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Pologne : lutte laïque
contre la mainmise cléricale sur l’État

Bożena Przyłuska · Présidente de Kongres Świeckości1

Mise en ligne le 21 novembre 2022

En Pologne, malgré les apparences, la séparation de l’Église et de l’État est loin d’être effective. La mainmise cléricale reste prédominante et le pays de surcroît gouverné par les nationaux-catholiques. Une réalité dont l’impact sur les droits fondamentaux est loin d’être anodin, mais qui dérange de plus en plus de jeunes qui optent massivement pour l’apostasie.

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La Pologne ne respecte pas la liberté de conscience et de religion de ses citoyens. Tout en maintenant la façade et les apparences juridiques de sa séparation d’avec l’Église, l’État a été soumis à une cléricalisation systématique au cours des trente dernières années, pour finalement devenir un État religieux durant les six ans de règne des radicaux catholiques-nationalistes. De fait, l’Église catholique cogouverne la Pologne, exerçant son influence sur toutes les formations de droite et centristes. En conséquence, la doctrine religieuse est désormais partie intégrante de notre législation et sape les garanties internationales des droits humains.

Attaques contre les droits des femmes
et des LGBTQI+

Les femmes, en particulier, ont été sacrifiées sur l’autel de la religion. Leur droit de décider de leur santé et de notre vie leur a été retiré : l’avortement y est presque totalement interdit. Certaines d’entre elles meurent de septicémie dans les hôpitaux parce que les médecins ont peur de leur venir en aide, même lorsque les fœtus sont décédés. La contraception, à l’exception des préservatifs, n’est disponible que sur ordonnance. La clause de conscience n’est pas seulement appliquée par les médecins, mais par des hôpitaux entiers et même des pharmacies, ce qui est théoriquement illégal. Bien entendu, le financement de la fécondation in vitro, méthode condamnée par l’Église, a également été arrêté.

L’attaque contre les femmes ne concerne pas uniquement les droits reproductifs et sexuels. Le gouvernement a lui aussi pris des mesures pour dénoncer la Convention d’Istanbul2. Et les arguments qu’il utilise font référence à une culture prétendument différente, qui est confondue et instrumentalisée de manière interchangeable avec la religion par la droite au pouvoir. Dans le cadre de la régression civilisationnelle et de la restauration de la terreur patriarcale, des obstacles au divorce ont également été introduits.

Les personnes LGBTQI+ souf­frent également en Pologne. Malgré le soutien élevé et croissant du public à la légalisation des partenariats civils et de l’égalité du mariage, les changements dans ce domaine sont bloqués. Notre État n’honore pas les mariages homosexuels contractés à l’étranger, et les procédures d’attribution de numéros Pesel3 aux enfants issus de ces unions sont court-circuitées. En outre, les discours haineux à l’encontre des personnes LGBTQI+ ne sont pas criminalisés en Pologne, alors qu’une campagne de haine est menée dans les églises et dans les médias d’État, ce qui entraîne une polarisation, une escalade et une augmentation des actes de violence.

Les artistes, les publicistes et les militants sont persécutés pour toute expression de désapprobation des activités de l’Église. L’article du Code pénal relatif à l’insulte des soi-disant sentiments religieux, c’est-à-dire le blasphème, pour lequel la peine peut aller jusqu’à deux ans de prison, est utilisée pour réprimer les individus et les groupes critique de la religion.

Alliance gouvernement, Église et mouvements ultraconservateurs

Toutes ces manifestations de fondamentalisme sont le résultat d’une étroite collaboration entre l’Église, la droite et les ultraconservateurs du réseau Agenda Europe, qui testent depuis plusieurs années en Pologne, comme sur un terrain d’entraînement, leur concept de « restauration de l’ordre naturel », c’est-à-dire le patriarcat radical. Ces organisations ultraconservatrices qui s’attaquent aux femmes et aux personnes LGBTQI+ apportent un soutien juridique à la droite au pouvoir, développent des écoles pour former des cadres de l’éducation, organisent des collectes de signatures pour des campagnes de haine et poursuivent leurs adversaires politiques en justice pour tenter de les intimider. Ils utilisent délibérément des mensonges et contournent la loi.

De nombreuses enquêtes prouvent que les Polonais.es ne veulent pas que le culte catholique – y compris la religion à l’école – soit financé par des fonds publics. Selon les chiffres fournis par l’Église elle-même, seul un.e Polonais.e sur quatre est pratiquant.e.

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Des privilèges exorbitants pour l’Église catholique

En outre, la pratique n’est en général pas conforme au droit, ce qui aide grandement les fanatiques religieux. En théorie, la Constitution nous garantit la liberté de conscience et l’impartialité de l’État en matière de croyance religieuse, et personne ne peut être contraint de révéler sa vision du monde religieuse ou de participer à des pratiques religieuses. Mais en même temps, les cours de religion sont souvent organisés entre des cours obligatoires, contrairement au droit, et le contenu religieux est présent dans les manuels scolaires pour la plupart des sujets. Dans les cérémonies d’État et les institutions publiques, telles que les écoles, les administrations ou les hôpitaux, le symbolisme et les rituels religieux sont omniprésents.

En théorie, la Constitution polonaise garantit l’égalité des droits pour tous, mais l’Église catholique est explicitement favorisée par rapport aux autres associations religieuses, et les organisations non confessionnelles sont discriminées. Des organisations issues de la société civile comme le Congrès de la laïcité doivent tenir des rapports financiers, tandis que les Églises en sont totalement exemptées en Pologne. Elles sont également presque entièrement exonérées de l’impôt sur le revenu, simplement en affectant les revenus à des « fins cultuelles » non spécifiées.

L’argent afflue dans les caisses de l’Église catholique sous la forme de salaires pour les catéchistes et les aumôniers employés dans les institutions publiques, de subventions accordées par le biais d’entreprises d’État, de la Sécurité sociale versée au clergé, mais aussi d’exonérations fiscales, de remises allant jusqu’à 100 % sur l’achat de terrains appartenant à l’État et de concessions pour la diffusion de médias.

Une société qui se sécularise à grande vitesse

Compte tenu de l’état actuel du droit et des pratiques garantissant l’omnipotence de la religion dans la vie publique, on pourrait être amené à croire qu’il s’agit simplement de la volonté de la majorité de la société. Mais ce n’est pas du tout le cas. De nombreuses enquêtes prouvent que les Polonais, hommes et femmes, ne veulent pas que l’Église – y compris la religion à l’école – soit financée par des fonds publics, n’acceptent pas l’ingérence de l’Église dans la vie politique et la plupart ne vont même pas à l’église. Selon les chiffres fournis par l’Église elle-même, seuls environ une Polonaise sur quatre et un Polonais sur quatre sont pratiquants. Qui plus est, selon une étude internationale réalisée en 2018 par le Pew Research Center, les jeunes Polonaises et les jeunes Polonais sont les leaders mondiaux du déclin religieux sur 108 pays étudiés.

Comment se fait-il donc qu’une société plutôt progressiste et en voie de sécularisation soit confrontée à de tels reculs des droits humains, et pourquoi la loi existante ne répond-elle pas aux attentes des citoyennes et des citoyens ? L’une des raisons est l’État de droit – un concordat a été conclu avec le Saint-Siège, comme prévu par la constitution polonaise elle-même. De nombreux changements attendus par la société ne peuvent être introduits, car ils seraient incompatibles avec le concordat, c’est-à-dire également avec la Constitution. Exemple d’un tel changement : le retrait des cours de religion des écoles. La deuxième raison est le bétonnage du système de pouvoir de droite lié à l’Église, qui a été établi dans les années 1980 pendant l’ère de Solidarité et dont la déconstruction est maintenant entravée par la corruption – les politiciens achètent le soutien politique de l’Église en échange de propriétés, de concessions et d’autres gratifications. À cause de ce mécanisme, le pouvoir de l’Église tient bon, malgré la sécularisation rapide de la société.

Mais la situation est en train de changer. L’oppression religieuse accrue a l’effet inverse de celui escompté. Les jeunes générations de Polonais sont des citoyens européens qui résistent totalement à l’endoctrinement religieux. Certes, il y a encore une grande proportion de personnes qui considèrent le catholicisme comme une part importante de leur identité, mais cela n’est pas lié à la religiosité ou à l’adhésion à l’enseignement catholique. La dissimulation préméditée des crimes pédophiles par les évêques et l’absence totale de coopération avec la justice constituent une image de dégénérescence morale qui a eu un grand impact sur la majorité de la population. En plus de cela, les lois restrictives sur l’avortement, la discrimination brutale de la communauté LGBTQI+ et la violence symbolique religieuse omniprésente ont entraîné une apostasie massive et sans précédent au cours des deux dernières années4.

Vers un État laïque

La séparation de l’Église et de l’État a figuré à l’ordre du jour de la plupart des partis d’opposition ces dernières années et s’est élevée au rang de défi majeur. La laïcité a été intégrée au débat sur la démocratie et l’État de droit, et l’anticléricalisme est considéré dans des cercles de plus en plus larges comme un devoir civique. C’est pourquoi, en tant que Congrès de la laïcité, malgré la situation politique très difficile, nous regardons l’avenir avec optimisme et poursuivons patiemment nos objectifs.

En tant qu’association citoyenne de terrain, nous menons depuis cinq ans des activités de vulgarisation des connaissances sur l’état des relations entre l’État et l’Église et nous influençons les programmes et les projets des partis politiques. Notre objectif est de faire prendre conscience au public et aux politiciens de l’importance et de l’ampleur du défi auquel nous sommes confrontés si nous voulons en Pologne une véritable démocratie respectant les droits fondamentaux, ce qui n’est pas possible sans la séparation de l’Église et de l’État.

Aujourd’hui, la Pologne ne dispose pas d’une institution qui surveillerait le respect des lois garantissant la laïcité de l’État, l’influence de la religion et des Églises sur la vie sociale et politique et qui inspirerait des changements juridiques visant à renforcer la protection de la laïcité et de la culture démocratique. La création d’une telle institution, en plus des activités éducatives et politiques en cours, est notre objectif stratégique.

  1. Association polonaise dont le nom se traduit par Congrès de la laïcité.
  2. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la Pologne en 2015.
  3. Équivalent du numéro de Registre national.
  4. Il n’existe pas de données officielles, mais c’est devenu un phénomène de masse depuis 2020. Plusieurs études et sondages montrent que la pratique religieuse est en déclin régulier.

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