Quel accueil
pour le trouble mental ?

Philosophe et politologue, Mathieu Bietlot a récemment réalisé une série d’analyses sur la question de l’hospitalité pour le Centre Franco Basaglia créé en 2003 à Liège. Son nouvel essai, Folie de l’hospitalité, prolonge ces travaux et nous convie à accompagner une réflexion philosophico-politique pour penser autrement l’accueil des personnes en trouble psychique dans nos sociétés. « L’exercice de cet essai », écrit-il, « consiste à mettre au travail le concept – mythique, philosophique, éthique, politique – d’hospitalité dans la perspective de la psychiatrie démocratique, c’est-à-dire en dehors de l’hôpital, dans le milieu de vie. »

Une première partie aborde l’origine de la notion d’hospitalité ainsi que son évolution dans l’histoire, de son acception antique inspirée par le caractère sacré de l’hôte – le différend, l’étranger, l’inquiétant même – à son institutionnalisation à partir de l’ère moderne. L’hôpital, institution par excellence en matière de psychiatrique, est au centre des chapitres suivants : son aspect violent, déshumanisant et ses dérives sont rappelés ainsi que les tentatives de transformation amorcées dans la seconde moitié du XX^e siècle, battues en brèche par les logiques de gestion et d’austérité dans le contexte général d’accélération de l’idéologie néolibérale à partir des années 1980. Sont ensuite explorés les enjeux, les atouts, les possibilités mais aussi les difficultés de l’accueil en milieu de vie des personnes en trouble psychique. Des penseurs, jugés incontournables – Jacques Derrida, Edmond Jabès, Georges Bataille et d’autres – sont largement évoqués. Dans un chapitre joliment intitulé « Les galeries imaginaires de l’édifice », l’auteur souligne, exemples à l’appui, combien la création artistique peut, en ce domaine également, constituer l’aiguillon qui bouscule les conceptions et éveille les consciences.

L’hospitalité antique, tenace, n’est pas absente de notre époque marquée par l’individualisme et la frilosité. Cependant, pour l’auteur, on ne peut « tabler naïvement sur la libération spontanée des esprits et des pratiques. L’hospitalité pour tenir et faire front […] doit prendre une dimension de pratique collective, donc s’instituer. » C’est en outre « au sein d’une perspective plus vaste de transformation sociale » qu’elle devrait s’inscrire.

« Il peut arriver à quiconque de traverser un moment difficile et d’avoir l’esprit ou le corps troublé. » C’est pourquoi, érudit mais soucieux de pédagogie, cet essai s’adresse à toute personne ouverte à l’altérité. Il se révèle en outre un foisonnant périple littéraire, tant il reflète à chaque page l’amour « des mots qui sonnent, résonnent et raisonnent » de son auteur. Directeur de la Maison du Livre à Bruxelles, Mathieu Bietlot s’est précédemment penché sur un autre pan de l’accueil en souffrance dans L’horizon fermé. Migration, démocratie ou barbelés (Espace de Libertés, coll. « Liberté j’écris ton nom », 2009).