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Requiem pour la vie

Didier Béclard · Journaliste

Mise en ligne le 19 avril 2023

Le metteur en scène et cinéaste italien Pippo Delbono transforme une oraison funèbre en une parade débridée de mouvements, de musiques et de couleurs, avec en première place les exclus, les fous, les hors-normes. Acte d'amour et leçon de vie, La Gioia est un hommage à son frère de scène disparu et qui portait en lui le secret et le mystère du théâtre.

Photo © Luca Del Pia

« Ce spectacle renaît de la mort de Bobò », déclare en préambule Pippo Delbono, seul, en jean et chemise décontractée, sur une scène totalement dépouillée. Les premières notes du « Don’t worry, be happy » de Bobby McFerrin retentissent alors que le noir se fait. Lorsque la lumière revient, on découvre au centre de la scène, un rectangle de gazon et une fleur dans un pot. Un homme en ciré rouge en prend soin avec son arrosoir bleu. À chaque alternance noir/lumière, les pots et les fleurs se multiplient sur la parcelle. À la fin de la chanson, le maître de cérémonie Delbono est debout au milieu du parterre.

Bobò, sourd-muet microcéphale, rescapé en 1995 de l’enfer d’un hôpital psychiatrique d’Aversa, dans le sud de l’Italie, a été son compagnon de scène et de vie durant 22 années. « Et maintenant Bobò, avec sa voix de petit oiseau, s’est envolé ». Décédé en 2019, à 82 ans, il avait une douleur et aussi une folie joyeuse. Fantôme du monde en raison de ses handicaps, il deviendra une figure emblématique des spectacles de Pippo Delbono, qui tente dans cet hommage de combler le vide laissé par l’artiste .

À voir

La Gioia de Pippo Delbono

18 > 22 avril 2023

Théâtre national Wallonie-Bruxelles

Artistes marginaux

Un spectacle, un amour, un au revoir, Pippo Delbono montre le chemin vers la joie. « La joie n’est pas un résultat. C’est un fait, une chose, un lieu. La joie crée un espace, dissout, fait le vide. » Il déclame de sa voix grave au micro un extrait de Henry IV de Pirandello à propos de « cette folie que vous ne voyez pas ». Cette folie qui se déchaîne, sur scène, dans la lumière des stroboscopes, les nuages de fumigènes, et la sarabande de masques, de costumes flamboyants, de danses, de lumières de music-hall et de musique de cirque.

Le metteur en scène présente les membres de sa compagnie. Nelson était clochard, maintenant il est normal. La belle Ilara aime l’art et le tango, elle pleure en regardant Sophie Calle. Il connaît Gianluca, son voisin d’enfance trisomique, depuis qu’il est né. Pépé est un réfugié qui a fui la dictature en Argentine. Ces acteurs marginaux, danseurs ou artistes handicapés ponctuent le spectacle de numéros fantasques empreints d’une grande humanité.

Gianluca Ballarè en clown blanc dans la pièce La Gioia de Pippo Delbono.

Gianluca Ballarè, ici en clown blanc malicieux, est le voisin trisomique que Pippo Delbono connaît depuis qu’il est né.

© Luca Del Pia

Prière laïque

Alternant silences et explosions de joie, sans logique apparente comme des rêves ou des souvenirs qui se bousculent, Pippo Delbono distille un discours enflammé, poétique ou philosophique, et raconte des histoires récoltées de par le monde. L’histoire de l’homme qui avait tout, mais qui était gagné par la tristesse qui devenait comme une prison. Celle du bûcheron fou qui doit devenir chaman, celui qui accueille les autres. De son histoire, son rêve d’enfant de devenir trapéziste. Et cette rencontre, à Bali, d’un acteur qui a incarné le rôle d’un singe pendant des décennies.

Pepe arpente la scène vide et y dépose, un à un, une multitude de petits bateaux en papier. Puis les récupère, un à un, avant de déverser le contenu de huit sacs remplis de vêtements colorés et de les étaler soigneusement sur toute la surface du plateau. L’artiste italien entame alors la lecture d’un poème « Notre mer qui n’est pas aux cieux ». Il s’agit de la « Prière laïque » récitée par Erri de Luca, sur une chaîne de télévision italienne, en hommage aux migrants qui ont péri lors du naufrage du 19 avril 2015, qui a fait entre 800 et 900 morts. « Nous t’avons semée de noyés plus que n’importe quel âge des tempêtes ».

Des torsades de fleurs entourent Pippo Delbono, comme une forêt, ou une prison.

Des torsades de fleurs, conçues par Thierry Boutemy, un fleuriste normand basé à Bruxelles, entourent Pippo Delbono, comme une forêt, ou une prison.

© Luca Del Pia

Explosion florale

Il faudra encore fêter l’anniversaire de Bobò, tel qu’on le faisait de son vivant. Comme il ne connaissait pas la date de son anniversaire, la fête peut avoir lieu n’importe quand et le nombre d’années que l’on célèbre est à l’avenant. La douleur, la tristesse, la peur passe et la joie arrivera. Et cela semble être le fil conducteur de ce rituel mélancolique : il faut aller de l’avant et décider que la joie est la route de ta vie.

Le sol est recouvert de feuilles mortes et des bouquets de fleurs pastel apparaissent çà et là avant que des torsades de fleurs ne dégringolent des cintres pour former une forêt, ou une autre prison. Au milieu de riffs de guitare et de la voix de Bobò poussant des cris d’oiseaux, Pippo Delbono célèbre la fin de son voyage vers la joie au cri de « Siamo contenti » (nous sommes heureux).

Une soirée au profit de Solidarité-Logement

L’association Solidarité Logement s’associe au Théâtre national Wallonie-Bruxelles pour organiser, ce samedi 22 avril, une soirée de gala autour du spectacle La Gioia au profit de son projet Raphaël 14. Membre du Centre d’action laïque, Solidarité Logement a pour mission de créer des logements pour faciliter l’insertion psychologique et sociale des personnes vulnérables (jeunes en transition, femmes isolées, avec ou sans enfants).

Lancé en 2020, le Projet Raphael 14 prévoit la construction d’un immeuble neuf sur un terrain situé à Anderlecht. Cet immeuble permettra d’offrir un logement de transit à cinq jeunes en difficulté, le temps pour eux de prendre leur autonomie. Cet immeuble permettra aussi d’héberger une famille (monoparentale) de 2 ou 3 enfants. Les jeunes seront pris en charge par différentes associations d’aide à la jeunesse tandis que la gestion du bâtiment sera confiée à une agence immobilière sociale.

Le permis de construire a été obtenu en février 2023, les travaux devraient débuter à la fin de l’année et se terminer en 2025. Ce qui permet l’octroi à Solidarité Logement d’un droit de superficie de 99 ans par la coopérative immobilière à finalité sociale Fair Ground Brussels.

Infos et réservations

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