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Libre échange d’idées

Lucie Barridez · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 30 septembre 2024

Parce que les économistes se sont approprié le lexique de l’économie pour en faire leurs fonds de commerce, et comme si nous étions en déficit de signification du reste, il nous faudrait recourir, selon le sens qu’ils lui donnent à ce vocabulaire pourtant ouvert jadis à tous les domaines de la pensée. »

Dans L’économie de la pensée, ouvrage publié chez Lux Éditeur, le philosophe québécois Alain Deneault poursuit son entreprise de réévaluation des concepts économiques, s’éloignant résolument des dogmes de la science économique traditionnelle. Fidèle à son objectif de « déstabiliser » les fondements de l’économie telle qu’elle est communément définie, Alain Deneault cherche à libérer cette discipline de l’empreinte des économistes classiques. Depuis plusieurs années, il propose une alternative intellectuelle qui dépasse la simple production de biens et l’accumulation de capital, redéfinissant l’économie comme un concept ouvert, capable d’investir des domaines jusque-là négligés. Ce livre s’inscrit ainsi dans la continuité de ses travaux précédents, tels que L’économie de la foi ou L’économie esthétique.

Avec L’économie de la pensée, Alain Deneault pousse cette réflexion plus loin en examinant la manière dont les idées acquièrent de la valeur à travers les échanges et les relations humaines. Inspiré par les théories kantiennes et néokantiennes, il conçoit la pensée elle-même comme une forme d’économie, fondée sur les interactions entre individus et subjectivités. Pour l’auteur, les idées ne gagnent pas en valeur par l’appropriation individuelle ou la thésaurisation, mais par leur mise en relation, leur capacité à créer des analogies et à ouvrir de nouveaux horizons à travers le dialogue.

Un élément central de cette réflexion est la place de l’argent. Alain Deneault s’appuie sur les travaux du philosophe et sociologue allemand Georg Simmel, pour qui l’argent n’est qu’un outil de médiation entre des valeurs diverses. Toutefois, dans le capitalisme contemporain, cette fonction a été détournée : l’argent est devenu une fin en soi, pervertissant ainsi sa fonction première. Selon Alain Deneault, cette subversion de l’argent conduit à une impasse, où l’économie est dominée par une logique de production déconnectée des échanges intellectuels et humains, vidant ainsi de leur sens les interactions sociales et la pensée elle-même.

Restituant la pensée comme processus vital de l’activité humaine, Alain Denault s’inscrit dans une démarche profondément laïque. L’économie de la pensée telle qu’il l’esquisse appelle à une pluralité des idées et des échanges, libérés des dogmes et ouverts à tous les champs de l’intellect humain. Il partage ainsi avec les laïques l’ambition suivante : la création d’un espace de liberté où la pensée peut circuler sans entraves, nourrie par des interactions ouvertes et inclusives. En somme, L’économie de la pensée est un véritable plaidoyer pour une réappropriation collective et consciente de la valeur des idées, qui rejoint l’esprit même de la laïcité en tant que moteur d’une société libre et émancipatrice.

Alain Deneault, L’économie de la pensée, Montréal, Lux, coll. « 2024, 136 pages.

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