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L’information, un bien commun en péril
Vinciane Colson · Journaliste « Libres, ensemble »
Mise en ligne le 25 août 2025
Tous les défenseurs de l’Éducation nationale ont employé au moins une fois le mot prêté à Abraham Lincoln, « si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ». En défenseur de l’information, je ne dirai pas autre chose : « Si vous trouvez que l’information coûte cher, essayez le mensonge. »
« Sauver l’information de l’emprise des milliardaires », le titre de cet essai sonne comme une alerte, un appel presque désespéré : l’information de qualité est en péril. Et la menace, dans un paysage médiatique français ultraconcentré, vient des grandes fortunes de droite et d’extrême droite qui ont pris le contrôle. Dix milliardaires accaparent à eux seuls 90 % des ventes de quotidiens nationaux en France et 55 % de l’audience des télévisions, et s’ils investissent autant dans les médias, ce n’est pas pour l’argent, mais pour l’influence. Olivier Legrain détaille la guerre culturelle menée par cette poignée de milliardaires, qui utilisent leurs journaux, chaînes et plateformes pour façonner les imaginaires, cadrer les débats et imposer une vision du monde compatible avec leurs intérêts. Et ces patrons de médias n’ont même pas besoin de censurer ou d’intervenir sur les lignes éditoriales, ils nettoient tout simplement les rédactions de toute volonté d’indépendance.
Le livre évoque l’importance d’une information publique, étayée et vérifiée, ainsi que le danger des fake news, dans un monde où « dévaler la pente nous éloignant des faits va très vite. La remonter est beaucoup plus ardu. » Faut-il du coup emprunter les mêmes armes qu’eux ? Non pour l’auteur, qui nous invite à ne pas céder et à maintenir « notre capacité à affronter les menteurs ».
L’originalité de cet essai réside évidemment dans le propos, clair et pédagogique, mais aussi et surtout dans la personnalité de son auteur. Olivier Legrain est en effet un homme d’affaires, entrepreneur et millionnaire. Il a fait fortune en dirigeant notamment pendant quinze ans l’entreprise Materis, spécialisée dans les matériaux de construction. L’auteur prend d’ailleurs le temps d’exposer d’où il parle et en quoi il se différencie de ces ultrariches, lui qui a « toujours été heureux de payer ses impôts en France ».
Il nous prouve par des exemples détaillés et sourcés que l’information devrait être un bien public… mais qu’elle ne l’est plus en France aujourd’hui. On pourrait ne pas se sentir concerné en Belgique. Et pourtant ! Quand l’auteur détaille la haine du service public portée par des patrons de médias milliardaires et quand il parle des plans d’économies demandés à France Télévisions (où 75 % des coupes ont été réalisées sur les émissions d’informations), on ne peut qu’y voir des similitudes avec les plans d’économies demandés aujourd’hui à la RTBF et avec la fusion des groupes IPM et Rossel, qui aura indéniablement un impact sur la pluralité de l’information.
Olivier Legrain ne se contente pas du constat, il propose des pistes pour repenser un modèle médiatique plus démocratique. Ça ne pourra selon lui passer que par l’éducation aux médias et un investissement massif. Car oui, bien informer coûte cher (alors que désinformer beaucoup moins…). Il a signé il y a quelques mois la promesse d’achat d’un immeuble à Paris qui abritera dès 2027 la Maison des médias libres. Un lieu aux loyers modérés où des rédactions indépendantes partageront des bureaux et des studios de production, en espérant que ça crée une émulation et que ça donne envie aux journalistes de collaborer sur des enquêtes. Il lance un appel non pas aux ultrariches de gauche, qui n’existent pas selon lui, mais aux personnes progressistes à l’aise financièrement qui pourraient soutenir les médias indépendants.
Ce livre accessible (5 euros) est à offrir à toutes celles et tous ceux qui doutent encore du danger de la concentration médiatique pour la démocratie. À l’image du Résister de Salomé Saqué1, publié dans la même collection, il nous appelle à nous réveiller et nous pousse à agir. Car oui, l’information comme bien commun peut encore être sauvée, mais ça ne se fera qu’avec le soutien massif de citoyens progressistes, prêts à s’engager, à s’abonner et à investir dans une presse libre.
- Lire son interview réalisée par Vinciane Colson, « Résister : c’est possible et urgent ! », dans EDL, no 521, été 2025.
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