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Pour une transformation écologique concertée
et solidaire

Propos recueillis par Vinciane Colson · Journaliste « Libres, ensemble »
Avec la rédaction
Mise en ligne le 21 février 2024

La transformation écologique peine à se mettre en marche, et nous allons devoir passer par une révolution énergétique, industrielle et sociétale. Une « révolution obligée », puisqu’il en va de notre survie. Voici ce que nous disent en substance David Djaïz1 et Xavier Desjardin2 dans La révolution obligée. Au travers de nombreux exemples concrets et actuels, ils proposent une sorte de mode d’emploi pour réussir la transformation qui nous est vitale. Le secret, selon eux, c’est de miser davantage sur la concertation et la solidarité.

Photo © Shutterstock

Vous nous fournissez une sorte de mode d’emploi pour entamer la transformation écologique, sans provoquer la colère et l’incompréhension des citoyens. Parce qu’aujourd’hui, pour vous, c’est ça l’écueil : on impose des mesures, on brandit le bâton sans donner la carotte ?

Xavier Desjardins : Ce livre est né d’une double inquiétude. La première est liée aux défis écologiques absolument colossaux auxquels nous devons faire face, et la seconde est liée à un constat : quand des politiques se mettent en place, on pourrait se réjouir, mais on voit bien qu’il y a un véritable problème de méthode et que ces politiques publiques ont beaucoup de mal à enclencher une véritable transition. Singulièrement en Europe. On l’a vu, il y a quelques années, avec la révolte sur la hausse du coût du carburant en France avec les Gilets jaunes. Et aussi l’année dernière, en Allemagne, avec l’interdiction des nouvelles chaudières au gaz ou au mazout – cela a entraîné des réactions très vives d’opposition. On le voit partout en Europe, des artisans, des commerçants qui ont besoin de leur voiture pour travailler, s’inquiètent quand on met en place des zones de basses émissions. En Europe, les ambitions écologiques sont extrêmement fortes : elles sont nécessaires, puisqu’il en va de la survie, de l’équilibre de nos sociétés. Mais la méthode de mise en place des politiques publiques crée beaucoup de frustration, d’incompréhension, de peur. L’effet délétère, c’est à la fois un renforcement des mouvements extrémistes qui ne proposent rien d’autre que le renoncement, et la fragilisation de la démocratie puisque la parole publique peine à être crédible. Quand on annonce une réduction des pesticides, une amélioration de la qualité de l’air, une réduction de l’artificialisation des sols (par exemple, à travers le « stop béton ») et que dans la réalité, rien ne change, beaucoup de citoyens, légitimement, s’interrogent sur la confiance qu’ils doivent accorder à la parole publique.

David Djaïz et Xavier Desjardins, La révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des États-Unis, Paris, Allary, 2024, 304 pages.

Vous avez parlé des Gilets jaunes en France, de la contestation populaire en Allemagne, et en ce moment, à nouveau en France et en Belgique, les agriculteurs sont dans la rue. Ce mouvement de grogne est-il l’illustration d’un même manque de concertation lié à un problème de méthode ?

David Djaïz : Le mouvement des agriculteurs est un mouvement paneuropéen, même si les étincelles qui l’ont déclenché sont différentes d’un pays à l’autre. Aux Pays-Bas, l’année dernière, l’élément déclencheur, c’était la réduction de l’azote et du cheptel. En Roumanie, ce sont les importations de céréales et de poulets ukrainiens. En Allemagne, c’est le gasoil non routier. En France, c’est un mélange de choses. On voit bien que c’est toujours la même dramaturgie qui se répète : on fixe des objectifs très ambitieux, sans appropriation, sans concertation, sans négociations à l’intérieur des filières. L’agriculture n’est pas unifiée, contrairement à ce que certains voudraient faire croire : elle est très diverse entre les céréales, le maraîchage, l’élevage… Les exploitants agricoles sont des chefs d’entreprise. Leurs charges qui augmentent avec les prix d’électricité et des intrants1. Leurs recettes sont en berne, les négociations commerciales avec la grande distribution ou avec l’industrie agro-alimentaire ne leur sont pas favorables. Et en plus, ils ont l’impression qu’ils doivent satisfaire un nombre toujours plus grand d’exigences. Ils ont de plus en plus de contrôles administratifs et de paperasse à remplir.

Les agriculteurs se sentent bien seuls alors qu’il y a d’autres maillons dans la chaîne.

David Djaïz : Il y a de grands acteurs en amont, et en aval, il y a les consommateurs. Ce que nous avons essayé de démontrer, c’est qu’on ne peut pas mener une transformation aussi importante que la transformation environnementale par décret. Il faut complètement changer la méthode et la façon dont on conduit le changement à travers la négociation, à travers les incitations financières. On pense que c’est au moins aussi important de récompenser et de rémunérer, y compris avec des marchés du carbone, par exemple, ceux qui s’engagent vers l’agro-écologie et qui stockent du carbone dans leur sol, que de sanctionner éventuellement ceux qui polluent. C’est un virage à 180 degrés qu’il faut opérer, un changement drastique de méthode qu’il faut engager, si on veut tenir nos objectifs. Et là, j’abonde dans le sens de Xavier : tenir les objectifs environnementaux, c’est une question de survie. Mais on ne peut pas le faire en sacrifiant notre production agricole, nos agriculteurs, notre production industrielle qui est déjà très affaiblie en Europe. Il faut le faire ensemble.

Qui doit payer pour la transition écologique, qui doit faire le plus d’efforts ? Dans votre livre, vous expliquez que pour répondre à cette question, on oppose aujourd’hui les secteurs, les territoires, les générations, les riches et les pauvres. Ces confrontations n’alimentent-elles pas un discours populiste d’extrême droite ?

Xavier Desjardins : Si, c’est sûr ! Chaque fois, on constate que la catégorie qui est ciblée par une mesure – les zones rurales dans le cadre de « Stop béton », les cafetiers lors de l’interdiction des chauffages extérieurs au gaz, les gens aisés du centre-ville lors du vote sur les grosses voitures à Paris – a l’impression d’être la première victime. Et certains partis politiques extrémistes ont pour spécialité d’accumuler les colères. Il faut absolument dépasser ça. Et comment faire ? C’est compliqué. En matière de transition écologique, on n’est pas complètement armé pour traiter ce problème. Les démocraties européennes sont traversées par deux grandes questions politiques depuis le début du XXe siècle : celle de la place respective des Églises et de l’État – sujet que nous n’abordons pas tellement dans notre livre –, et celle de la répartition capital-travail. Le principal conflit en la matière porte sur les retraites, mais on sait aujourd’hui organiser ces débats-là.

La transition écologique génère des conflits en tout genre. Pour les résoudre, aux niveaux national et européen, on met en avant le besoin d’une planification écologique. Bien sûr, nous pensons nous aussi qu’il est absolument nécessaire de donner un cap, une vision stratégique. En même temps, il nous paraît évident que les négociations doivent être territoriales, au plus près des collectivités locales, des entreprises, etc., puisque c’est l’endroit où on peut faire des ajustements. Tout le monde savait que la transition écologique engendrerait des conflits. On a pensé qu’on pouvait les résoudre de deux manières : par le marché, en fixant un prix qui allait aligner les gens, c’est le prix carbone – une manière de ne pas en débattre – ou par des normes qui viennent d’en haut. Mais cette méthode ne fonctionne pas ! Il faut en trouver une beaucoup plus décentralisée, plus concertée, plus contractuelle pour mettre un terme à ces compétitions.

David Djaïz : Cela a été le cas lors de la modernisation agricole, qui a transformé l’agriculture européenne avec la PAC, à partir des années 1960 et qui a permis de produire une alimentation en très grande quantité et de grande fiabilité, par ailleurs. Il y a une sécurité alimentaire. Les négociations se sont déroulées entre les États, la Commission européenne et les grands syndicats agricoles. Donc, c’était une sorte de cogestion. De nos jours, pour accompagner la transformation de l’agriculture vers un modèle à haute teneur environnementale (l’agro-écologie), mais qui procure aussi de bons revenus aux agriculteurs et qui remettent la question de l’alimentation au cœur du contrat social, on ne pourra pas le faire avec les mêmes acteurs et les mêmes scènes de négociation. Ça ne peut pas être une simple cogestion entre l’État et le grand syndicat agricole, il faut le faire sur une base territoriale. Par exemple, dans un bassin céréalier, il faut mettre autour de la table les céréaliculteurs, leurs coopératives, mais aussi les représentants de la grande distribution ou de la transformation agroalimentaire, les consommateurs, les experts, les spécialistes des semences, et être capable de discuter d’un nouveau pacte de partage de la valeur, qui permet de rémunérer correctement des changements de pratique. Par exemple, au lieu de pratiquer la monoculture, on va aller vers des rotations plus importantes entre certaines céréales, comme le blé et la luzerne, cette dernière permettant de mieux fixer l’azote. Comment rémunère-t-on les agriculteurs qui stockent le carbone ou qui fixent l’azote correctement ? Ce sont des chantiers passionnants, immenses, et qui ne peuvent pas être lancés par des normes ou par des taxes.

Serait-ce le problème du Green Deal européen ? Ce pacte vert adopté en 2019 impose des normes, des règles, qui viennent d’en haut. La concertation a fait défaut, selon vous ?

David Djaïz : Le Green Deal présente trois problèmes de méthode. Le premier, c’est qu’il repose beaucoup sur des objectifs chiffrés, des cibles quantitatives : 42,5 % de production d’énergie renouvelable, zéro émission nette en 2050, peut-être moins 90 % démission de gaz à effet de serre en 2040 – c’était une discussion qui était en cours au sein de la Commission et qui va peut-être être remise sur le métier. Tout ça est louable, mais un objectif chiffré ne fait pas un projet de société. Il faut qu’on arrive à avoir un Green Deal qui soit un vrai contrat social de transition. Pour ce faire, il faut changer d’instrument. Le deuxième problème, c’est l’incohérence entre la politique environnementale européenne et d’autres pans de la politique publique. La politique commerciale continue en mode « pilotage automatique » à négocier des traités de libre-échange avec des zones comme le Mercosur, moins regardant en matière environnementale et très grand exportateur de viande bovine, par exemple. La politique budgétaire, quant à elle, ne permet pas à l’Union européenne d’investir les montants nécessaires à la réussite de la transition. Quand le plan NextGenerationEU va s’éteindre, on aura très peu d’argent dédié au financement de la transition écologique. Enfin, le troisième problème, et non des moindres, c’est qu’on a effectivement un catalogue de réglementations, sans négociation préalable avec les acteurs de terrain.

Avec les populistes en embuscade qui surfent sur tout ça pour essayer de faire leur beurre électoral, les prochaines élections européennes risquent de se transformer en un référendum pour ou contre le Green Deal, et le centre de gravité pourrait se déplacer du Parlement ou de la Commission européenne pour le détricotage du Green Deal. Nous attirons l’attention : c’est très dangereux, parce qu’on va rater la marche climatique, on va se déclasser sur le plan industriel, on va faire monter le populisme. Donc, il faut changer de méthode, et vite.

Le Green Deal européen souffre d’un grave déficit de popularité parce qu’il s’impose sans tenir compte des réalités de terrain.

© Alexandros Michailidis/Shutterstock

Vous invitez à voir l’écologie comme une manière de réenchanter l’Europe, alors qu’on en est loin, aujourd’hui. Vous souhaitez rapprocher l’Europe du citoyen en créant, par exemple, un « pass climat » qui pourrait être financé par l’Europe. En quoi consisterait ce pass ?

Xavier Desjardins : Nous l’avons imaginé tout d’abord sur la base d’un constat : la transition écologique est vécue par un large pan des classes moyennes comme une remise en cause, un affaiblissement financier. Elles se disent : « Je ne vais pas avoir les moyens de rénover ma maison, de m’acheter un véhicule électrique, etc. ».

Vous citez de nombreux chiffres dans votre livre. D’après les travaux de la direction générale de l’énergie et du climat, en France, la rénovation d’un logement coûte en moyenne 24 000 euros, dont 13 000 pour le changement du moyen de chauffage. Et l’acquisition d’un véhicule électrique, en moyenne, 35 000 euros. Les ménages aux revenus moyens ne peuvent pas se permettre ce genre de coûts, aujourd’hui.

Xavier Desjardins : C’est même quasiment impossible pour les catégories pauvres et populaires. Et pour les classes moyennes, déjà fragilisées par la mondialisation et ses effets, l’inquiétude est là. Donc c’est une classe moyenne fragilisée qui voit avec angoisse monter des dépenses contraintes. Et dans certains discours maladroits, des défenseurs de l’environnement remettent en cause aussi leur mode de vie. On critique des évènements sportifs, des fêtes traditionnelles ou même la cuisson au barbecue. Cela nous semble être de très grandes maladresses. Tout le monde a compris qu’il fallait opérer une transition écologique, mais il faut absolument rassurer les classes moyennes. Et cela peut se faire de deux manières : par un versant productif et en les rassurant sur leur pouvoir d’achat. C’est l’idée qui repose derrière le « pass climat », selon les mêmes modalités que le « pass culture » ou que les tickets restaurant. La dotation permettrait d’acheter ce que l’on souhaite au rayon climat : de quoi rénover sa maison, de quoi acheter une voiture électrique, un vélo ou un abonnement aux transports collectifs.

C’est donc une somme d’argent qui serait donnée. Plus besoin d’attendre des primes pendant des mois, voire des années ?

Xavier Desjardins : C’est dramatique : de nombreuses aides publiques existent, mais elles sont complexes, confuses et difficiles à comprendre. Il faut simplifier cela ! Les gouvernements donnent le plus souvent de l’argent après que les gens ont crié qu’ils avaient mal au porte-monnaie. N’attendons pas que les gens crient ! Avec les véhicules électriques, c’est une évidence que les catégories populaires vont se trouver en grande difficulté. Il n’y a pas besoin d’un prix Nobel d’économie pour se rendre compte que ce n’est pas possible de se payer une voiture électrique quand on est un ménage ouvrier. C’est une évidence ! Il faut absolument prendre les devants, aider avant que surviennent les difficultés, pour rassurer.

Le « pass climat » permettrait à celles et ceux qui n’en ont pas les moyens financiers de mettre le pied à l’étrier de la transition écologique.

© FooTToo/Shutterstock

Et comment financerait-t-on ce pass ?

Xavier Desjardins : David et moi avons beaucoup de points communs. Sinon, nous n’aurions pas écrit ce livre ensemble. Nous exécrons tous les deux la démagogie budgétaire. Vendre des rêves inaccessibles, ce n’est vraiment pas notre tasse de thé. En étant réaliste, il y a trois sources de financement : les aides existantes, l’Union européenne (qui a prouvé au moment de la Covid-19 qu’elle pouvait trouver rapidement 750 milliards d’euros pour aider les entreprises et les ménages) et une taxe sur le patrimoine des ménages les plus riches dont le mode de vie est souvent plus carboné. Nous pensons ainsi pourvoir rassurer les classes moyennes sans leur demander de dépenser plus, en étant prévoyants et sans attendre qu’elles se révoltent encore davantage.

Quand on parle de mesures contre le réchauffement climatique, on a l’impression que la Chine et les États-Unis sont peu concernés et ne fournissent pas beaucoup d’efforts. Vous le démontrez dans votre livre, ils continuent à émettre des gaz à effet de serre en quantité astronomique, mais ils ont entamé une vraie révolution industrielle verte et sont beaucoup plus avancés que l’Europe. Doit-on les prendre pour exemple ?

David Djaïz : Ce ne sont clairement pas des modèles pour nous ! Au contraire, la Chine est même plutôt un repoussoir. Mais il faut être capable d’analyser en détail comment ce pays aborde la question de la décarbonation, non pas pour l’imiter, mais justement pour forger notre propre modèle. La Chine, c’est un pays totalitaire. Le contrôle du parti communiste sur la société, les collectivités, les entreprises se renforce ces dernières années sous la férule de Xi Jinping, alors qu’il y avait eu une libéralisation progressive ces trente dernières années. L’écologie ne fait pas exception à cette règle : le gouvernement chinois a mis en place un système de crédit environnemental des entreprises qui permet de contrôler leur pollution, leur empreinte écologique. Les entreprises qui ne rentrent pas dans les clous sont exclues du système de crédit et condamnées à une forme de mort économique et sociale. C’est une planification écologique « à la schlague ». L’approche chinoise est au service de la suprématie énergétique, technologique et industrielle, avec une politique d’industrialisation massive de tous les équipements de la transition écologique. La Chine a exporté massivement des frigidaires, des téléviseurs et des voitures dans les années 1990 et 2000, profitant de son entrée à l’OMC. Elle compte maintenant exporter en masse des pompes à chaleur, des batteries électriques, des panneaux photovoltaïques et des pales d’éoliennes.

L’intérêt écologique de la Chine est donc opportuniste ?

Bien sûr. La Chine cherche à se positionner comme l’atelier écologique du monde. Mais il y a quand même une volonté de décarbonation. Un tiers de l’électricité d’origine renouvelable produite dans le monde l’a été en Chine. Donc les efforts sont sérieux. La pollution de l’air, épouvantable dans les grandes métropoles chinoises, a quand même baissé de 42 % en dix ans. En 2008, il y avait 1 000 kilomètres de ligne de chemin de fer à grande vitesse en Chine. Aujourd’hui, on en est à 40 000 kilomètres. Par comparaison, la France ne comptabilise que 2 800 kilomètres.

En 2010, la ville de Shanghai était recouverte d’un nuage quasi permanent. La pollution de l’air a enregistré une baisse de 42 % au cours des dix dernières années.

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On laisse tomber la méthode chinoise, qui est autoritaire et totalitaire, mais on s’inspire de ce qu’il y a derrière, c’est bien cela ?

David Djaïz : Les Chinois ont inscrit la transition écologique dans un projet de société. Et même plus qu’un projet de société, un projet national autour du concept de « civilisation écologique ». Bien qu’il soit un peu brumeux, il fait maintenant partie de l’imaginaire nationaliste chinois. De la même manière, les États-Unis, grâce à Joe Biden, ont inscrit l’écologie dans une stratégie de réarmement productif, notamment dans la deuxième guerre froide qui oppose la Chine et les États-Unis. Le plan IRA, Inflation Reduction Act, est un gigantesque effort budgétaire pour subventionner la production d’électricité ou d’énergie décarbonée, l’électrification des transports, l’hydrogène et une partie de la révolution verte. C’est une approche qui peut se mettre en parallèle à celle des Chinois, très protectionniste et fondée sur l’industrie et la technologie.

Les États-Unis en ont profité pour réindustrialiser certaines friches industrielles totalement délaissées.

David Djaïz : Une grande partie des financements va revivifier des zones industrielles. Je pense à la Rust Belt dans le Midwest, des villes comme Columbus, Cleveland, Detroit, Tulsa dans l’Oklahoma, marquées par le déclin industriel depuis la fermeture des grandes usines automobiles dans les années 1980 ou 1990. Joe Biden utilise une formule très frappante qui lui a été soufflée par son conseiller à la sécurité nationale, Jack Sullivan : « Quand je pense au climat, je pense aux emplois. » C’est-à-dire que la politique climatique ne doit pas être conçue comme un caillou dans la chaussure ou comme le sparadrap du capitaine Haddock, comme un catalogue de normes qui tombe sur les secteurs productifs, mais au contraire, à travers les subventions, les investissements, l’effort financier. Elle est mise au service d’une transformation industrielle sans précédent. On a besoin de reformater le Green Deal et de changer la méthode, mais si nous ne faisons pas ce nouveau Green Deal plus social et plus industriel, non seulement nous allons échouer sur le plan climatique et nous ne tiendrons pas nos objectifs – alors que c’est l’avenir de nos enfants et le défi du siècle – mais aussi nous allons encore nous déclasser sur le plan économique et industriel fasse à la Chine et aux États-Unis. Ils ont bien compris que l’enjeu climatique, l’enjeu technologique et l’enjeu industriel étaient liés. C’est d’une révolution obligée qu’il s’agit, révolution à la fois énergétique, industrielle et donc sociétale. Car quand on change la base énergétique d’une société, on change ses manières de produire, de se déplacer, d’habiter et donc on change la société.

Pour vous, une révolution industrielle à la hauteur de celle qu’on a connue au XIXe siècle est incontournable ?

Xavier Desjardins : Oui, tout à fait. Il faut un changement de même ampleur, à deux différences près. La Révolution industrielle fut une succession d’inventions, de conflits et de difficultés sociales qui étaient non finalisées. Aujourd’hui, on a un objectif, celui de sauvegarder la planète, mais le tic-tac climatique rend la révolution plus difficile. Notre livre s’intitule La révolution obligée parce que le changement climatique et les transformations écologiques sont déjà là. Il ne s’agit plus de choisir entre l’action et l’inaction. Le choix qui s’offre à nous est celui d’une révolution ordonnée, négociée et concertée.

  1. David Djaïz est essayiste et enseignant à Sciences Po Paris. Il a été directeur de la stratégie et de la formation de l’Agence nationale de la cohésion des territoires et rapporteur général du Conseil national de la refondation.
  2. Xavier Desjardins est professeur d’urbanisme à La Sorbonne et consultant au sein d’Acadie, une coopérative qui travaille sur les rapports entre politiques publiques et territoires.
  3. Différents produits apportés aux terres et aux cultures, NDLR.

La révolution obligée : pour une transformation écologique concertée et solidaire

Libres, ensemble · 10 février 2024

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