La tartine
Recherche
logement décent,
désespérément
Caroline Dunski · Journaliste
Mise en ligne le 7 octobre 2024
À Bruxelles et en Wallonie, près de 100 000 ménages sont sur une liste d’attente pour obtenir un logement social, tandis que le marché locatif privé devient de plus en plus hors de portée pour les foyers en situation de précarité. Dans les grandes villes en particulier, même les classes sociales dites « moyennes » éprouvent désormais des difficultés à trouver un logement financièrement accessible.
Illustrations : Philippe Joisson
En Wallonie, 33 % des ménages sont uniquement locataires, dans le logement public ou de bailleurs privés, tandis qu’en Région de Bruxelles-Capitale, ce taux monte à 60,1 %1. D’après le dernier rapport d’activité de la Société wallonne du logement (SWL) – qui coordonne le développement et la gestion locative d’un parc de quelque 103 000 logements publics –, en 2023, en Wallonie, 213 431 personnes (soit 97 540 ménages) étaient logées par l’une des 62 sociétés wallonnes de logement de service public (SLSP), tandis que 44 491 ménages étaient candidats-locataires. Le temps d’attente moyen pour l’obtention d’un logement d’utilité publique était de deux ans, trois mois et cinq jours. En Région de Bruxelles-Capitale, au 1er janvier 2024, pour l’ensemble des 16 sociétés immobilières de service public (SISP), il y avait 53 801 candidats-locataires (contre 21 906 en 2004).
Des allocations à défaut de logements sociaux
Depuis octobre 2021, en Région de Bruxelles-Capitale, une nouvelle procédure et des conditions d’octroi allégées permettent aux Bruxellois et Bruxelloises à faibles revenus, locataires sur le marché privé et inscrits sur la liste d’attente pour l’attribution d’un logement d’une SISP, de bénéficier d’une allocation loyer avant l’attribution d’un logement social. En août 2023, 9 000 ménages disposaient d’une aide financière mensuelle dont le montant variait entre 120 et 173 €, auquel s’ajoutaient entre 20 et 43 € par enfant à charge. D’après l’administration bruxelloise du logement, à l’époque, 3 000 autres ménages répondaient aux conditions d’octroi de cette aide, mais n’en avaient pas encore fait la demande.
En Région wallonne, depuis le 1er janvier 2023, les ménages avec des revenus faibles, titulaires d’un bail d’habitation privée et en attente d’un logement social depuis plus de dix-huit mois, peuvent faire la demande d’une allocation d’attente logement (AAL). Cette aide mensuelle est fixée à 125 € par mois, majorés de 20 € par enfant à charge (40 € pour les enfants ou les personnes à charge se trouvant en situation de handicap), avec un maximum de 185 € par mois.
Une rude concurrence sur le marché de la location
Dans ce contexte de pénurie de logements publics (sociaux ou moyens en fonction du niveau des revenus des locataires), les ménages n’ont d’autre choix que de se tourner vers le marché locatif privé, où la concurrence entre candidats-locataires est rude. Renaud Grégoire, notaire dans la région de Huy, constate que l’augmentation des prix du marché immobilier conjuguée à celle des taux des prêts hypothécaires a un effet pervers sur les prix des locations dans le privé. Sans compter les frais encourus pour la remise en conformité du bâti que les bailleurs répercutent également sur les loyers. « Les loyers sont régulièrement proches de 1 000 €. Il est difficile d’être locataire dans des conditions qui tiennent la route. Surtout quand vous êtes seul ou seule à le payer. »
Séraphin Scorier en a fait l’amère expérience. Pendant une période de six à huit mois, ce jeune de 27 ans a cherché à s’installer seul dans un appartement une chambre dans la région de Wavre et Ottignies-Louvain-la-Neuve. « Mon budget était d’environ 850 € hors charges, ce qui équivaut à un tiers de mon salaire. C’est le ratio que les agents immobiliers me conseillaient. Durant cette période de recherche active, j’ai visité une quinzaine d’appartements, sans jamais avoir été accepté. Il y avait beaucoup de couples intéressés par les appartements une chambre. N’ayant qu’un seul salaire, cela me mettait en bas de la liste des prioritaires. Malgré un garant, un revenu correct, un CDI et des preuves de paiement de loyers précédents, je n’ai pas réussi à trouver un logement. »
Mal-logement et pauvreté
L’article 23 de la Constitution belge établit un droit au logement décent pour tous. L’article 3 du Code bruxellois du logement précise qu’un logement décent est « conforme aux règles de qualité (sécurité, salubrité et équipement), abordable financièrement, procurant une sécurité d’occupation, adapté au handicap, jouissant d’un climat intérieur sain, pourvu d’une bonne performance énergétique, connecté à des équipements collectifs et autres services d’intérêt général (notamment, écoles, crèches, centres culturels, commerces et loisirs) ».
L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) constate que le mal-logement – avec des carences structurelles, telles que des problèmes d’humidité, de qualité de l’air, d’obscurité ou de bruit – frappe plus particulièrement les locataires et les familles monoparentales (198 798 au 1er janvier 2023). « Les locataires cumulent souvent les difficultés puisqu’ils ont un revenu plus faible, vivent plus fréquemment dans un logement humide et doivent dépenser plus pour se loger. Sur ce point, on constate qu’au cours des quinze dernières années, les loyers ont augmenté plus vite que l’inflation (même si, en 2022, la croissance des loyers a été plus faible que l’inflation). »2 L’Iweps indique notamment que 28,6 % des locataires au prix du marché ont un revenu net équivalent inférieur au seuil de pauvreté.
Un déficit de petits logements
De son côté, l’économiste Philippe Defeyt souligne qu’en raison du stock insuffisant de logements, « les bailleurs sont en position de force, et ce, y compris pour demander des garanties qui vont de plus en plus loin, frôlant parfois l’illégalité. Dans ce contexte, quelques catégories sont plus fragiles. Pour les personnes seules, le coût au mètre carré des petits logements est plus élevé que celui des grands logements. Il varie de 20 € pour les petits contre 10 € pour les grands, et le loyer pèse proportionnellement plus lourd dans le budget des personnes disposant de faibles revenus. De plus, il y a un vrai déficit de petits logements, y compris dans le logement public. On construit surtout des logements de deux ou trois chambres, qui ne correspondent pas aux besoins. Or, d’ici à 2030, l’augmentation du nombre de ménages de personnes seules devrait représenter environ 80 % de l’augmentation totale des ménages ».
Philippe Defeyt estime que cette situation particulière doit faire l’objet de débats publics. Il plaide aussi pour que l’on reconstruise une relation de confiance justifiée et durable entre le bailleur et le locataire, en s’inspirant notamment du système des agences immobilières sociales (AIS). « Le bailleur reçoit un certain nombre de garanties, telles que celle du paiement du loyer, à condition de faire des efforts sur le prix. » Au 1er juin 2024, l’Iweps estimait avec 95 % de certitude qu’en Wallonie, en 2023, le loyer moyen des ménages se situait entre 570 € et 629 €3, mais cette moyenne intégrait les loyers payés pour des logements sociaux et ne comprenait pas les charges (énergie, entretien des communs…). L’année dernière, dans les différentes communes de Bruxelles, le prix de location moyen des appartements se situait entre 901 € (à Jette) et 1 413 € (à Woluwe-Saint-Pierre)4.
Bail glissant, insertion et autonomie
En Wallonie, 36 associations de promotion du logement (APL) sont agréées et subventionnées par la Région wallonne via le Fonds du logement pour prendre part à la mise en œuvre de l’article 23 de la Constitution. À Tournai, l’association Droit au logement (DAL) est l’une de ces APL qui accordent une attention particulière aux personnes les plus fragiles. Florian Lefebvre, qui en assume la coordination, souligne que « le DAL milite pour améliorer l’accès au logement par le prisme de l’humain et agit pour permettre la rencontre de l’offre et de la demande. Notre rôle d’intermédiaire entre les propriétaires et les locataires devient de plus en plus indispensable. Nous devons garantir un accompagnement social pour rassurer le propriétaire qui pourrait être frileux à l’idée de louer à des personnes disposant de revenus précaires, et accompagnons le locataire dans l’apprentissage des gestes du quotidien dans la gestion du logement, tout en visant son autonomie et en évitant le paternalisme. »
L’association propose plusieurs services, dont une permanence juridique et administrative à destination des propriétaires comme des locataires et, les jeudis matin, une permanence « recherche logement ». Le DAL pratique aussi le bail glissant. Ce bail d’habitation est conclu entre un bailleur et l’APL, en vue d’une sous-location du bien à une personne en état de précarité. À l’issue d’un accompagnement social dont les objectifs sont atteints, le sous-locataire se voit automatiquement céder le bail principal, dont il devient le preneur.
Inscrit dans un large réseau de partenaires locaux et régionaux, le DAL milite aussi pour que les pouvoirs publics prennent des mesures pour réguler les loyers. L’association lutte également contre les expulsions, au sein du Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat (RWDH). Que ces expulsions soient administratives et prennent la forme d’arrêtés communaux d’inhabitabilité, ou judiciaires, pour défaut de paiement de loyer, d’entretien ou de réparation, l’objectif est de les prévenir pour éviter des drames sociaux et personnels, mais aussi d’obtenir que les autorités compétentes proposent des solutions de relogement correctes et accessibles, pour que le droit individuel au logement demeure une question collective de société.
- « La structure de la propriété des logements en Wallonie et en Belgique. Regards statistiques no 8 », Iweps, 2023.
- « Les chiffres-clés de la Wallonie, édition 2023 », Iweps, 2023.
- « Loyers en Wallonie », mis en ligne sur iweps.be, 1er septembre 2024.
- Nisrine Brinicha, « Bruxelles : voici le prix de location moyen d’un appartement, commune par commune (carte interactive) », mis en ligne sur lesoir.be, 7 février 2024.
Partager cette page sur :