice transhumaniste, c’est une philosophie, une idéologie par les dominants pour les dominants. Ce cartel de l’IA détenu par sept entreprises considère qu’une élite a le droit de développer par tous les moyens possibles les conditions de sa transcendance pendant qu’elle soumet le reste de la population à une stricte fonction productive.

Les transhumanistes de la Silicon Valley, en quête d’immortalité, rejouent un vieux mythe : celui d’un Dieu technologique promettant le salut par l’algorithme.

© DC Studio/Shutterstock

C’est dans ce cadre-là que vous utilisez le mot « fasciste » ?

Oui, je ne suis pas un expert du sujet, et je me réfère comme beaucoup de gens aux quatorze signes du fascisme d’Umberto Eco. Ce qui est intéressant, c’est cette transcendance autologique, la volonté de réinventer l’être humain. C’est la promesse principale du transhumanisme de la Silicon Valley : dépasser, réinventer et reconfigurer l’être humain grâce à la rationalité psychoscientifique. Ce signe est considéré comme un élément fondamental du fascisme. Partout où j’entends des idéologues dire que l’être humain va se réinventer, va devenir comme ceci, comme cela, l’eugénisme n’est en fait jamais très loin. Nick Bostrom a d’ailleurs écrit dans un e-mail en 1998 qu’il pensait que les Noirs étaient moins intelligents que les Blancs. On trouve aussi des gens comme Marc Andreessen qui vont citer Filippo Marinetti et le futurisme italien, dont on connaît l’alliance avec le fascisme. Partout, on observe qu’il y a des liens avec des idéologues fascistes, néofascistes, avec des penseurs de l’eugénisme, avec cette vision d’une élite cognitive qui se définirait par son QI et qui de ce fait aurait la légitimité intrinsèque de domination sur la population.

Vous dites aussi que ces entrepreneurs de la Silicon Valley sont façonnés par un catéchisme techno-religieux, et qu’ils empruntent à l’eschatologie religieuse et au récit chrétien de la fin des temps.

Oui, complètement. En fait, la religion et la technique ont très souvent marché de pair. L’outil techno-scientifique a rapidement été perçu par les autorités religieuses comme un moyen de transcendance, de récupérer la pureté divine qui nous a été retirée. Aujourd’hui, avec le transhumanisme, nous sommes vraiment dans une relecture eschatologique qui est évidemment chrétienne, américaine, évangéliste, et même dans une forme de messianisme. Ce que disent les transhumanistes, c’est qu’une fois que l’on aura atteint ce qu’ils appellent la singularité technologique, le moment où toutes les techniques convergeront pour former une espèce de grand tout, on entrera dans une ère de 1 000 ans de prospérité. Celle-ci passera par la colonisation du cosmos et par la multiplication de l’humanité à 1 856 êtres humains, selon Nick Bostrom. Il s’agit de leur estimation, ces transhumanistes adorent jouer avec les chiffres. C’est aussi la subrogation de l’entièreté du cosmos en matière première à exploiter pour toujours plus de productivité.

Le développement de l’intelligence artificielle pourrait mener à une singularité technologique, au risque de nous voir éclipsés par des entités superintelligentes : faut-il voir dans cette théorie une menace existentielle ou une opportunité pour l’humanité ?

© Ole.CNX/Shutterstock

Comme le suggère le sous-titre de votre livre : pourquoi la Silicon Valley nous vend-elle cette apocalypse ?

C’est un discours qui a plusieurs fonctions. La Silicon Valley a toujours été une usine à futur, avec la création du premier ordinateur, de produits Apple comme l’iPhone. C’est un mode de vie, mais c’est aussi un projet politique qui a souvent été de pair avec une forme d’individualisme tout puissant. Ce qui est nouveau avec l’IA, c’est que pour la première fois, on nous vend une double apocalypse. D’un côté, certaines personnes nous disent que l’IA va nous transcender, et de l’autre, provenant parfois des mêmes personnes, on nous dit que si l’IA est mal utilisée, mal déployée, elle deviendra un risque existentiel pour l’humanité. La fonction principale de ce double discours (qui finalement est la même apocalypse) est d’entretenir chez le public, les investisseurs et les législateurs une notion de déterminisme technologique. C’est une manière de dire : quoi que vous décidiez, de laisser faire ou de réguler, ou de nous mettre des bâtons dans les roues, l’IA va advenir. Dans cette mythologie-là, l’IA représente l’image de l’entreprise elle-même.

Cela signifie : nous allons continuer à prendre ce pouvoir, à faire grossir le monopole et à gangréner la puissance publique. Ça, c’est la première fonction. La deuxième est de surestimer les capacités des systèmes en affirmant qu’ils sont tellement puissants qu’ils sortent du champ politique et relèvent des sphères du religieux et du magique. Leurs créateurs sont les seuls dépositaires de ce savoir-là. Et donc, par extension, que nous sommes les seuls dépositaires de ce savoir technoreligieux. Et la troisième, c’est de faire diversion. Le discours technoprophétique permet à ces entreprises d’attirer notre attention vers le futur, vers une machine qui, littéralement, n’existe pas pendant que les systèmes de machine learning et les systèmes algorithmiques sont, eux, bel et bien en train d’être implantés très profondément dans la société civile avec des conséquences dramatiques, notamment pour les corps dits subalternes et les personnes marginalisées. On regarde donc ailleurs, tout simplement.

Le projet politique qui se cache derrière ces discours est-il voué à voir le jour, ou est-ce surtout la base financière qui doit continuer de se perpétuer ?

Quand on gratte derrière l’énorme couche de vernis produite par ces entreprises, on constate une démarche assez banale dans l’histoire du capitalisme, à savoir la tentative de s’exonérer à la fois de la régulation et de la concurrence. Donc, obtenir une position à la fois monopolistique sur le marché qui nous concerne, mais aussi une position d’intouchabilité par rapport à l’État. C’est quelque chose qui a déjà eu lieu. Il y a des parallèles assez saisissants à observer avec la fin du xixe et le début du xxe siècle aux États-Unis, avec les Robber Barons. Des milliardaires comme ceux de la famille Vanderbilt ou Andrew Carnegie avaient, déjà à l’époque, fait main basse sur des infrastructures de transport et de télécoms. Ils utilisaient ce monopole pour essayer de faire passer leur vision régulatrice, de gangréner l’État à leur avantage. Ceci a été à l’origine du Sherman Antitrust Act qui a obligé la limitation de ces monopoles. C’était le premier grand texte de régulation anti-monopole aux États-Unis. Ce qui change aujourd’hui, c’est la mythologie créée derrière et les moyens dont disposent ces entreprises, qui sont en position de devenir le système nerveux central des sociétés numérisées. Cela leur donne un pouvoir effectivement assez inédit dans l’histoire humaine, puisque certaines entreprises ont aujourd’hui des infrastructures transnationales, et elles sont à la fois des acteurs militaires, politiques et économiques.

L’arrivée d’Elon Musk dans le gouvernement Trump va-t-elle changer la donne ? Quels sont les risques ?

Il y a un risque de techno-oligarchie que l’on observe déjà aujourd’hui, et une tentative, encore une fois, de gangrène de l’État américain par Elon Musk et ses crypto-oligarques, parce qu’il n’est pas tout seul dans cette démarche. Il y a aussi la PayPal mafia, les co-créateurs de PayPal. Ces entreprises – et c’est pourquoi ça convient si bien aux gouvernements néolibéraux – proposent de pouvoir fournir un système de prédiction des comportements, aussi bien individuels que collectifs. De ce fait, toute dépense sociale du gouvernement devient très fluide puisque l’algorithme est capable de prédire les comportements humains, aussi bien individuels que collectifs. Toute optimisation étant une réduction, le système algorithmique va toujours commettre des erreurs, particulièrement au niveau des marges parce qu’il ne peut faire que des approximations et des réductions statistiques des comportements individuels et collectifs. Dans les deux cas, on se rend compte que dès que vous sortez un minimum de la normecelle-ci étant évidemment hétéro, blanche, masculine, cis et bourgeoise –, le système a beaucoup plus de difficultés à vous calculer, à vous prédire, et donc, il commet des erreurs extrêmement importantes.

Journaliste indépendant spécialiste des nouvelles technologies Thibault Prévost décrypte dans Les prophètes de l’IA l’idéologie quasi-messianique qui entoure l’intelligence artificielle, entre promesses démiurgiques et dérives technosolutionnistes.

© Myriam Bernet

J’ai aussi lu dans votre livre que le grand-père d’Elon Musk était un personnage peu fréquentable, suprémaciste blanc antisémite. Son petit-fils s’inspire-t-il de son idéologie ?

C’est difficile à dire. L’éveil politique d’Elon Musk est compliqué à comprendre parce qu’il est assez tardif. Mais au-delà de ses positions antisémites racistes, Musk a proposé un concept appelé Technocraty Incorporated dont l’idée est de remplacer l’appareil d’État par un ensemble de personnes formées dans les sciences dures : des ingénieurs, des mathématiciens, des logisticiens, des physiciens, des gens qui ont la légitimité pour gouverner rationnellement le pays. Avec une espèce d’obsession cybernétique de pouvoir formaliser le corps social avec des règles mathématiques et d’obtenir une gouvernance par les algorithmes. C’est exactement ce qui se passe dans l’Amérique de Donald Trump. Musk est en train de réaliser le rêve d’autocratie technique et scientifique de son grand-père. Ce dernier prônait également l’abolition des noms et leur remplacement par des sortes de code-barres avec des séries de chiffres et de lettres. C’est intéressant de mettre cela en perspective puisque l’un des enfants de Musk s’appelle X.

Y a-t-il un réel risque de biais ?

En effet, cela aboutit à des biais, et surtout à des drames. Il y a déjà des exemples aux Pays-Bas avec l’algorithmie implantée dans le système d’allocations sociales qui a faussement identifié des familles comme étant très lourdement endettées sur vingt ans. C’est une erreur qui a mené à des suicides. Des familles ont été injustement sommées de rembourser des montants faramineux à l’État alors qu’elles n’avaient jamais contracté ces sommes-là. En fait, on emprunte le même chemin en France. On voit que l’algorithme est en train de suivre son cours et de s’installer partout, que ce soit au niveau du calcul des impôts, des allocations de chômage ou des allocations familiales. Ce qui est complètement dingue, c’est que l’offensive politique de ces monopoles de la Silicon Valley n’aurait jamais eu lieu sans l’avènement du néolibéralisme. C’est-à-dire que les gouvernements néolibéraux ouvrent grand la porte à cette gangrène et que même les tenants d’un État plus fort sont contre cette offensive-là.

La Silicon Valley est-elle en train de devenir une théocratie ? Et si tel est le cas, est-ce que c’est une théocratie comme on l’entend d’une façon générale ou est-ce plutôt une image que vous empruntez à la sphère religieuse ?

C’est une très bonne question. Je ne sais pas exactement quel courant va dominer. Par exemple, Elon Musk est évangéliste, et dans la Silicon Valley, ils sont tous imprégnés de cette culture-là. Il y a une assimilation à l’eschatologie chrétienne. Mais dans les prises de position, de parole, il n’est quasiment jamais question de vocabulaire évangéliste ni catholique. Donald Trump et Elon Musk l’ont fait un petit peu plus ces dernières semaines, car Trump devait aller chercher cet électorat et rappeler qu’il y a des racines. Mais pour moi, l’idéologie dominante de la Silicon Valley, c’est ce qui a été théorisé par Richard Barbrook et Andy Cameron dans The California Ideology, à savoir la conviction que les dominants de ce secteur constituent une élite aux caractéristiques cognitives plus importantes, notamment par leur QI (ils sont tous obsédés par ça). Cette conviction d’une supériorité intrinsèque serait motivée à la fois par leur argent, leur richesse monétaire, leur formation et leur savoir-faire. Quand vous faites se rencontrer ces deux pôles de pouvoir que sont dans nos sociétés modernes l’argent et l’ingénierie, vous obtenez des gens qui se prennent littéralement pour des surhommes.

Derrière l’image d’innovation, la Silicon Valley cultive depuis ses débuts un élitisme technologique teinté de darwinisme social, où la réussite individuelle prime sur toute idée d’égalité. Une idéologie bien ancrée, de son père fondateur William Shockley à Elon Musk.

© SnapASkyline/Shutterstock

Finalement, qui a intérêt à cultiver cette « IA panique » ?

Il y a d’un côté ceux qui cultivent la panique du côté universitaire, des chercheurs qui ont besoin de cela pour obtenir des financements (panic as a funding). Et de l’autre côté des personnes comme Sam Altman ou Elon Musk qui, eux, vont entretenir la panique pour maintenir la sidération (panic as a business). On revient à la stratégie du choc de Naomi Klein, avec l’idée que le capitalisme va aller gratter des privilèges, va assurer sa domination dans des situations de sidération collective du corps social. La Silicon Valley a très bien appliqué ce modèle et ce mode opératoire en créant une fascination induite par ChatGPT, en l’entretenant pendant une partie des années 2023-2024 pour cimenter son pouvoir. Ces entreprises possèdent un avantage à la fois politique et technique, et elles font tout pour le conserver.

Elles se sont rendu compte assez récemment qu’un des meilleurs moyens de le garder, c’est de faire de la capture réglementaire, de devenir leur propre régulateur. Donc elles font du lobbying pour éviter la régulation. Dans le cas où la pression publique serait trop forte, il y a une deuxième stratégie déjà mise en place qui consiste à devenir le régulateur. C’est ainsi qu’aux États-Unis, elles ont inventé un conseil pour l’éthique en intelligence artificielle qui est intégralement composé de membres de l’industrie. Donc voilà, la panique a différents buts : le financement, le déterminisme, mais aussi un objectif de capture régulateur de sidération du corps social et même, c’est plus embêtant, du corps médiatique. Ce n’est pas normal d’avoir un magazine comme Time qui publie en 2023 en une : « La fin de l’humanité ». Ce n’est pas normal de vendre l’apocalypse.

La responsabilité des journalistes est donc importante pour comprendre les enjeux en cours ?

Les journalistes doivent mettre à jour leurs métaphores. Par exemple, l’IA doit être perçue aujourd’hui comme une industrie lourde, pas comme une espèce de robot évanescent qui serait dans le cloud. Non, c’est la culmination de différentes industries d’extraction et du capitalisme de surveillance. Cela a des effets physiques réels, très matériels, et il faut absolument le rappeler. Un des effets majeurs de l’algorithme aujourd’hui, c’est l’automatisation des inégalités. Nous sommes face à une volonté d’optimisation et de réduction de nos capacités humaines à la simple force de production. Toutes les activités non productives sont considérées comme sans valeur.

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