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Pacte culturel :
une loi momifiée ?

Julie Luong · Journaliste

Mise en ligne le 6 juin 2023

Le Pacte culturel fête ses 50 ans. Née dans une Belgique marquée par la pilarisation, cette loi vise à garantir le pluralisme idéologique et philosophique dans les institutions culturelles publiques. Mais à l’heure où les acteurs socioculturels se regroupent autour d’autres sensibilités – défense de l’environnement, droits de l’homme, pauvreté, migration… –, le Pacte permet-il encore d’assurer la non-discrimination des utilisateurs ?

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La loi du 16 juillet 1973, dite « loi du Pacte culturel », repose sur un principe simple et fédérateur : pour lutter contre les discriminations et pour garantir le pluralisme, il faut associer les différentes tendances idéologiques et philosophiques dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Apparu dans un contexte où la Belgique était encore très structurée par les « piliers » catholique et laïque, ce dispositif mériterait probablement des adaptations.

Une société dépilarisée

« Ce monde-là est fini », estime Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel et auteur d’une thèse sur le Pacte culturel1. « Depuis longtemps, je dis que cette loi est dépassée mais qu’il ne faut pas pour autant tout jeter. En revanche, il faudrait la réviser pour lui éviter de se momifier », nous explique-t-il. Car l’architecture institutionnelle du pays a changé, même si « la pilarisation n’a pas disparu », comme il le rappelle dans une publication récente2 : « Elle demeure vivante, surtout dans les domaines de l’enseignement et des soins de santé, dans les syndicats et les mutualités (moins pour les usagers qui cherchent seulement le meilleur service), alors que le secteur de la culture au sens étendu est largement dépilarisé, surtout en Communauté flamande. Selon bien des analystes, les organisations proches des mondes sociologiques traditionnels (chrétien, socialiste et libéral) sont devenues des clusters de pouvoir dans un jeu de pouvoir plus que l’expression de convictions idéologiques et philosophiques. »

Tendances culturelles

« Tous les partis politiques, en ce compris les partis opposés au départ à la pilarisation, ont intérêt à maintenir cette loi car elle est la garantie d’une représentation proportionnelle à leur nombre d’élus dans tous les conseils, organes consultatifs et organes de gestion associés de près ou de loin à la politique culturelle », poursuit Hugues Dumont. Néanmoins, pour mettre fin à « l’amalgame entre les tendances philosophiques et idéologiques » et assurer la démocratie participative, il conviendrait de créer une troisième catégorie : les tendances culturelles. « Car s’il y a un point sur lequel la pilarisation est incontestablement dépassée, c’est bien la présomption selon laquelle tous les acteurs culturels peuvent en principe s’identifier sans peine à l’une des tendances politiques représentatives ou par référence au clivage chrétien/laïque. »

« Selon bien des analystes, les organisations proches des mondes sociologiques traditionnels (chrétien, socialiste et libéral) sont devenues des clusters de pouvoir dans un jeu de pouvoir plus que l’expression de convictions idéologiques et philosophiques. »

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Un Pacte passéiste

Louable dans ses fondements, la loi du Pacte culturel serait largement inadaptée aux mutations de la société civile. « De plus en plus nombreux sont les acteurs de la vie socioculturelle dans des domaines comme la défense de l’environnement, les droits de l’homme, la pauvreté ou le sort des réfugiés, qui ne peuvent plus se reconnaître dans des catégories héritées du XIXe siècle », estime Hugues Dumont. Environ 50 % des plaintes introduites par des utilisateurs auprès de la CNPPC (Commission nationale permanente du Pacte culturel) entre 1975 et 2019 l’ont ainsi été par des groupements identifiés comme neutres ou pluralistes. « De plus en plus de personnes, surtout des jeunes, tournent le dos à l’obligation de se reconnaître idéologiquement dans une tendance. Les clivages croyants/libres-penseurs, droite/gauche, etc., sont de moins en moins relevants », observe Guy Redig, professeur à la VUB, cité par Hugues Dumont3.

Politisation de la culture

Des groupes engagés pour la défense des personnes migrantes peuvent par exemple avoir des conceptions différentes de l’accueil « et pouvoir être chacun représenté sans devoir passer par la tendance chrétienne ou laïque », avance Hugues Dumont, qui s’indigne que des subsides aient pu être accordés très longtemps à certaines organisations selon le nombre d’élus qui les représentaient supposément. « C’est une situation assez aberrante qu’on ait pu par exemple octroyer des subsides aux scouts en fonction du nombre de conseillers communaux CDH, en postulant qu’ils se reconnaissaient dans ce parti », soutient-il. Même imparfaits, des critères tels que le nombre de groupements actifs sur le terrain, le nombre d’adhérents, le fonctionnement démocratique de la structure, le rapport d’activité, etc., peuvent en effet présider de manière plus neutre à l’octroi de subsides. « Dans tous les cas, il faudrait éviter la politisation de la culture. Il est bon d’avoir dans le cadre de l’administration de la culture l’un ou l’autre expert dont on ne demande pas qu’il se range sous l’une ou l’autre étiquette… Or le Pacte suppose qu’on étiquette tout le monde ! C’est pour ça qu’il y a une forme de violence dans cette loi. »

L’autonomie culturelle, une chasse gardée

Pour l’heure, les velléités de révision du Pacte culturel se sont toujours heurtées à des obstacles « révélateurs d’un système politique qui arrive au bout de ses possibilités », estime Hugues Dumont. Car la révision constitutionnelle de la loi du Pacte culturel supposerait une entente parlementaire et gouvernementale entre néerlandophones et francophones sur un sujet relevant de la « sacro-sainte autonomie culturelle des Communautés » : « Ainsi, le constituant montrerait que la citoyenneté fédérale belge peut encore s’articuler avec les autonomies communautaires et régionales de manière dynamique. Dans ce contexte, la mission pourrait alors revenir à chaque Communauté, pour ce qui concerne le domaine des matières culturelles, de réécrire la loi du Pacte culturel sans en compromettre les acquis et en se hissant au niveau des exigences constitutionnelles de la démocratie participative », imagine Hugues Dumont. Un horizon incertain dans une société qui poursuit pourtant sa mue à grande vitesse.

Centres culturels : de la non-discrimination à l’inclusion

« Les centres culturels sont le lieu par excellence d’application du Pacte », souligne Hugues Dumont. C’est là aussi que la diversification et la prise en compte des tendances culturelles prennent tout leur sens. « Si vous êtes dans l’art plastique ou dramatique, cela pourra correspondre à des courants artistiques », développe-t-il. Selon Édith Grandjean, directrice du centre culturel Wolubilis, l’objectif de non-discrimination du Pacte est aujourd’hui transcendé par un objectif plus large d’inclusion de l’ensemble des utilisateurs et des citoyens. « Le décret de 2013 sur les droits culturels s’inscrit dans la philosophie du Pacte culturel mais met l’accent sur l’inclusion et la participation des publics, rappelle-t-elle. Les droits culturels, c’est aussi défendre les minorités, par rapport au genre ou à l’origine, et favoriser la participation active des publics et des citoyens dans une optique de démocratie culturelle et de démocratisation de la culture. Par exemple, dans les bibliothèques, on va considérer que ce qui est important, ce n’est pas le nombre de livres de la collection, mais le développement d’une pratique langagière. » Parce que la composition des instances des centres culturels se base notamment sur les principes du Pacte culturel, les logiques événementielles, qui s’adressent à un très large public, peuvent demeurer notables. « Si vous organisez des ateliers sur les codes de la féminité avec uniquement des adolescentes assignées “fille” à la naissance, vous êtes sur des actions beaucoup plus spécifiques avec une visée d’expression autre que sur des logiques événementielles. Les retombées et impacts sont différents et s’inscrivent dans une logique de développement à long terme », illustre Édith Grandjean. Des actions spécifiques plus difficiles à visibiliser et qui débordent là encore de l’ancienne grille de lecture idéologique et philosophique…

  1. Hugues Dumont, Le Pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, volume 2 : de 1970 à 1993, Bruxelles, Bruylant/Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, 603 p.
  2. Hugues Dumont, « La loi du Pacte culturel : enjeux anciens, nouveaux défis », dans Courrier hebdomadaire du CRISP, 2022/20, no 2545, 50 p.
  3. Guy Redig, « Het Cultuurpact. Afgewogen vrede », dans L’idée. Verbeeld de toekomst, Berchem, EPO, 2021.

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