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Qu’est-ce que l’étranger ?

Anaïs Pire · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 30 octobre 2023

En droit, l’étranger est « quiconque ne fournit pas la preuve qu’il possède la nationalité belge ». Il s’agit donc d’une définition négative, fondée sur la nationalité, où l’étranger est opposé au national. Il est « l’autre ». Le statut d’étranger est donc un état reconnu par la loi, mais également créé par la loi : elle le constate tout en étant à son origine. Ainsi, si la condition sociale ou politique de l’étranger s’exprime dans son statut établi par le droit, ce dernier lui assigne également une place fixe dans la société.

En étant à la fois reflet du social et producteur du social, le droit tend à homogénéiser sous le terme « étranger » une multitude de situations et de vécus, et par-là, d’individus. De toutes les différences qui peuvent exister entre la personne qui a quitté son pays par crainte des persécutions, celle qui poursuit des études dans un autre pays que le sien, celle qui rejoint sa famille installée à l’étranger ou celle qui cherche à obtenir des soins médicaux indisponibles dans son pays, le droit ne retient que l’état d’étranger.

Sur la base d’éléments théoriques tirés tant de la philosophie que du droit et de son implication personnelle dans le cadre de permanences juridiques à destination d’étrangers, Nina Hetmanska étudie l’impact du statut d’étranger sur les trajectoires des personnes que le droit désigne de la sorte. Elle pose ainsi un regard sur la production juridique de l’étranger – d’où viennent les catégories ? quel est le rôle de ces catégories ? servent-elles à justifier l’inégalité ? – avant d’analyser les conséquences de cette assignation à la catégorie « étranger » sur la vie psychique de ses destinataires, notamment le récit de soi.

Si la démonstration à laquelle se livre l’auteure est particulièrement intéressante, elle nécessite sans doute une certaine familiarité avec la philosophie politique pour être lue avec aisance et comprise avec profondeur. Ce brillant travail d’appréhension et de déconstruction des inégalités contenues et constituées par un statut administratif à la fois subi et recherché aurait dû être le préalable à une recherche doctorale plus ambitieuse encore. En effet, à la fin de son étude, l’auteure annonce un élargissement du champ de sa réflexion, pour envisager ce que la condition étrangère peut dire de la citoyenneté « en tant que marqueur ultime de l’inclusion et de l’exclusion de l’avantage des institutions communes, qui de manière paradoxale produit les étrangers ». Tragiquement, la disparition brutale de Nina Hetmanska mettra un terme à ce projet de recherche.

La publication de cette première recherche est ainsi à la fois un hommage au parcours de cette jeune chercheuse, académique de talent et volontaire de terrain, et une porte d’entrée dans une réflexion riche et plus actuelle que jamais sur la place que nos sociétés, et par extension nos lois, donnent aux « étrangers ».

Nina Hetmanska, La fabrique des étrangers. Sujets à la frontière, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2023, 91 pages.

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