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Les cultureux
Si tu ne peux pas…
la biblio vient à toi
Caroline Dunski · Journaliste
Mise en ligne le 23 juin 2022
Chaque ville, chaque commune ou presque a sa bibliothèque. Néanmoins, pour celles et ceux qui ne peuvent s’y rendre, des options itinérantes sont mises en place par les services centraux de chaque province wallonne, par des bibliothèques communales et autres acteurs locaux ou encore par des associations de terrain désireuses de rencontrer des publics éloignés de la lecture et de la culture.
Photo © Shutterstock
Chaque lundi après-midi, Marc-Antoine et Stijn conduisent le vélo-cargo Street & Read du siège de l’association DoucheFLUX vers la place Flagey. Ils y rejoignent la wasserette mobile, solidaire et gratuite de l’ASBL Bulle ainsi que des bénévoles venus de la Serre, une occupation temporaire de l’ASBL Communa dans la rue Gray toute proche, pour apporter de la nourriture aux personnes qui vivent dans la rue. Parfois, la camionnette de Rolling Douche est là aussi, mais pas ce lundi de début mai. Autour des tables de camping sur lesquelles sont disposés des brownies et autres préparations, du vélo-cargo déployé en étal de bibliothèque, de la camionnette contenant deux machines à laver et deux séchoirs électriques et de la petite table du coiffeur solidaire qui coupe gratuitement les cheveux des démunis, les gens bavardent joyeusement sous le soleil printanier… L’ensemble a des airs de marché ou de place de village.
Le bénévolat, booster de bien-être
D’après Marc-Antoine, la présence de ces associations qui rendent des services primordiaux aux personnes démunies facilite le contact. Mais un coup d’œil rapide dans le livre où chaque prêt est inscrit permet de comprendre que les emprunts ne sont pas l’essentiel du projet Street & Read. « Il y a des jours où l’on prête des livres à deux personnes. Quand il y en a six ou sept, c’est vraiment beaucoup. On vient de rafraîchir le stock. Aujourd’hui, un monsieur anglais qui se présente chaque semaine a emporté des mangas. »
En allant à la rencontre de celles et ceux qui vivent dans la rue avec la mini-bibliothèque mobile contenant 100 à 120 livres, bandes dessinées comprises, DoucheFLUX et La Maison du livre de Saint-Gilles poursuivent l’objectif de rendre la possibilité de lire accessible à toutes et à tous, mais également d’utiliser le livre comme « prétexte » pour sortir ce public de l’isolement social. « La plupart des gens viennent pour échanger avec moi, plus que pour emprunter des bouquins. J’aime faire ça autant pour moi que pour les autres, parce que cela me fait du bien. Je peux difficilement verbaliser ce qui arrive, mais en rentrant chez moi après ces deux ou trois heures passées ici, je me sens bien. »
Régulièrement, le bibliothécaire bénévole joue aux échecs avec un monsieur. Au début, ils empruntaient le plateau de Rolling Douche, mais comme ils ne sont pas là chaque semaine, Marc-Antoine apporte désormais le sien. Il y a aussi un quinquagénaire qui précise posséder chez lui dix-huit bibliothèques remplies de livres et n’avoir pas besoin de puiser dans les livres de Street & Read. « Je viens pour rencontrer Marc-Antoine. Je cherche toutes les occasions de me cultiver et j’ai avec lui, qui est étudiant en histoire, des conversations très intéressantes. »
La bibliothèque mobile s’installe tous les lundis à la place Flagey, à Ixelles. Lire est ainsi accessible à toutes et tous.
© Caroline Dunski
Des formules plus légères et innovantes
De son côté, il y a cinq ou six ans, Serve the City, une autre association bruxelloise qui réunit des centaines de bénévoles pour aider les sans-abri, les demandeurs d’asile et les réfugiés, les enfants dans le besoin… a conçu le projet Mobile Library avec une camionnette aménagée en bibliothèque que des bénévoles apportaient dans des centres et refuges bruxellois. « Mais le véhicule était trop grand et certaines personnes n’osaient pas la conduire », explique Nathan Torrini, directeur de l’association. « Cela peut sembler être un détail, mais cela s’est avéré essentiel de trouver des conducteurs pour concrétiser cette belle idée. En plus, avec le nombre de bouquins que transportait cette camionnette, elle était trop lourde pour pouvoir être conduite par quelqu’un n’ayant qu’un permis classique et elle ne passait pas le contrôle technique pour cette catégorie-là. Cette super initiative a perdu un peu de son élan après un an, et finalement, on s’est rabattu sur le concept même de bibliothèque mobile. Les bénévoles venaient dans notre espace de stockage et prenaient deux ou trois caisses de livres pour aller dans les rues. Mais avec la Covid, on n’était plus en mesure de faire un stand fixe. On devait toujours être en mouvement. On a alors commencé à apporter des livres à la Porte d’Ulysse, un lieu d’hébergement mis en place par la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, et au centre PSA, un centre d’orientation, d’accueil de jour et de distribution de repas géré par la Croix-Rouge, près de Tour & Taxis. On essaie de trouver des bouquins dans les langues maternelles des personnes qui fréquentent ces lieux. Ce qui est d’autant moins facile qu’on tente de faire en sorte que les livres proposés ne soient ni politiques ni religieux, sauf si c’est à la demande du lecteur. On aimerait étendre cela, le rendre plus présent dans différents endroits, et revenir à l’idée de base en retournant dans la rue en utilisant la camionnette ou d’autres initiatives créatives ouvertes à des concepts différents. »
Le bouquin, un moyen de connecter les gens
Selon le directeur de Serve the City, l’accès à la lecture et aux bouquins permet de connecter des gens qui sont dans des situations de plus grande vulnérabilité à autre chose. « Autour d’un livre, il y a toujours cette idée d’échange. En tant que bénévole, cela offre la possibilité de créer un rapport différent, de changer la dynamique d’interaction qui se joue quand, par exemple, on donne de la nourriture. On n’est pas simplement dans la relation d’aide. On sort de l’aspect transactionnel et le bouquin devient lien. » Malheureusement, faute de forces suffisantes, la Bibliothèque mobile organisée de façon très spontanée en fonction de la disponibilité des bénévoles est mise sur pause pour l’instant.
Comme le souligne Diane-Sophie Couteau, directrice du Service de la lecture publique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, « l’objectif des bibliothèques régies par le décret du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture est de créer du lien avec les usagers, qu’ils soient ou non inscrits dans une bibliothèque. La mission de celles-ci n’est plus seulement de gérer des collections, mais aussi d’aller à la rencontre des publics. Pour cela, elles sortent de leurs murs et proposent des services d’itinérance qui prennent différentes formes. À Mouscron, il y a le Biblioroule, une camionnette qui se rend dans les écoles et échange avec les personnes qui ne peuvent se déplacer. Dans le Brabant wallon, le projet de bibliothèque itinérante Place aux livres développe une façon innovante de voir les choses. »
La biblio-camionnette a commencé à sillonner les routes brabançonnes en janvier 2015 et dessert aujourd’hui une cinquantaine d’écoles maternelles et primaires. Elle effectue aussi des arrêts pour les usagers individuels et propose un service d’animations à la demande. Place aux livres collabore également avec divers acteurs locaux afin d’offrir un meilleur accès à la lecture. Enfin, le projet s’inscrit dans une dynamique d’éducation permanente et prend part à des rendez-vous culturels où l’objet livresque contribue à l’épanouissement critique, actif, responsable et solidaire du citoyen.
À Jodoigne, depuis 2012, en partenariat avec le CPAS, les bibliothèques communales de Jodoigne et Incourt effectuent du portage de livres à domicile. Un chauffeur du centre d’action sociale et une bibliothécaire se déplacent tous les quinze jours chez des personnes âgées, en situation de handicap ou isolées. « Avant la Covid, une douzaine de personnes bénéficiaient de ce service, mais aujourd’hui, elles sont trois ou quatre à Jodoigne et seulement deux à Incourt », confie Ingrid Chantraîne, directrice de la bibliothèque communale.
D’où que vienne l’initiative de rendre le livre accessible à toutes et à tous, il semble évident que chacun de ces projets va bien au-delà de cet objectif. Tout comme quand on parcourt les pages d’un bouquin, au-delà des lignes, notre imaginaire se nourrit des mots pour ouvrir le champ des possibles.
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