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Pollution au plastique :
un bidonville de Bangkok s’attaque au problème

Valeria Mongelli · Journaliste

Mise en ligne le 1er décembre 2023

Lorsqu’un incendie a brûlé leurs maisons, les habitants ont décidé qu’il était temps de changer. Koh Klang, une petite communauté située près d’un bidonville de Bangkok, avait la réputation d’être une zone sale et pollluée. Il y a quatorze ans, le tragique accident a déclenché un changement de comportement. Aujourd’hui, Koh Klang est un exemple pour le reste de la ville. Deux femmes ont mené cette petite révolution.

Photo © Valeria Mongelli/Hans Lucas

La communauté de Koh Klang est située non loin de Sukhumvit, l’une des rues principales de la capitale thaïlandaise. C’est une artère animée, le bruit des klaxons y est incessant. En arrivant, on a l’impression d’entrer dans une autre dimension. Les enfants empruntent à vélo les ruelles silencieuses qui longent le canal. Pourtant, dans cette oasis de tranquillité forte de 230 âmes à quelques kilomètres seulement de la bruyante ville, la situation était différente il y a peu de temps encore.

Les habitants disent que jusqu’en 2009 Koh Klang avait la réputation d’être une zone dégradée. Les résidents jetaient leurs déchets dans le canal et le trafic de drogue était répandu. Le 22 septembre de cette année-là, un incendie a détruit quarante maisons. D’après des sources locales, l’incendie était volontaire. Les autorités avaient arrêté le prétendu coupable, un homme qui avait été en prison plusieurs fois pour des problèmes de drogue. L’accident n’avait causé ni morts ni blessés.

La maison de Jurairat « Ew » Kreupiman a été détruite pendant l’accident. Mae Ew, comme tout le monde l’appelle1, est maintenant femme au foyer, elle a 57 ans, de grandes lunettes de soleil cachent son regard bienveillant. Elle raconte que lorsque l’incendie s’est produit, elle habitait avec sa famille élargie. Elle évoque le choc qu’elle avait ressenti en regardant sa maison brûler, mêlé de rage et de tristesse. Elle avait également perdu tout ce qu’elle possédait. « Mais j’ai essayé de transformer la douleur en force motrice de changement pour la communauté », se souvient-elle.

Phongsri « Joy » Sonkhum, elle, a 55 ans, les cheveux courts teints en rouge. Elle était là aussi quand l’incendie a eu lieu. Le feu n’a pas touché sa maison, mais elle s’est investie personnellement. Cela a renforcé sa relation avec Mae Ew. Les deux femmes, qui habitent à Koh Klang depuis plus de trente ans, sont liées par une amitié profonde. « On est comme des sœurs », dit Mae Joy. « Nous parlons la même langue et avons la même vision des choses. » Après le drame, elles ont été promotrices d’une révolution durable.

L’évolution écologiste de la communauté

Dans les années suivant l’incendie, Koh Klang est devenue un modèle pour le reste de la ville. Mae Ew et Mae Joy montrent avec fierté les projets écologiques que la communauté a mis en place. En plusieurs endroits, les résidents ont installé des stations de tri des déchets, qui sont ensuite réutilisés le plus possible. En collaboration avec le groupe Precious Plastic Bangkok, les habitants de Koh Klang ont fait des déchets plastiques une activité commerciale. Precious Plastic travaille avec les communautés locales pour collecter et recycler les déchets plastiques afin de les transformer en nouveaux produits. Leurs machines déchiquettent, fondent et moulent les déchets plastiques pour leur donner de nouvelles formes créatives, comme des bols, des tasses ou des meubles. Les habitants vendent ensuite ces articles et utilisent les recettes pour subvenir aux besoins de leur famille et de leur communauté.

Koh Klang possède un centre de recyclage et d’apprentissage où les résidents collectent, trient et travaillent le plastique grâce aux machines fournies par Precious Plastic. Par ailleurs, le biogaz qui alimente la cuisine commune est issu des biodéchets. Des bouteilles en plastique trouvent une nouvelle vie en devenant des pots où l’on fait pousser des champignons, fertilisés avec un engrais organique à base de résidus alimentaires secs et de feuilles. La maison de Mae Ew a été reconstruite et repeinte en bleu clair. La communauté s’est également employée à améliorer la collecte de ses déchets par la municipalité. « Il y a encore quelques années, ils jonchaient le sol et cela sentait très mauvais », commente Mae Joy. « Depuis qu’on a amélioré la gestion des ordures, cela va beaucoup mieux. La qualité de l’eau dans le canal est meilleure aussi. Il s’agit d’un énorme progrès par rapport au passé. »

En mars dernier, Koh Klang a présenté le Centre d’apprentissage sur les déchets de Koh Klang : maximiser les avantages des déchets, un projet réalisé en collaboration avec la ville de Bangkok et d’autres partenaires. D’après Dow Thailand, Koh Klang a livré 7,09 tonnes de matériel recyclable en 2022. Les ménages participant à l’initiative ont réduit la quantité de déchets de plus de 50 %. Les revenus tirés du recyclage ont atteint la somme de 107 400 bahts (soit environ 2 764 euros)2.

Jusqu’en 2009, le fleuve regorgeait de déchets. À présent, il est régulièrement dragué, et le plastique est séparé des végétaux avant sa revalorisation.

© Valeria Mongelli/Hans Lucas

Le projet Precious Plastic Bangkok

En 2012, aux Pays-Bas, Dave Hakkens, un étudiant en design, s’attelle au projet Precious Plastic. Les prototypes des machines de recyclage font partie de son projet de fin d’études. Hakkens met au point une technologie open source qui permet à n’importe qui de reproduire les machines pour recycler ses déchets de manière créative. Precious Plastic est aujourd’hui un projet d’envergure mondiale auquel adhèrent des communautés disséminées partout dans le monde.

Dominic Chakrabongse est le directeur général de Precious Plastic Bangkok. Ce jeune homme de 32 ans d’origine britannico-thaïlandaise s’est formé à la London School of Economics et a fait ses premières armes dans le milieu du développement durable. Quand il a fondé son entreprise en 2018, son objectif était de créer une initiative du bas vers le haut. « Quand j’ai fait construire la première machine à Bangkok, le but était de remplir un gap que le gouvernement et les corporations avaient ignoré auparavant, surtout chez les communautés les moins accessibles », explique-t-il. « Je voulais leur donner les outils nécessaires pour participer eux-mêmes à la gestion des déchets. Ainsi, ils peuvent collecter le plastique et le transformer en quelque chose de cool, le vendre et en tirer un bénéfice financier. »

Aujourd’hui, Precious Plastic travaille avec dix communautés en Thaïlande. L’organisation a aussi mis en place son propre centre de collecte, tri et recyclage des déchets plastiques. Une partie importante de son engagement auprès des communautés consiste à leur faire prendre conscience de l’importance des gestes écologiques. « Nos machines sont là pour provoquer un changement de comportement, pour modifier la perception des gens sur le plastique en général. Je ne les considère pas comme une pure technologie de recyclage, mais comme des outils de sensibilisation », commente Chakrabongse.

Les habitants de Koh Klang ont fait des déchets plastiques une activité commerciale. Collectés et recyclés, ils sont ensuite fondus pour leur donner de nouvelles formes, comme des bols, des tasses ou des meubles.

© Valeria Mongelli/Hans Lucas

Un problème continental

L’Asie du Sud-Est est l’une des principales régions au monde responsables de la pollution au plastique. D’après un rapport récent de la Banque mondiale3, les déchets mal gérés en Thaïlande pèsent environ 428 kilotonnes par an malgré un taux de collecte et de recyclage des ordures solides municipales assez élevé (88,8 %). Bangkok produit 18,4 % de ces déchets plastiques mal gérés. Une grande quantité de détritus non collectés finit dans les cours d’eau.

En 2019, le gouvernement thaïlandais a publié une feuille de route concernant la gestion des déchets plastiques d’ici 2030. L’un des objectifs principaux est l’élimination du plastique à usage unique. Cependant, d’après Chakrabongse, le pays est loin d’atteindre cet objectif : « Évidemment, la Covid-19 a représenté un grand retour en arrière, puisqu’elle a provoqué la prolifération du plastique à usage unique au nom de l’hygiène. » Il faudrait aussi poursuivre le travail de sensibilisation des citoyens. « La conscience générale est plus marquée, mais l’évolution est lente. »

  1. Mae, dont la signification littérale est « mère », est un appellatif que l’on réserve aux femmes d’un certain âge en Thaïlande. Il s’agit d’une forme de respect.
  2. « Dow joins hands with BMA to promote Koh Klang Community-Integrated Waste Management Learning Center; offering a free handbook for other communities », communiqué de presse de Dow Thailand, 10 mars 2023.
  3. The World Bank, « Plastic Waste Material Flow Analysis for Thailand », 23 mars 2022.

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