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L'islamisme frériste
à la loupe

François Finck · Délégué « Europe & International »

Mise en ligne le 4 septembre 2023

Voici un livre qui n’a pas manqué d’être qualifié de « controversé », voire plus, tant le sujet abordé suscite de craintes… Florence Bergeaud-Blackler a fait l’objet de menaces de mort, au point d’être placée sous protection policière. Cela montre à quel point s’attaquer à un tel sujet nécessite du courage civique. Quel est-il ? Ce que l’autrice nomme « frérisme », c’est-à-dire un « système d’action », qui n’est pas réductible à la confrérie des Frères musulmans au sens strict, orienté vers la réalisation du califat. Le frérisme est une des variantes du fondamentalisme islamique, dont le but est la théocratie.

Dès le préambule, l’autrice a par avance répondu à de prévisibles accusations de céder au complotisme. En effet, le sujet est difficile à appréhender. En dehors de l’Égypte, les Frères musulmans ne sont pas une organisation centralisée et structurée, mais plutôt un mouvement informel qui partage une vision du monde, une idéologie, organisé de manière flexible en réseaux et associations diverses. C’est d’ailleurs pour cette raison que le livre ne porte pas sur la confrérie des Frères musulmans au sens strict, mais sur le « frérisme », qui en dehors de son berceau égyptien n’est pas une seule organisation facilement identifiable, mais est constitué d’un grand nombre d’associations, instituts, etc.

L’ouvrage présente en premier lieu l’histoire du mouvement, apparu en Égypte après la chute du califat (1924), dans un but de réislamisation du monde musulman, contre la colonisation européenne. Cependant, le « frérisme » apparaît avec l’internationalisation du mouvement, avec l’acceptation de l’émigration dans des pays non musulmans. L’objectif premier est la réislamisation des citoyens de pays occidentaux de culture musulmane.

L’autrice revient d’abord sur l’idéologie frériste, les différents « pères fondateurs » qui lui ont donné sa structure intellectuelle et sa doctrine – Mawdudi, Al-Qaradawi –, sans omettre la diversité interne entre l’approche djihadiste, violente, de Sayyid Qutb et l’approche gradualiste prônée par le courant majoritaire. Cette approche politique fait la spécificité du frérisme, qui utilise des méthodes pacifiques, adaptées au contexte de chaque pays : entrisme dans des partis ou associations, influence sur le droit et la culture, défense d’un islam dit « du juste milieu »… Le désaccord avec les djihadistes comme Daech ou Al-Qaida concerne les méthodes – pas le but à atteindre, celui-ci étant de rendre le droit des pays européens plus compatibles avec le droit et les pratiques islamiques, par une stratégie progressive faite de petits pas.

Le moyen essentiel utilisé par les Frères musulmans, particulièrement problématique d’un point de vue laïque, est le séparatisme qu’ils prônent, sous couvert de vouloir intégrer les populations immigrées de culture musulmane en Europe. Pour eux, les musulmans doivent développer leur identité distincte, refuser de se mélanger aux autres. Cela passe par l’endoctrinement des enfants, par des pressions diverses sur les adultes, poussés à reconnaître leur version de l’islam comme la seule authentique, et par l’exclusion des électrons libres qualifiés d’apostats.

Cet objectif peut conduire à présenter les tenants du frérisme comme des partenaires des pouvoirs publics, car ils semblent rechercher l’intégration, et ne prônent pas la violence. En réalité, leur but est séparatiste : il s’agit de créer une société islamique distincte, parallèle à la société majoritaire. En outre, leur stratégie d’entrisme, l’utilisation tactique du langage des droits fondamentaux et de l’antiracisme leur permet de nouer des alliances avec des mouvements de gauche, ou de les manipuler. Leur lobbying est aussi très actif au niveau international.

Petit bémol, la section portant sur le soft power du frérisme est plus faible et descriptive. Le paragraphe sur l’Open Society de Soros est presque uniquement fondé sur un rapport produit par la branche britannique de l’organisation. Le paragraphe sur la réception du concept d’« islamophobie » au Conseil de l’Europe est également superficiel, et peut donner l’impression erronée que cette organisation a entièrement repris à son compte le logiciel frériste, alors que la situation est plus complexe que cela. Ces remarques n’ôtent rien au fait qu’il s’agit d’une œuvre marquante, qui présente le frérisme d’une manière très abordable. En bref, une somme très utile pour comprendre le « système » tentaculaire, au fonctionnement flexible, qui s’adapte au contexte dans lequel il fonctionne, tout en cherchant à imposer une version fondamentaliste de l’islam. Une lecture essentielle pour en comprendre les méthodes et décrypter les offensives islamistes, à l’école notamment.

Florence Bergeaud-Blackler, Le frérisme et ses réseaux. L’enquête, Paris, Odile Jacob, 2023, 416 pages.

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