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Masereel en monochrome
Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction
Mise en ligne le 21 novembre 2022
Né en 1889 à Blankenberghe, Frans Masereel est un artiste belge fortement marqué par les deux guerres mondiales. Il a fréquenté l’intelligentsia européenne de l’entre-deux-guerres, illustrant des textes d’Émile Zola, Stefán Zweig, Thomas Mann… Ami du peintre allemand George Grosz, il publie ses « romans en gravures » depuis la Suisse à partir de 1918 et ne cessera d’utiliser la gravure sur bois comme moyen d’expression privilégié jusqu’à sa mort à Avignon en 1972. Artiste engagé, humaniste, libertaire, pacifiste antimilitariste, Masereel dénonce les horreurs de la guerre, de l’oppression et de l’injustice sociale dans ses œuvres sans concessions. Il est considéré comme le précurseur du roman graphique et comme un maître et un rénovateur de la gravure sur bois.
En 1894, la famille Masereel emménage à Gand où François Masereel, le père, meurt en novembre. La mère se remarie trois ans plus tard avec un Flamand francophone socialiste et libre-penseur dont l’influence sur le jeune Frans sera décisive. Les horreurs de la Première Guerre marquent son engagement pacifiste et humaniste et il n’aura de cesse de dénoncer la violence et la mécanique des conflits dans son travail graphique. Courant 1915, après avoir obtenu un visa, il rejoint le pacifiste et objecteur de conscience Henri Guilbeaux à Genève en Suisse où il reste jusqu’en 1921. Rayé des registres de la population en 1915, Masereel revient s’installer à Paris après ses années suisses. Ce n’est qu’en 1929 que les autorités belges lui délivrent un nouveau passeport. Il participe au Congrès mondial contre la guerre et le fascisme à Amsterdam en 1932 en tant que coorganisateur pour la Belgique et collabore à des mensuels et hebdomadaires antifascistes. Son œuvre est largement connue et diffusée en Allemagne, et à l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, ses romans-images et livres illustrés sont massivement confisqués et détruits : son engagement « social-humanitaire-pacifiste » est bien entendu peu apprécié par le régime national-socialiste. Artiste reconnu de son vivant, il reçoit le prix d’art graphique à la Biennale de Venise en 1951, puis travaille et expose avec Picasso entre 1952 et 1954 et parachève sa consécration en Belgique en étant nommé membre de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique.
C’est sans doute la même blessure, point commun de leur histoire familiale, qui a poussé Hamid Soulaiman et Julian Voloj à se pencher sur la vie de Frans Masereel : tous les trois ont connu la guerre et l’exil forcé. Né à Damas en 1986, Hamid Sulaiman a fait lui-même l’expérience de la guerre civile en Syrie. Arrêté en 2011 lors des manifestations du printemps arabe, il a fui son pays après sa libération et obtenu l’asile politique en France. Scénariste allemand vivant à New York, Julian Voloj a en mémoire la Shoah vécue par ses grands-parents et l’abandon de la Colombie par ses parents lors de la Violencia. Il consacre son travail aux différents aspects de l’identité et de la filiation. Pour construire le récit biographique de Frans Masereel, il s’est inspiré de celui du premier roman en gravures de l’artiste, 25 images de la passion d’un homme, et a retenu non pas « 25 images » mais « 25 moments » clés de sa vie.
À la différence des éditions Martin de Halleux, qui ont récemment édité plusieurs compilations des œuvres de Masereel sous forme de bande dessinée, Casterman rend hommage à l’artiste sans utiliser ses propres dessins, avec des œuvres originales percutantes de contrastes. Les auteurs signent un roman graphique de forme hybride puisqu’il fait presque l’économie du texte, avec des images qui parlent le plus souvent d’elles-mêmes. S’il a fait de l’illustration monochrome sa marque de fabrique, Hamid Sulaiman va un cran plus loin ici pour se rapprocher au plus près de l’œuvre de Masereel en optant pour des illustrations à main levée ressemblant à s’y méprendre à des gravures sur bois. Avec peu de mots donc, les dessins racontent ici Masereel à sa manière, à travers les heures sombres de l’Europe du XXe siècle. Un objet presque à prendre avec des gants tant on voudrait éviter de marquer de nos empreintes les noirs immaculés.
Sulaiman et Volo, Franz Masereel. 25 moments de la vie de l’artiste, Casterman, 2022, 320 pages.
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