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L’Ukraine,
un pays européen
à l’existence menacée

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise en ligne le 22 février 2022

À l’heure où j’écris ces lignes, Vladimir Poutine vient d’annoncer que la Russie reconnaissait l’indépendance des
« républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk, dans le sud-est de l’Ukraine. Cela revient à officialiser leur annexion par la Russie, tant l’« indépendance » de ces entités est factice. Et à bafouer les droits fondamentaux des Ukrainiens.

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L’Ukraine vit depuis plusieurs longues semaines sous la menace armée de la Russie, dont les troupes sont massées aux frontières. Trois régions ukrainiennes sont par ailleurs déjà occupées depuis 2014. L’intensité du conflit semblait avoir baissé depuis lors, mais, en réalité, les hostilités n’ont jamais cessé. À présent, le régime de Poutine vise l’ensemble du pays. Une capitale européenne, Kiev, peuplée de 2,8 millions d’habitants, vit donc sous la menace d’une guerre.

Abattre la démocratie

L’échec de l’expérience démocratique ukrainienne est le but recherché par Poutine. Il refuse le choix des Ukrainiens de se rapprocher de l’Union européenne, avec diverses tentatives de recréer un succédané de l’URSS.

L’Ukraine est aujourd’hui en danger. Les citoyennes et les citoyens de ce pays ont le droit fondamental, comme tout un chacun, de vivre en paix et d’effectuer leurs propres choix, sans pression extérieure.

L’Ukraine est divisée en 24 régions régions administratives et une municipalité avec un statut juridique particulier, Kiev. Par ailleurs, l’Ukraine revendique l’intégralité de la Crimée (autrement dit la ville à statut particulier de Sébastopol et la République autonome de Crimée) qui ont été annexées en 2014 à la Russie.

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Un pays européen « normal »

J’emprunte ce sous-titre à l’excellente conférence de Timothy Snyder[1], historien spécialiste de l’Europe de l’Est. L’Ukraine est décidément dans une situation hautement anormale : son existence même est remise en cause, sa légitimité est niée par le dictateur du puissant État voisin, Vladimir Poutine, sur base d’une interprétation fallacieuse et mythifiée du passé. Mais c’est bien un pays distinct, dont la société aspire à enfin être reconnue comme ce qu’elle est : une société européenne à part entière.

L’histoire récente de l’Ukraine est celle de la transition du régime soviétique vers une démocratie moderne, avec toutes les difficultés que cela représente et des blocages et retours en arrière occasionnels. Une majorité d’Ukrainiens voit l’avenir du pays dans sa participation à l’intégration européenne. Selon de récents sondages, 68 % des personnes interrogées se sont déclarées en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, même si le soutien à l’intégration européenne varie selon les régions. L’Ouest et le Centre sont de manière écrasante en faveur de l’adhésion à l’Union (respectivement 80 % et 60 %), tandis que ce soutien est moins important à l’Est et au Sud du pays, tout en restant supérieur aux personnes qui s’y déclarent opposées (autour de 40 % pour et 30 % contre).

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Le 15 décembre 2014, la révolution ukrainienne envahit Kiev. Près d’un million de personnes se sont rassemblées lors d’une grande manifestation pour la paix.

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Pressions et jeux de pouvoir

L’accord d’association Ukraine-UE constitue une étape importante sur cette voie. Mais, fin 2013, le président Ianoukovitch fait brusquement volte-face : il refuse de signer l’accord d’association avec l’Union – au dernier moment et sous une forte pression de la Russie – déclenchant les manifestations qui allaient se transformer en une révolution, qui lui coûtera le pouvoir.

En outre, alors que les Ukrainiens favorisaient une forme de neutralité en politique étrangère depuis l’indépendance, ils sont plus nombreux à se prononcer en faveur d’une adhésion à l’OTAN depuis l’agression de 2014 par la Russie, qui était pourtant une des puissances garantes de l’intégrité territoriale de l’Ukraine aux termes du Mémorandum de Budapest signé en 1994. L’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan avaient alors accepté de renoncer à l’arme nucléaire en échange de la garantie de leur intégrité territoriale par la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Le tournant de 2014

L’année 2014 est une date-clé dans l’histoire contemporaine de l’Ukraine. Suite à la révolution ayant renversé le régime de Ianoukovitch, inféodé au régime poutinien, ce dernier profite de la faiblesse de l’État central pour annexer la Crimée et déclencher des hostilités dans le sud-est du pays. Cependant, l’opération rate son but : loin de diviser l’Ukraine et de la ramener dans le giron russe, elle a fortement contribué à la consolidation du sentiment national. Ce sentiment s’éloigne de la définition ethniciste parfois adoptée, surtout en Ukraine de l’Ouest, pour englober tous les habitants du pays, y compris de langue maternelle russe. Fait intéressant : on assiste à la naissance d’un sentiment national fondé sur l’appartenance civique, et non sur la langue ou l’origine « ethnique ».

Au printemps 2014, l’ambition de Poutine était de soulever tout l’Est et le Sud du pays, quasiment la moitié en termes de superficie. L’offensive – menée par des groupes de mercenaires et de volontaires sous commandement d’officiers du renseignement militaire russe – a réussi à prendre le contrôle d’une partie du Donbass, mais le soulèvement a fait long feu dans les autres régions de l’Est. La quasi-totalité des citoyens ayant refusé de se joindre à ce mouvement. Malgré les divisions sociales, linguistiques, politiques, les Ukrainiens ont montré qu’ils tenaient à l’indépendance de leur pays.

Kiev, un enjeu géo-stratégique qui nous ramène à l’époque tendue de la guerre froide.

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Une démocratie à l’ombre des oligarques

La démocratie ukrainienne est encore imparfaite, mais doit se développer dans des conditions particulièrement troubles. Le pouvoir des oligarques et la corruption demeurent l’un des principaux obstacles au rattrapage économique et à l’épanouissement de la démocratie. Le vote est certes libre, l’expression politique également, et le pays ne connaît pas la répression brutale existant dans d’autres pays post-soviétiques, comme la Russie. Mais de nombreux députés et la plupart des politiciens ont recours à l’aide et à la protection de puissants oligarques, ce qui les rend dépendants et peu susceptibles de s’en prendre à leur pouvoir. Ces personnages richissimes exercent une influence considérable sur la politique en se servant d’un système alimenté par la corruption.Des progrès ont malgré tout été enregistrés à partir de 2015. La force de police routière, notoirement corrompue, ayant été chamboulée de fond en comble. Un bureau anti-corruption a été créé, ainsi qu’un procureur spécialisé nommé, mais leurs actions sont toujours entravées, de diverses manières, par les autorités.

Du respect
de l’État de droit

L’actuel président, Volodymyr Zelensky, est réputé proche du milliardaire Ihor Kolomoïski, basé dans la ville de Dnipro. Ce dernier ayant joué un rôle essentiel en 2014 en finançant des bataillons de volontaires qui ont stoppé l’offensive des « séparatistes » pro-russes. L’ancien président Poroshenko est lui-même un magnat. Malgré cela, en novembre dernier, Zelensky a signé une loi « anti-oligarque » censée limiter leur influence dans la politique, ce qui a provoqué un conflit avec l’un des plus puissants d’entre eux, Rinat Akhmetov.

Améliorer le fonctionnement de la démocratie ukrainienne et faire respecter l’État de droit demeurent difficiles, tant à cause de sa culture politique et de l’héritage soviétique, que par rapport aux lourds enjeux géo-stratégiques dont elle est l’objet.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

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  1. Petryshyn Memorial Lecture, Université de Harvard, 18 février 2022, disponible sur Petryshyn Lecture: Timothy Snyder – YouTube.

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