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Moldavie,
terre d’accueil
et pays en sursis

Valeria Mongelli · Journaliste et photographe

Mise en ligne le 25 mai 2022

La Moldavie, l’un des pays les plus pauvres d’Europe, accueille la plus grande concentration de réfugiés ukrainiens par habitant. Avec une économie durement frappée par la guerre en Ukraine, cette petite république ex-soviétique est coincée entre deux forces : l’ombre du géant russe, dont elle dépend toujours en matière économique et politique, et l’aspiration à rejoindre l’Union européenne. L’accueil des Ukrainiens rapprocherait-il la Moldavie du rêve européen ?

Photo © Shutterstock

« Quand la maison des voisins a été endommagée par les bombardements, maman a décidé de partir. » Albina Fursa regarde Valeria, sa petite sœur de 3 ans, jouer avec d’autres enfants dans le centre d’accueil pour réfugiés ukrainiens Moldexpo, situé à la sortie du centre de Chişinău Elle a 13 ans et de longs cheveux châtain clair coiffés en queue de cheval. C’est la première fois qu’elle voyage à l’étranger. « Un missile est tombé sur la crèche de Valeria », évoque-t-elle ensuite. Heureusement personne n’est mort, car la structure était fermée depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Albina et Valeria ont fui Mykolaïv à la mi-avril avec leur mère Olya, âgée de 37 ans. Elles viennent d’arriver au MoldExpo après un long voyage en bus. Leur histoire est tristement semblable à celle de milliers d’autres réfugiés ukrainiens.

Albina Fursa, 13 ans, pose a l’extérieur du MoldExpo de Chişinău, hall d’exposition devenu centre d’accueil pour réfugiés ukrainiens, le 18 avril 2022.

© Valeria Mongelli/Hans Lucas

Au cœur de l'accueil moldave

Le MoldExpo, situé non loin de l’ambassade ukrainienne, est un centre d’exposition. Du jour au lendemain, il s’est mué en centre d’accueil pour les réfugiés. Il a une capacité de 370 lits. Lors de notre passage, il hébergeait environ 314 personnes, mais le nombre exact change tous les jours. Dans l’atrium, les volontaires distribuent un repas chaud et des vêtements à ceux qui en ont besoin. À l’extérieur, des dizaines d’individus font la queue pour s’enregistrer. Certains vont se promener dans le parc Valea Morilor juste à côté. Olya met les draps sur le lit de la petite cabine qui leur a été attribuée. Un rideau sépare celle-ci du couloir, leur offrant un semblant d’intimité. Albina dessine un cœur jaune et bleu, les couleurs du drapeau ukrainien, sur un petit tableau dans la salle de jeux pour enfants. Parmi ses amis, beaucoup ont aussi fui l’Ukraine. « En Russie, une amie à moi a été expulsée de son école parce qu’elle a dit que la faute de la guerre n’est pas aux Ukrainiens », raconte la jeune fille.

Valeria et Albina Fursa, deux sœurs qui ont fui Mykolaiv avec leur mère, sont logées temporairement au MoldExpo. Voyager avec une petite fille de 3 ans n’est pas facile.

© Valeria Mongelli/Hans Lucas

Depuis le début de la guerre, la Moldavie a accueilli à peu près 450 000 réfugiés ukrainiens, dont environ 100 000 ont décidé de rester sur son territoire1. C’est la plus grande concentration de réfugiés par habitant parmi les pays qui accueillent des réfugiés ukrainiens2. Il s’agit d’un effort non négligeable pour un des États les plus pauvres en Europe, dont l’économie est durement frappée par la situation géopolitique actuelle. Avec une prévision de croissance économique de 0,3 % en 2022 (contre le 14 % en 2021), l’inflation annuelle à 22 % et une perturbation des exportations3, la Moldavie risque de payer cher le conflit dans le pays voisin.

UE : partenariat et espoir d’adhésion

À présent, la Moldavie est coincée entre deux forces. D’un côté, il y a l’aspiration à devenir membre de l’Union européenne (UE), et de l’autre, la difficulté à se libérer de l’influence économique et politique russe. Le 3 mars 2022, la présidente de la République de Moldavie Maia Sandu a formellement lancé la procédure d’adhésion pour entrer dans l’Union4. Elle a commenté dans un tweet récent : « Nous sommes prêts à faire notre part rapidement et avec diligence pour donner à la Moldavie une chance d’avoir un avenir meilleur, plus sûr et plus prospère. »5 Lors de sa dernière visite à Chisinau le 4 mai, le président du Conseil européen Charles Michel a déclaré : « Nous continuerons à approfondir notre partenariat avec vous pour rapprocher votre pays de l’UE. »6

L’UE a mobilisé un fonds de 13 millions d’euros pour soutenir la Moldavie dans l’accueil des réfugiés ukrainiens, et elle a par ailleurs approuvé une assistance financière de 150 millions d’euros pour « renforcer la résilience de la Moldavie dans le contexte géopolitique actuel »7. « Nous examinons la meilleure façon d’aider la Moldavie à faire face aux retombées continues de la crise du gaz et à améliorer la résilience socio-économique », dit Ana Pisonero Hernandez, porte-parole de la Commission européenne pour le voisinage, l’élargissement, et les partenariats internationaux. À propos de la candidature pour rejoindre l’UE, elle dit comprendre l’importance de la demande d’adhésion à l’UE pour le peuple moldave : « Nous évaluons toutes les réponses reçues au questionnaire que nous avons soumis à la Moldavie […]. Les questionnaires sont adaptés au contexte actuel. Nous ne travaillons pas dans des circonstances normales. […] Entre-temps, nous nous engageons à continuer de renforcer nos liens et d’approfondir notre partenariat afin d’aider l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie à poursuivre leur chemin vers l’Europe. »

Le renfort des ONG

En même temps, si tous les réfugiés ont un toit sur leur tête, c’est aussi grâce à de nombreuses initiatives d’associations et organisations non gouvernementales. Agudath Israel, une organisation juive orthodoxe fondée en 1922 aux États-Unis, offre assistance aux réfugiés ukrainiens juifs et non juifs. À présent, ils sont hébergés dans deux hôtels loués par l’organisation à Chisinau. Mais au pic de la vague d’immigration, il y avait six structures d’accueil. « Nous ne les avons pas divisés entre Juifs et non-Juifs. Nous avons accepté tout le monde », précise Michael Finckel, directeur adjoint d’Agudath. « Ils dormaient partout, y compris dans notre synagogue. » Selon une estimation, Agudath a assisté environ 15 000 Ukrainiens jusqu’à présent. Cela implique un effort du point de vue humain, avec à peu près 150 bénévoles mobilisés, et sur le plan financier : « Dès le premier mois, nous avons dépensé l’équivalent de quatre ou cinq budgets annuels », commente son directeur adjoint.

Tous les matins, bénévoles et réfugiés prient ensemble dans la synagogue d’Agudath. Josef Cohen, 45 ans, est arrivé à Chisinau au départ d’Odessa. Après la prière, il libère son bras des lanières de cuir auxquelles sont attachés les tephillin, à savoir deux cubes contenant des passages bibliques. « Ce sont des objets de culte du judaïsme pour te rapprocher de Dieu », explique-t-il. Originaire d’Ouzbékistan, en 2018, Josef a déménagé à Odessa après avoir rencontré sa femme, qui est ukrainienne. Pour lui, ce voyage est une histoire qui se répète. En 1987, il avait quitté l’Union soviétique à cause de la répression religieuse. « Mon arrière-grand-père est mort en prison. » Aujourd’hui, il émigre de nouveau avec sa famille. « Qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est la vie. Nous sommes habitués à ça. »

Josef Cohen, 45 ans, un réfugié juif venant d’Odessa, pendant la prière du matin dans la synagogue de Agudath Israel à Chisinau, Moldavie, le 26 Avril 2022.

© Valeria Mongelli/Hans Lucas

Menaces russes

L’ombre du géant russe plane sur la Moldavie, qui a formellement déclaré son indépendance de l’Union soviétique en 1991. Le 23 avril, le commandant majeur du district militaire central russe Rustam Minnekayev a signalé que la Russie vise à établir un couloir du Sud de l’Ukraine jusqu’à la république séparatiste pro-russe de Transnistrie, située dans la partie orientale du territoire moldave. Le 25 avril, des explosions ont été entendues8 près du ministère de la Sécurité d’État de Tiraspol, la capitale de la Transnistrie, et le lendemain, deux explosions ont endommagé des antennes radio de l’ère soviétique. La Moldavie, jusque-là un petit pays semi-inconnu de 2,6 millions d’habitants, s’est retrouvée à la une de l’actualité internationale.

La situation semble s’être plus calmée depuis. La Russie peine à gagner du territoire dans l’Est de l’Ukraine9 et paraît ne pas avoir de forces militaires suffisantes pour avancer jusqu’en Transnistrie. Le niveau d’alerte en ce lieu a aussi baissé. Beaucoup craignaient une offensive russe le 9 mai, qui pour les Russes est une importante célébration marquant la victoire sur les nazis en 1945. Rien n’est arrivé.

La Transnistrie, région à cheval sur la Moldavie et l’Ukraine, est située entre les fleuves Dniestr et Boug méridional. La partie de la Transnistrie située en Moldavie est contrôlée depuis 1991 par la République moldave du Dniestr, une entité pro-russe autoproclamée indépendante, mais non reconnue par la communauté internationale.

© Shutterstock

Entre passé soviétique et futur européen

Albina, qui vit toujours au Moldexpo avec sa mère et sa sœur, dit ne pas être préoccupée par une attaque russe en Moldavie. « Je veux juste rentrer chez moi et entendre que la guerre est terminée. » Au début, elles avaient planifié d’aller jusqu’à Prague, mais voyager avec une petite de 3 ans n’est pas facile. Maintenant, elles envisagent de retourner à Mykolaïv. Josef, lui, attend que sa femme, qui est enceinte et ne peut pas prendre l’avion, accouche à Chişinău. Ensuite, ils se rendront à Londres ou à Vienne, où ils ont de la famille. Il pense que Poutine ne va pas s’arrêter là. « Il va poursuivre toutes les anciennes républiques soviétiques. »

Entre-temps, la vie dans la capitale moldave s’écoule comme d’habitude. L’après-midi, les familles se promènent dans le parc qui entoure la Catedrala Mitropolitană la principale église orthodoxe de la ville. Dans les quartiers du centre-ville, les anciens bâtiments de style soviétique se mélangent aux bistrots, aux cafés à la mode, aux hôtels avec spa privatif. Dans la gare de Chişinău, le temps paraît suspendu entre un passé soviétique et un futur européen. Seuls deux trains sont annoncés sur le tableau des départs : celui vers Bucarest et celui vers Moscou, bien que ce dernier ait été reporté indéfiniment depuis le début de la guerre. Le train vers Bucarest, avec ses intérieurs en bois et ses tentes en velours, semble arriver tout droit d’un conte du siècle passé. À la frontière roumaine, des travailleurs du chemin de fer rattachent au train des wagons neufs, sans compartiments et avec des sièges en similicuir : un clair symbole de ce qui est l’Europe et ce qui ne l’est pas. La Moldavie est là, entre ces deux wagons.

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