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Quand l’autonomie vacille

Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 18 avril 2025

À Henri Chantry, mon grand-père parti bien trop tôt,

et à Léa Delooz, alias Mamyvette, ma grand-mère chérie, qui vient de fêter ses 97 printemps et qui a pu rester vivre dans sa grande maison aussi longtemps que possible, selon sa volonté, grâce à une extraordinaire solidarité familiale.

Henri Devilliers, vieux ronchon de 80 ans, vit à Bruxelles, près des étangs d’Ixelles. Son existence est tranquille mais un peu morne, entre son poste de télévision et les visites dominicales de son fils Jean, un soixantenaire pressé et débordé. À bout, il décide que l’heure est venue pour son père d’entrer en maison de retraite. Mais Henri refuse. Hors de question de se laisser dicter sa fin de vie ! Pour préserver son autonomie, il prend une décision radicale : il publie une annonce pour trouver des colocataires de son âge. C’est ainsi que Jacques, un ami de longue date, et Élisabeth, une femme qu’il connaît à peine, viennent partager son salon, son frigo et ses humeurs. Cette nouvelle organisation bouscule l’équilibre familial et provoque une rupture entre Henri et son fils. À la maison, l’ambiance est parfois électrique, mais le trio de colocataires du quatrième âge apprend à vivre ensemble. Jusqu’au jour où Jean fait un AVC et devient totalement dépendant de son père.

Caroline Allan a étudié la philologie romane à l’ULB et enseigne à Bruxelles. Elle signe ici son premier roman pour adultes dans lequel le vieillissement, l’autonomie et la dépendance s’entrelacent avec des touches d’humour et de tendresse. Après avoir écrit, dans un registre plus déjanté, la série pour enfants L’histoire du suppositoire qui… avec Alex Vizorek, elle a publié en 2024 un roman jeunesse intitulé Mercredi. Dans La petite annonce, elle aborde avec subtilité la question de la place des aînés dans notre société. Traiter de sujets sérieux ne lui fait pas peur : elle le fait avec une légèreté grinçante qui allège la gravité.

La force du roman réside dans l’inversion des rôles père-fils. Au début, c’est Jean qui prend soin d’Henri – ou du moins pense savoir ce qui est bon pour lui. Puis l’octogénaire se retrouve dans la position de celui qui doit prendre soin de son propre fils. Il toilette, nourrit et rassure un Jean mutique et vulnérable. Ce retournement met en lumière la manière dont les individus et les familles abordent la question de l’aidance. Dans son roman, Caroline Allan soulève les tensions qui apparaissent lorsque les proches doivent assumer des rôles auxquels ils n’étaient pas destinés. Le personnage d’Henri, bien que détestant toute forme de dépendance, se trouve malgré tout dans un rôle de soutien, qu’il n’avait pas envisagé. Cette réflexion, loin de se limiter à une critique de la société, invite à remettre en question les injonctions familiales, le regard sur les aînés, notre liberté de refuser de devenir un fardeau et notre capacité à accepter de l’aide.

La petite annonce ne se contente pas d’ouvrir une fenêtre sur une cellule familiale en crise. Le roman explore aussi une autre manière de vieillir : ensemble. Henri, en choisissant de vivre chez lui avec des colocataires de son âge, propose une forme de solidarité intragénérationnelle et interpersonnelle qui s’avère plus enrichissante qu’il ne l’avait imaginée. La colocation entre personnes âgées, loin d’être une solution marginale, est vue comme un moyen de préserver l’autonomie tout en cultivant une forme de convivialité et d’entraide. L’auteure, avec ses dialogues parfois cinglants et son sens de l’ironie, nous montre que le vivre ensemble est possible, même dans les situations les plus chaotiques.

Henri, avec son caractère bien trempé, devient un personnage attachant, un vieux ronchon qui nous fait rire tout en nous invitant à réfléchir au fait que nos (grands-)parents et nous-mêmes, nous n’allons pas en rajeunissant… Et que, peut-être, un jour, nous aussi nous aimerions finir en coloc’ avec nos vieilles amies.

Caroline Allan, La petite annonce, Bruxelles, Lilys, 2025, 170 pages.

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