Libres ensemble

Accueil - Libres, ensemble - Mamans solos en quête de reconnaissance

Mamans solos
en quête de reconnaissance

Christophe Smets · Photographe documentaire1 auteur du projet « Cordons »

Mise en ligne le 26 mars 2025

La Belgique compterait plus de 480 000 familles monoparentales, dont 63 000 à Bruxelles. Les femmes représentent 83 % des parents solos en Wallonie et 87 % en Région bruxelloise. Des chiffres2 qui démontrent l’évolution des modèles familiaux et l’ampleur de la situation sur le plan social. Mais au-delà des statistiques, leur condition rime souvent avec précarité. Rencontre avec de nombreuses mamans solos, qui sont aussi des femmes qui s’accrochent pour offrir une vie meilleure à leur famille.

Photo © Christophe Smets/La Boîte à Images

« On constate que les familles solos sont en forte augmentation. En plus des mamans très précaires, celles que l’on voit apparaître sont mieux formées et plus instruites. Le milieu familial n’a plus vraiment les moyens d’aider les mamans solos », indique Bob Balbourg, directeur du Resto du Cœur de Liège. « Il y a deux types de monoparentalités, choisie ou forcée. Les deux fragilisent, mais la seconde ampute encore plus la personne de beaucoup d’éléments comme le bien-être social. Souvent, les mamans se retrouvent entre quatre murs avec leurs enfants, privés de loisirs, et les ponts sont coupés avec une partie de la famille. La monoparentalité offre moins de réserve et plus de fragilité. Tout repose sur soi. »

La monoparentalité aujourd’hui

Stéphanie Gribomont est coordinatrice du Centre d’appui familles monoparentales, un dispositif créé en 2022 notamment pour porter la voix des mamans solos. Elle estime que l’accès à un logement de qualité est difficile pour les parents seuls : « Il manque des logements sociaux, le coût des loyers est un problème, et il subsiste des stéréotypes à l’égard des mamans solos. » De plus, un tiers des parents au sein d’une famille monoparentale ont par exemple dû reporter un suivi médical ou des soins à un enfant pour raisons financières en 2022.

La question pécuniaire reste un enjeu crucial pour répondre aux besoins des familles monoparentales. « Il n’y a pas vraiment d’emplois adaptés au rythme des mamans qui doivent s’occuper des enfants à plein temps. Les conditions de garde ne sont pas satisfaisantes. Elles sont obligées de prendre des postes à temps partiel de piètre qualité, ce qui pose un problème sur le plan de leur santé mentale », continue la coordinatrice.

En matière de violences, selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), qu’elles soient psychologiques, physiques, sexuelles ou qu’elles relèvent du harcèlement, et où qu’elles aient lieu, les femmes y sont davantage exposées que les hommes. Et elles le sont de manière plus fréquente et pour des faits plus graves. Derrière ce constat tranché, il apparaît que toutes les femmes n’y sont pas pour autant exposées de façon égale. Certains profils de femmes, qui cumulent une série de vulnérabilités sociales (précarité financière, sans travail, en mauvaise santé), cumulent aussi les expériences de violences subies.

Le programme Miriam

Si la monoparentalité a pris de l’ampleur ces dernières années au sein de la société, des initiatives ont été créées afin d’aider les mamans solos. Lancé en 2015 par le SPP Intégration sociale avec le soutien de la secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, Miriam est un programme qui donne la possibilité à des femmes en situation de précarité et de monoparentalité de bénéficier d’un accompagnement individuel et collectif.

Au sein du projet Miriam démarré en 2022 au CPAS de Marche-en-Famenne, les mamans solos ont pu expérimenter notamment des ateliers théâtre, organisés pour tisser des liens entre elles. « J’étais un peu réticente à l’idée d’y participer, de faire confiance à d’autres personnes, en fait », raconte l’une d’entre elles. « Tout ce dont je me souviens aujourd’hui, c’est à quel point on a ri ! » Ce sont des moments qu’elles prennent pour elles, en tant que femmes, et non plus uniquement en tant que mères alors qu’elles ont tendance à s’oublier. « Nos mamans souffrent d’une grande solitude, elles ont aussi une perte de confiance envers les autres. Les échanges entre elles sont fondamentaux, et une entraide se développe. C’est magique ! » explique Ludivine Laval, l’une des deux coordinatrices du projet à Marche-en-Famenne.

Il n’y a pas d’objectif défini par avance lorsqu’une femme participe au projet Miriam. Les deux coordinatrices estiment qu’il est très important de laisser cette liberté aux bénéficiaires. Ce qui peut vouloir dire retrouver un travail ou réussir à s’occuper de leur santé mentale. « On essaie de rester le plus large possible dans notre accompagnement », souligne Anne Demanet, l’autre coordinatrice du projet.

« Il s’agit de ma seule sortie régulière, déclare Sandrine qui participe au groupe Miriam du CPAS de Herve, lors d’une sortie bowling. Je ne travaille plus depuis deux ans. J’ai été mise en arrêt. Je vois ma maman tous les jours, mais je ressens malgré tout un grand isolement. Au départ, je suis venue par curiosité, mais aujourd’hui, ça me plaît réellement. Le groupe est génial. Les animatrices sont vraiment à l’écoute. »

En Belgique, 83 projets Miriam ont été soutenus à travers 43 CPAS sur l’année 2023-2024. Environ 1100 mamans solos ont ainsi pu améliorer un peu leur situation personnelle.

Les sorties en groupe – ici à Pairi Daiza au départ de Marche-en-Famenne – permettent aux mamans solos et à leurs enfants de sortir du quotidien. Ces moments conviviaux d’échanges et de partage permettent de rompre l’isolement.

© Christophe Smets/La Boîte à Images

Un relais adapté

Le Relais famille mono (qui comprend un centre d’appui et dix-neuf travailleurs sociaux spécialisés implantés au sein de différents centre de service social, mutuellistes et associatifs, NLDR) a été engagé en 2022 dans le cadre du plan de relance de la Wallonie, avec trois objectifs prioritaires. Le premier est de faire du travail social collectif et communautaire de proximité avec les mamans solos pour favoriser l’accès aux droits, leur permettre de créer du lien social et avoir un impact sur leur santé mentale. Le deuxième objectif est de constituer un réseau de soutien et de relais autour des questions de monoparentalité. Enfin, il s’agit de porter la voix des mamans solos et de relayer leurs propositions auprès des pouvoirs publics.

À travers ce dispositif, les mamans solos qui souhaitent y participer peuvent s’inscrire à des ateliers pratiques pour apprendre les bases des gestes et compétences techniques qui leur étaient jusque-là peu accessibles. Grâce à des partenariats avec des structures d’apprentissage collectif, les participantes ont l’opportunité de découvrir des compétences essentielles en mécanique automobile, en plomberie et en électricité. Ces ateliers visent à renforcer l’autonomie des mamans solos tout en leur offrant des compétences pratiques et valorisantes.

Ces initiatives, fortes de rencontres, d’échanges et d’expérimentations, permettent aux cheffes de famille d’acquérir de nouveaux savoir-faire pour une autonomie retrouvée dans la gestion de leur quotidien.

La créativité au service du lien et de la confiance

Sur les hauteurs de Seraing, le CPAS développe un atelier créatif à destination d’un public masculin et féminin. Sa coordinatrice Stéphanie Frare explique que les participant.e.s viennent sur base volontaire à raison de quatre heures par semaine et peuvent quitter l’atelier quand ils.elles le souhaitent. L’objectif premier est de créer du lien et de rompre l’isolement, mais d’offrir également de la confiance et de la qualité de vie.

Delphine est arrivée à l’atelier en 2017 par le biais d’une rencontre avec une assistante sociale. Elle y trouve avant tout du bien-être, de l’évasion et de la relaxation : « On laisse nos soucis sur l’escalier. Mais on les récupère quand on part. Ici, je peux montrer une autre facette de moi à travers l’expression artistique, exprimer mes douleurs par la peinture. En arrivant, j’étais discrète, j’attendais que l’on vienne vers moi, alors qu’aujourd’hui c’est plutôt l’inverse. J’ai retrouvé confiance en moi. »

Pour Laëtitia, l’atelier est une échappatoire à la monotonie de la vie. « J’aimerais rester le plus longtemps possible à l’atelier créatif, mais on a toutes des dates de péremption. Le plus difficile pour moi en tant que maman solo, c’est de jouer le rôle des deux parents et de gérer les différences de caractère entre mes deux garçons. Poser les limites en étant seule, c’est compliqué. La présence d’un père serait bénéfique à ce niveau-là, mais je ne veux pas mentir à mes enfants. Je les amène à voir la réalité : je suis là et pas les pères, qui sont seulement des géniteurs. »

À côté de l’atelier, il existe un suivi individuel, organisé afin de permettre l’intégration dans le groupe et le suivi administratif du ou de la bénéficiaire. Le tout au rythme de la personne, sans pression.

Des colis et du bien-être

De nombreuses associations tentent, avec les moyens disponibles, de venir en aide aux plus fragiles. En bord de quai, le long de la Meuse, à Liège, l’ASBL Cisolré soutient les femmes précaires. « Nous avons décidé de commencer par distribuer de la nourriture aux mamans, qui sont majoritaires parmi notre public, avant de parler avec elles des violences qu’elles subissent. De nombreuses femmes qui fréquentent l’ASBL n’ont pas de quoi cuisiner en rentrant chez elles. On a débuté par la distribution de 60 colis alimentaires. Actuellement, nous en distribuons 500 », explique Samia Youssouf, la créatrice du projet.

La fille d’Élodie de Charleroi a fait une hémorragie cérébrale quelques jours après sa naissance. Depuis, elle vit au jour le jour avec elle.

© Christophe Smets/La Boîte à Images

« Au début, ça me gênait énormément d’aller chercher des colis », confie Elvire. « Aujourd’hui, avec l’expérience, je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas, et je me dis “prenons ce qui est à prendre”, parce que j’y ai droit. Avant, je ne voulais pas passer pour une “barakie”. Si ce n’est pas pour moi, c’est pour quelqu’un d’autre, et je ne vois pas pourquoi je devrais m’en priver et en priver mon fils. Je n’ai pas l’impression d’abuser. Ça me mettrait dans la merde si je n’en avais plus. Quand je vais dans un magasin, ça me permet d’acheter le chocolat préféré du petit plutôt que le moins cher. C’est être digne et être forte que d’aller chercher un colis. J’y vais parce que j’en ai besoin. »

Cisolré organise un atelier bien-être durant lequel une centaine de femmes, parmi lesquelles 80 % de mamans solos, peuvent recevoir des massages, des soins du visage et une coupe de cheveux. « Elles ont une charge mentale énorme, et cela a un impact sur leur corps, d’où l’importance de leur donner accès à ces soins », précise Samia Youssouf.

Un futur incertain

Les programmes politiques et les médias évoquent de plus en plus la thématique de la monoparentalité. Pourtant, à ce jour, il n’existe pas de politiques publiques d’envergure pour soutenir les parents solos.

Dans son rapport « Être femme, précaire et parent solo en Wallonie » sorti en décembre dernier3, e Relais familles mono élabore un certain nombre de pistes à suivre pour améliorer la situation des mamans solos. On citera par exemple l’individualisation des droits sociaux, la mise en place des dispositifs d’accompagnement autour de la séparation conjugale des parents et la sensibilisation des professionnel.le.s (de la justice, de la santé, etc.) aux réalités des parents solos. Au vu des enjeux fondamentaux, si les perspectives évoquées ne semblent guère réjouissantes pour la prochaine législature, on peut néanmoins souhaiter une véritable prise de conscience du pouvoir politique.

  1. Nous avons déjà publié un article sur un de ses précédents projets. Cf. Diane Gardiol, « Les « earth defenders » au grand-angle (Christophe Smets) », dans Espace de Libertés, no 499, mai 2021.
  2. Issus de rapports officiels de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), de La Ligue des familles et de la Maison des parents solos.
  3. Lotte Damhuis et Charlotte Maisin, « Être femme, précaire et parent solo en Wallonie : récits de mamans solos, analyses et recommandations », FdSS, 2024.

À voir

On montre rarement le visage des mamans solos précarisée, leur réalité semblant coupée des représentations sociétales classiques. Le photographe Christophe Smets et la journaliste Camille Wernaers sont allés à la rencontre de mères monoparentales qui leur ont livré leurs parcours. Ces images en noir et blanc, pleines d’émotions mais loin de tout sensationnalisme, donnent une voix et un visage à des femmes qui sont rarement entendues. Intitulé « Cordons », en écho au cordon ombilical, mais aussi aux cordons de la bourse, ce travail salue leur courage et leur détermination.

Projet « Cordons »

Précarité des mamans solo en Wallonie et à Bruxelles

www.laboiteaimages.eu

Partager cette page sur :