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Obligation vaccinale :
de quelle urgence
est-il question ?

Guillaume Lejeune · Animateur philo au CAL/Charleroi

Mise en ligne le 14 février 2022

Si, dans le cadre de la Covid-19, l’obligation vaccinale, à l’instar du pass vaccinal, semble de moins en moins à l’ordre du jour de l’agenda politique belge, elle n’est encore que reportée eu égard au personnel soignant. Que faut-il dès lors en penser d’un point de vue laïque ?

Quand il est question des vaccins, trop souvent, ce qui domine en lieu et place d’un débat, ce sont des convictions tranchées. Tout le monde se juge, sans souci critique. Il n’est plus lieu de savoir si l’on a raison, mais de persuader l’autre qu’il a tort. Plus que jamais, il faut ici rappeler qu’en l’absence d’évidence absolue en matière de médecine, les choix individuels et sociétaux doivent être entendus avec nuance en évitant tout pathos inutile.

Si les débats sont souvent houleux, c’est parce que certains médias et politiques octroient une tournure morale aux propos. Les opposants à la vaccination seraient égoïstes. Il est vrai que si la liberté est une valeur fondamentale, il paraît difficile de la concevoir de façon isolée sans référence au social. Mais cela ne signifie pas que toute réticence aux vaccins soit nécessairement individualiste.

La solidarité en ligne de fond

Booster la vaccination dans les pays nantis, est-ce équitable tant que certains pays n’y ont que difficilement accès (inégalités Nord-Sud) ? La vaccination ne fait-elle pas dépendre la santé publique du domaine privé ? Voilà autant de questions qui montrent que les réticences à une obligation vaccinale peuvent se fonder sur l’idée d’une solidarité constitutive de ce qui fait la valeur de l’humain et rejoindre en cela les motifs de ceux qui prônent d’un point de vue moral la vaccination.

En fait, dans ce cas, le dissensus concerne moins le principe que la façon dont les conséquences sont à entendre. Certains perçoivent dans le vaccin un moyen d’atteindre une immunité collective ou, du moins, d’endiguer la vague d’hospitalisations, d’autres y voient une manipulation en vue de remplir les poches des big pharma. Comment faire la part des choses quand les intérêts privés se mêlent à la question du bien public ? Aujourd’hui, une législation en vue de l’obligation vaccinale se fait moins urgente du fait que le variant Omicron a remis en cause la durabilité du vaccin et son efficacité en matière de transmission.

Répondre aux questions essentielles

Mais si les circonstances changeaient, l’obligation pourrait revenir sur la table des négociations. Il importe dès lors de se donner des principes pour rendre possible un débat décomplexé sur l’obligation vaccinale. Il me semble qu’il faut tout d’abord faire preuve de circonspection. Le projet de rendre obligatoire la vaccination contre le coronavirus, tant que l’autorisation de mise sur le marché des vaccins contre la Covid n’est que temporaire, doit se faire avec beaucoup de vigilance et ne peut se justifier qu’en vertu de la gravité de la situation globale. Le passage de la vaccination d’un groupe cible à une vaccination massive doit être évalué dans le respect des singularités. Faut-il obliger toute la population à se faire vacciner ou le faire seulement à partir d’un certain âge ? Ceux qui ont acquis une immunité en contractant le virus, doivent-ils, aussi longtemps que dure cette immunité, tomber sous l’obligation vaccinale ? Enfin, et c’est là l’essentiel, il faut de la transparence quant à la mise en œuvre de la vaccination (audits, détail des coûts, gestion des stocks, etc.). Faute de quoi, l’adhésion aux mesures ne sera que l’expression d’une servitude volontaire ou d’un désintérêt face à la chose publique.

De l'adhésion légitime

Cette notion d’adhésion en vogue aujourd’hui dans les discours politiques et médiatiques semble indiquer que le peuple n’est pas souverain, mais que le pouvoir en place se soucie de son acceptation. Le gouvernement tâte alors le terrain, il cherche à gagner les faveurs du peuple, à le séduire pour pouvoir mieux le conduire. Mais il ne s’attache pas à comprendre comment une adhésion légitime peut être obtenue. Pour ce faire, une réflexion sur les conditions d’une confiance éclairée vis-à-vis de la science disponible est nécessaire. La proposition de Marius Gilbert, bien que difficile à mettre en œuvre, va d’ailleurs en ce sens. Un dialogue des personnes réticentes avec leur médecin traitant permettrait une meilleure information. Mais la question de l’information n’est pas que médicale, elle est aussi politique. Il faut rendre la science accessible et contrôlable en rendant publique l’identité de ceux qui la font et en la protégeant des intérêts privés.

Plus de transparence

Dans quelle mesure les experts entendus lors de la commission parlementaire sur l’obligation vaccinale sont-ils exempts de conflits d’intérêts liés à l’industrie pharmaceutique ? Pourquoi n’a-t-on pas accès aux livrables de McKinsey alors que cette société a pesé de tout son poids dans l’adoption d’une solution vaccinale à la crise ? À défaut d’avoir une réponse claire à ce type de question, l’opinion publique risque bien de demeurer, longtemps encore, divisée. Il devient évident qu’une réglementation plus transparente en matière de consultance publique et qu’un refinancement de la recherche fondamentale à même de garantir la neutralité des chercheurs constituent, finalement, l’urgence !

  1. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social (1762), précédé d’un essai sur la politique de Rousseau par Bertrand de Jouvenel, Fayard, coll. « Pluriel », 2015. Les citations sont respectivement issues des pages 306, 304-305 et 305.

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