Là-bas
Roumanie
et fachosphère internationale :
un cas d’école
François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM
Mise en ligne le 15 octobre 2025
Rarement la Roumanie aura autant fait la une. Il faut dire que la saga électorale qui s’est achevée le 18 mai 2025 avec l’élection du candidat libéral pro-européen Nicuşor Dan a été sans précédent dans l’histoire récente de l’Europe. Rappelons que l’élection présidentielle devait avoir lieu en novembre 2024, mais a été annulée après le premier tour par la Cour constitutionnelle à cause des forts soupçons de fraudes et de manipulation au profit du candidat d’extrême droite Călin Georgescu, dont la candidature à l’élection en mai 2025 a été interdite.
Photo © Mircea Moira/Shutterstock
La Roumanie, pays à la localisation stratégique dans le Sud-Est de l’Europe, sur les rives de la mer Noire, frontalier de l’Ukraine, État clé du dispositif défensif de l’OTAN face à la Russie, a été victime d’une véritable opération de déstabilisation. Cette opération a finalement été un échec, mais les traces s’en feront longtemps sentir. En effet, l’Europe craignait l’élection du très nationaliste George Simion, donné favori avec ses 41 % au premier tour de la répétition de l’élection, le 4 mai 2025. La victoire de Nicușor Dan a évité le pire, mais avec 46 % des voix, Simion réalise un score sans précédent.
« Un parti récent, mais une cause ancienne »
L’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), fondée en 2019, aura connu une ascension extrêmement rapide sous la direction de son chef, George Simion. L’AUR se considère comme le lointain héritier de la Garde de fer (ou mouvement légionnaire), parti fasciste qui a collaboré avec le IIIe Reich. Si cette filiation n’est pas revendiquée explicitement, elle est bien réelle. Le nom du parti sonne comme un programme : réunir les Roumains ethniques résidant hors du pays. Simion nie la légitimité de la République de Moldavie (État en majorité roumanophone), dont il veut le rattachement à la Roumanie, et exige la Bucovine du Nord (une partie de la région de Tchernivtsi, en Ukraine, où vit une minorité roumaine), raison expliquant que Simion est interdit de séjour dans ces deux pays.
L’AUR souhaite « rendre à la Roumanie sa grandeur », pourrait-on dire pour paraphraser le « MAGA » de Donald Trump, que Simion affirme prendre comme exemple : « Nous sommes un parti trumpiste. » Ils revendiquent de se baser sur quatre « piliers » : « La foi, la nation, la famille et la liberté. » Ce parti promeut une idéologie ultranationaliste, dans laquelle la religion orthodoxe joue un rôle de ciment identitaire. Appartenance à la nation roumaine et orthodoxie seraient indissociables. Le discours réactionnaire de l’extrême droite, violemment homophobe et hostile à l’avortement, lui vaut le soutien de la part d’éléments les plus conservateurs de l’Église orthodoxe roumaine, qui a toujours une forte influence sociale. Simion tient un discours antivax, anti-européen, complotiste et très conservateur, mais a aussi habilement utilisé les possibilités offertes par les réseaux sociaux pour contourner les grands médias.
George Simion (à gauche), président de l’Alliance pour l’unification des Roumains (AUR), incarne une vision politique où religion orthodoxe et État sont indissociables, reflet de l’idéologie ultranationaliste qu’il porte.
© LCV/Shutterstock
L’extrême droite a su exploiter l’incapacité des deux grands partis traditionnels à prendre en compte les difficultés de toute une partie de la population qui s’est sentie marginalisée. En effet, si l’adhésion à l’UE a été largement favorable à la Roumanie, et a augmenté le niveau de vie moyen de la population, ces bénéfices ont été inégalement répartis, notamment entre les villes d’un côté et les régions rurales du Sud et de l’Est de l’autre, amplement ignorées par les grands partis. En outre, l’extrême droite roumaine profite du manque de confiance dans la classe politique traditionnelle, extrêmement bas en Roumanie, où le système politique est sclérosé et marqué par un niveau important de corruption et de népotisme.
Georgescu, de gré ou de force
Le succès de Simion a été préparé par la campagne éclair de Călin Georgescu, homme politique d’extrême droite, mais sans base partisane, qualifié au second tour de l’élection en novembre 2024 avec 23 % des voix. Sa campagne, pour laquelle il n’avait déclaré aucun financement, a bénéficié d’une opération en ligne orchestrée par des personnes liées aux services russes. Des messages faisant sa promotion ont été créés et massivement partagés sur TikTok, réseau très populaire en Roumanie, par des milliers de faux comptes et de bots. Le fort soupçon d’ingérence russe, à travers la manipulation des réseaux sociaux, a mené à l’invalidation du premier tour du 24 novembre 2024, et à l’annulation du second tour.
Georgescu est un personnage fantasque, un mystique qui propage des théories conspirationnistes délirantes, adepte d’une idéologie ultranationaliste et pro-Poutine… et aux accointances plus que suspectes. Ainsi, son adjoint et garde du corps, Horațiu Potra, est un ancien mercenaire lié au groupe Wagner, qui s’est enrichi grâce au trafic d’armes et de diamants. Le lendemain de l’annulation du premier tour, dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, Potra et une vingtaine de ses hommes ont été arrêtés alors qu’ils se dirigeaient vers Bucarest, dans des voitures remplies d’armes. Ils prévoyaient de provoquer une insurrection ultranationaliste contre la décision de la Cour suprême, sur le modèle de l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021 aux États-Unis.
L’enquête a mené à des perquisitions, au cours desquelles ont été trouvés des millions d’euros en espèces, des dizaines d’armes à feu… Călin Georgescu « semble être à la tête d’un réseau décidé à démanteler l’ordre constitutionnel roumain en s’appuyant sur une organisation parallèle armée illégalement, disséminant la haine fasciste, raciste, xénophobe et antisémite grâce à des influenceurs et un accès privilégié à Facebook et TikTok »1.
Bucarest, 1er mars 2025. L’ultranationaliste d’extrême droite Călin Georgescu salue les participants au rassemblement de l’Alliance pour l’Union des Roumains (AUR) contre le gouvernement dirigé par Marcel Ciolacu.
© LCV/Shutterstock
Avec la violence verbale inouïe typique du fascisme, Simion a déclaré vouloir « écorcher vifs sur la place publique » les responsables du « coup d’État » dont aurait été victime son ami Georgescu. De manière encore plus significative, l’annulation du premier tour a été dénoncée par J. D. Vance, le vice-président des États-Unis, dans son fameux discours de Munich, comme une violation de la démocratie. Vance s’est comporté en allié objectif de la Russie, dans ses efforts de déstabiliser la fragile démocratie roumaine et d’y installer un dirigeant nationaliste au pouvoir. Par la suite, Simion a également bénéficié du soutien des États-Unis. La situation est grave : la Roumanie et, au-delà, toute l’Europe sont conjointement soumises à des tentatives de déstabilisation de la part de la Russie (par le biais de la manipulation des réseaux sociaux, etc.) et à l’ingérence des États-Unis, qui n’hésitent pas à prendre officiellement parti pour des candidats d’extrême droite. En effet, ce pays a « besoin d’alliés civilisationnels en Europe » pour renouveler le partenariat euro-américain, qui doit être fondé sur « l’héritage occidental partagé plutôt que le conformisme globaliste (sic !) »2, dans les termes d’un document publié par le département d’État des États-Unis.
L’internationale des nationalistes
Ces événements ont une portée qui dépasse les frontières roumaines. Ils sont un exemple significatif de l’action de la nouvelle internationale d’extrême droite, qui n’hésite plus à intervenir dans le fonctionnement des démocraties européennes. La Russie de Vladimir Poutine en est l’un des pôles. Elle tente d’installer au pouvoir des partis qui lui garantiront une politique plus favorable à ses intérêts, notamment l’arrêt de l’aide militaire à l’Ukraine. Nouveauté depuis l’élection de Donald Trump, l’intervention russe a bénéficié du soutien des États-Unis, dont le vice-président a vertement critiqué les actions que la Roumanie et l’UE ont menées en défense de l’intégrité du processus électoral.
Les États-Unis se sont également directement ingérés dans l’élection présidentielle polonaise, remportée le 1er juin par le nationaliste réactionnaire Karol Nawrocki. Ce dernier avait été reçu par Trump en personne un mois avant l’élection, et sa candidature avait été officiellement soutenue par les autorités états-uniennes. Aussi bien Nawrocki que Simion espèrent profiter de l’élan que l’élection de Trump a pu donner à la droite radicale, quoiqu’il ait pu avoir l’effet inverse dans certains cas : ainsi, au Canada, les déclarations de Trump sur l’annexion de ce pays ont renforcé le parti libéral aux dépens des conservateurs ayant flirté avec le trumpisme.
L’un des principaux pôles européens de cette internationale est le régime de Viktor Orbán en Hongrie. Bien que le discours nationaliste de l’AUR ait fait naître des craintes chez les membres de la minorité hongroise de Roumanie, Viktor Orbán a soutenu la candidature de Simion, dans le but d’élargir le camp de l’extrême droite pro-russe dans l’Union. Les électeurs de la minorité hongroise de Roumanie ont malgré cela voté en masse pour Nicuşor Dan. Les liens entre les partis d’extrême droite d’Europe sont nombreux. Les députés européens français Virginie Joron et Thierry Mariani (Rassemblement national) sont allés en Roumanie pour soutenir le candidat George Simion. Après l’élection, Jordan Bardella a joint sa voix à la dénonciation par Simion d’une prétendue ingérence française dans l’élection. Au niveau des groupes politiques européens, l’AUR est membre des Conservateurs et réformistes européens, au même tire que la N-VA. Une rencontre de dirigeants du groupe, réunissant notamment George Simion, Bart De Wever, Giorgia Meloni et Marion Maréchal, a eu du retentissement dans la presse en mars dernier. « Drôle de fête de famille » relevait Le Soir3.
- Eugeniu Popescu et Adina Revol, « Les hommes de Georgescu : enquête sur le changement de régime en Roumanie », mis en ligne sur legrandcontinent.eu, 1er mars 2025.
- Samuel Samson, « The Need for Civilizational Allies in Europe », U.S. Department of State, sur statedept.substack.com., 27 mai 2025.
- Véronique Lamquin, « Drôle de fête de famille pour la NV-A », mis en ligne sur lesoir.be, 21 mars 2025.
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