Là-bas
Plus d’éthique
face à la précarité
Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 13 septembre 2024
Empathie, respect, sens profond de la justice et de l’innovation sont les mots-clés de l’ONG Friendship qui propose son aide aux populations précarisées du Bangladesh, pays parmi les plus pauvres de la planète et particulièrement affecté par les changements environnementaux. Le combat contre la pauvreté mené par Runa Khan, fondatrice et présidente de Friendship, s’entremêle à celui pour la préservation de l’environnement.
Photo © Morshed Alam/Shutterstock
Pouvez-vous nous dire quels sont les objectifs de Friendship ?
Il s’agit d’une organisation à vocation sociale qui s’efforce d’atteindre les communautés les plus reculées afin de leur apporter de la dignité et de l’espoir. Nous travaillons avec quatre objectifs : sauver des vies, s’adapter aux changements de l’environnement et du climat, réduire la pauvreté et autonomiser les populations.
L’une des clés de votre travail et de votre message, c’est l’espoir. N’est-ce pas difficile d’utiliser ce mot face à ce qu’il se passe dans le monde, que ce soit en Asie du Sud-Est que vous connaissez ou en Ukraine ?
Nous sommes tous très petits dans ce cosmos. Il faut avoir l’humilité d’accepter que nous ne soyons qu’un petit point dans l’Univers. Mais nous avons une responsabilité : celle de faire de notre mieux, en toute conscience, sans nous laisser submerger par la négativité de ce monde. Vous devez chaque jour vous lever et vous dire que vous faites de votre mieux. Et si vous faites cela, vous verrez les petits changements que vous apportez, sans vous laisser dépasser par les problèmes mondiaux sur lesquels vous n’avez pas prise. Nous essayons d’apporter de l’éducation, des moyens de subsistance aux personnes, sachant qu’il faut vivre avec ces petits bonheurs, faire notre part avec nos capacités. C’est ce qui maintient mon esprit vivant et mon espoir.
C’est votre définition du pouvoir de la résilience ?
C’est plus qu’un pouvoir de résilience, je pense ; c’est le pouvoir du courage, le pouvoir de la foi, de la sensation profonde que les êtres humains veulent fondamentalement être bons. Vous savez, la bonté, c’est un mot fort sous-utilisé, mais c’est un mot très, très important, comme l’amour. Je pense que l’étincelle de la bonté est ce qui pousse l’humanité à être ce qu’elle est.
La précarité est criante au Bangladesh et dépasse de loin celle des autres pays. La Belgique est vue comme un pays riche, mais finalement, il y règne aussi une certaine précarité. Quelle est votre vision face à ces différences ?
Il y a quelques années, j’ai décidé que je ne dirais plus « pays riche » et « pays pauvre » parce que nous avons des milliardaires, vous avez des milliardaires ; vous avez des gens dans la rue, nous avons des gens dans la rue… Donc, finalement, le monde est divisé entre riches et pauvres et pas entre pays riches et pays pauvres. En quelque sorte, nous sommes plus en avance en matière de résilience que vous car nous avons dû nous adapter, trouver des solutions tout en respectant les propositions autochtones. Travailler avec la vie, c’est être sur un fil, un fil entre la vie et la mort, et savoir comment s’adapter. Et l’argent n’est qu’un outil permettant d’atteindre ses objectifs. Cela ne peut pas être un but.
L’entrepreneuse sociale bangladaise Runa Khan a fondé l’ONG Friendship en 1998. Forte d’un développement international, elle a ouvert une antenne belge en 2019.
© Sandra Evrard
Vous soutenez le concept de One Health (que l’on traduit en français pas « santé circulaire »). Quel regard portez-vous dessus et pourquoi cela vous intéresse-t-il ?
Le monde dans lequel nous vivons est un ensemble. One Health, c’est une forme de respect pour tous. Cela consiste aussi à rappeler que nous avons tous droit à cette planète, tant les êtres humains que les animaux, les arbres et les plantes ; tout ce qui vit est titulaire de droits. Vous ne pouvez pas réellement développer une solution de manière isolée. C’est ainsi que, même avant d’avoir entendu parler de ce concept, j’ai commencé à travailler avec Friendship dans cette optique, puisque nous ne travaillons finalement jamais avec des projets ; nous travaillons avec les communautés pour atteindre un certain idéal de vie, qui consiste entre autres à gravir des échelons sur le plan du pouvoir d’achat des populations, de la santé, de l’éducation et de la formation. Les communautés ont besoin pour cela d’autonomisation de leurs compétences, pour gagner leur vie, mais en gardant le respect de l’environnement à l’esprit, pour éviter un retour de flamme. Parce que dès qu’on n’a plus l’environnement en tête, il nous écrase. Regardez ce petit germe appelé « coronavirus », il a écrasé le monde entier ! One Health, c’est une jolie expression, mais cela va bien au-delà, car nous ne sommes qu’une partie d’un tout.
Est-il possible selon vous de mener à la fois une transition sociale et environnementale ?
Il faut prendre un peu de recul face à toute cette colère et ce jeu de reproches qui se déroule dans ce monde entre ceux qui contribuent plus ou moins fortement au changement climatique et les exigences de financement des conséquences par d’autres. En Europe, vous avez déjà atteint un stade de développement, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de nos pays du tiers monde. Pourquoi voulons-nous atteindre cet objectif ? Parce qu’aujourd’hui, par exemple, les Pays-Bas disposent de 3 600 $ par personne pour la santé, contre environ 67 centimes au Bangladesh. Nous avons donc besoin d’aide. Pour donner à chaque être humain sur cette planète le droit et l’accès à un certain socle à partir duquel il peut décoller, il est important que nous nous développions aussi maintenant. Le problème, c’est que des changements se sont produits et que le climat est devenu une question fondamentale. Et ce n’est pas parce que nous ne nous sommes pas développés que, pour cela, nous devons nous développer dans le mauvais sens. Nous devons assimiler la connaissance technologique, au lieu de nous plaindre ou de blâmer, et travailler ensemble pour assurer notre développement, sans nuire à la planète. C’est possible. Nous allons sur la Lune, nous allons sur Mars, nous avons inventé une technologie qui dépasse l’entendement et vous ne pouvez pas sortir quelques milliards de personnes de la pauvreté en leur donnant de la nourriture, un abri, un peu de dignité et un peu d’espoir ? Nous exigeons de faire partie de l’humanité, et cette dernière a besoin d’un socle pour pouvoir évoluer, car il n’est tout simplement pas pensable que des milliards de personnes ne mangent pas. Il faut que le monde se développe avec un peu d’équité et de justice.
Le Bangladesh partie des pays les plus vulnérables aux catastrophes liées au changement climatique. Les pluies de mousson y causent chaque année des dégâts considérables. En août dernier, 4,5 millions de Bangladais ont vu leur quotidien affecté par les inondations.
© Sk Hasan Ali/Shutterstock
Si vous deviez changer une chose concernant l’avenir de cette planète, que choisiriez-vous ?
J’approfondirais un peu plus l’éthique et les valeurs humaines, et je formerais les gens.
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