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L’homme « contracepté » : oui, il existe !

Sandra Evrard · Rédactrice en chef

Mise en ligne le 30 juin 2022

L’homme sous pilule, c’est l’histoire du parcours du combattant d’hommes désireux de prendre en charge leur contraception. Car contrairement aux idées reçues, il existe d’autres méthodes que la contraception féminine dont les couples peuvent s’emparer pour gérer ce point crucial de leur sexualité et de leur chemin de vie commun. Une BD basée sur une enquête médico-sociale étayée, mais saupoudrée d’un esprit et d’une iconographie ludiques.

Photo © Olivier Foeller

 

Anne-Sophie Delcour, vous êtes journaliste, réalisatrice et comédienne. La première question est très simple : pourquoi cette BD ?

À la base, c’est un truc de couple. Je me trouve dans la situation du personnage principal féminin que je mets en scène : j’ai arrêté la pilule, j’ai un nouvel amoureux qui n’aime pas trop le préservatif, et le retrait, ce n’est clairement pas une solution contraceptive. Je me suis donc intéressée à la contraception masculine au détour d’une discussion sur l’oreiller, avec mon mec qui me déclare : « Moi, je m’en fous, je veux bien prendre la pilule ! » Je regarde sur Google et constate le nombre d’articles qui, chaque année, nous annoncent l’arrivée de la pilule contraceptive masculine et je me dis : « Ben, elle doit exister, je vais regarder !» Je découvre alors qu’il y a des journées mixtes au planning familial, où des hommes viennent parler de leur contraception, je découvre aussi des ateliers de couture de slips contraceptifs et je décide d’appeler des professionnels dans le milieu. J’apprends par ailleurs qu’il existe une association d’hommes « contraceptés », qui se bat pour faire évoluer la contraception masculine.

C’est étonnant, ce qualificatif d’hommes « contraceptés ».
On ne dit pas des femmes qu’elles sont « contraceptées » !

Oui, complètement, c’est très étrange ! Et en fait, je m’aperçois que ce n’est pas récent. Les premières études ont été faites à la suite de la pilule contraceptive pour femme, où des médecins se sont demandé comment ils pouvaient alléger les problèmes de santé de celles qui prenaient la pilule, qui était à ce moment-là ultra-dosée. Ils ont donc essayé de contracepter l’homme pour permettre à la femme d’avoir des trêves contraceptives. Ils ont inventé deux techniques : l’injection hormonale et le slip contraceptif. Ces deux médecins vont défendre ces contraceptions masculines dès les années 1980, mais ils vont aussi se retrouver face à des complications : certains hommes se plaignaient d’effets secondaires semblables à ceux rencontrés par les femmes ! Tout à coup, les essais cliniques se sont arrêtés pour ces raisons-là, et le financement de ces études médicales a été transmis à d’autres recherches. Ils se battent, mais ils éprouvent énormément de difficultés à faire passer cette contraception masculine. Donc je découvre ces hommes d’âges totalement différents qui me parlent de leur contraception. Je trouve ça très joli parce qu’au-delà du problème de santé pour certains couples, il y a aussi une volonté idéologique de prise en charge contraceptive de leur côté.

Anne-Sophie Delcour et Lucy Macaroni, L’Homme sous pilule, Paris, Marabulles, 2022, 128 pages.

C’est le rêve, le but, cette pilule ?

Je ne dis pas qu’il est temps que les hommes soient les seuls responsables de la contraception, mais qu’on communique à ce sujet dans le couple, et que s’il arrive un accident, tous les deux soient prêts. Que l’on se demande ce que l’on met en place et que ce ne soit pas une discussion de femmes uniquement. Le but est de se rapprocher autour de ce débat et surtout pas de s’opposer.

Aviez-vous l’impression que les hommes ne prenaient pas assez en compte ce dialogue autour de la contraception dans le couple ?

Oui, dès la rencontre avec mon premier amour, ma mère m’a dit : « Rassure-moi, tu n’as pas encore fait l’amour ?! On prend rendez-vous chez le gynécologue. » Donc l’automatisme de départ, c’est d’emmener sa fille chez le médecin pour la mettre sous contraceptif, et par conséquent de ne pas discuter. Je n’en ai pas parlé avec mon amoureux. Ainsi, ce n’est pas un blocage des hommes ou des femmes, c’est une habitude culturelle, sociétale d’échanger sur ces questions avec notre médecin et pas avec notre amoureux !

Anne-Sophie Delcour a mené une enquête approfondie sur la contraception masculine, tout en y mêlant son histoire personnelle, avec beaucoup d’humour.

© Olivier Foeller

Ce n’est pas un peu générationnel aussi ?

Si, complètement ! Mais la pilule a été une telle avancée pour notre liberté, sur ce que ça nous a permis de devenir, etc. Donc fatalement, c’est un truc qui est en train de se transformer aujourd’hui, et ça, c’est formidable ! Là où je pensais que ce serait une enquête plutôt médicale, c’est devenu quelque chose de beaucoup plus large que ça ! Et ça m’a rassurée également, parce que souvent, quand on en parle, on se dit : « Les hommes bloquent, ils n’en ont rien à foutre ! » Mais nous aussi, on est bloquées dans nos rôles qui sont attribués en fonction du genre.

Vous expliquez par ailleurs que d’après un sondage Solidaris, un tiers des hommes seraient prêts à prendre une contraception ou la pilule sans problème.

J’étais assez hallucinée de ce chiffre ! Mais c’est une super évolution mentale. Je pense que ces données sont encore confidentielles et j’espère que la BD va aussi transformer les choses.

Il n’y a pas que la pilule : vous parlez de plusieurs moyens contraceptifs, certains plus rigolos que d’autres.

Clairement ! Alors oui, aujourd’hui, la pilule contraceptive pour homme n’existe pas. En revanche, la contraception masculine existe et même si elle est peut-être un peu contraignante, ça fonctionne. Et puis surtout, il y a une technique qui est mécanique, qui ne contient pas d’hormones, qui est réversible, bio, naturelle.

Vous parlez du slip contraceptif ?

Oui, le slip contraceptif : on déplace mécaniquement les testicules en les collant au corps, ce qui augmente la température d’un ou deux degrés et stoppe la production des spermatozoïdes, donc ça rend l’homme contracepté. C’est réversible et ce n’est pas dangereux. C’est une méthode qui a été inventée par un médecin dans le Sud de la France et qui est scientifiquement testée. On fait d’abord un spermogramme pour connaître la concentration en spermatozoïdes dans le sperme, car cela varie selon les hommes. On porte ensuite ce slip contraceptif quinze heures par jour et au bout de trois mois, le spermogramme va révéler si l’on est bien contracepté ou pas.

Vous connaissez des hommes qui l’ont porté ?

Oui, bien sûr ! J’en ai rencontré plein pendant cette enquête et plusieurs d’entre eux m’ont dit : « L’effet est étrange au départ, mais on s’habitue. Et surtout, il y a comme une impression de se réapproprier son corps. » Je pense que pour les hommes aussi, ça crée une situation où ils s’observent et où ils apprennent qu’ils ont des cycles. De tous les hommes que j’ai rencontrés à travers cette enquête, j’ai plutôt découvert que c’était quelque chose de joyeux, que ça amenait une liberté personnelle pour eux, et du dialogue dans le couple ainsi qu’une libération de la sexualité.

Vous osez aussi évoquer la vasectomie, chiffres à l’appui, avec une nette différence entre celles effectuées en France et à l’étranger. Mais également une réticence à la pratiquer, car elle ne serait pas fort rentable d’un point de vue médical.

Le chiffre est fou ! Quand je découvre très rapidement dans mon enquête qu’un homme sur cinq a recours à la vasectomie en Angleterre, je me dis : « Mais pourquoi est-ce si différent ? » Je commence à comprendre qu’historiquement, cela ne provient pas d’une volonté féministe ou d’égalité autour de la charge contraceptive, mais d’une question de limitation des naissances. Ils se sont mis à proposer la vasectomie par l’intermédiaire des gynécologues dès le départ et il y a déjà longtemps. C’est la raison pour laquelle c’est beaucoup plus répandu aujourd’hui en Angleterre.

Cela signifie-t-il que nos pays sont pronatalistes d’une certaine façon ?

Oui. En tout cas, on ne touche pas à la fertilité, autant chez les femmes que chez les hommes. Par exemple, un délai d’attente de quatre mois est imposé entre le moment où l’on va consulter un urologue afin de faire une vasectomie et l’opération, tandis que pour une intervention de chirurgie esthétique, le délai de réflexion obligatoire est de quinze jours. Et ce n’est pas si simple de trouver un médecin qui accepte de faire une vasectomie ! Évidemment, on vous propose de congeler du sperme, pour être sûr que vous puissiez revenir en arrière, avoir des enfants, etc. Dans les mentalités, la vasectomie, ça reste un truc dont on a peur, c’est tabou, ça renvoie très rapidement à l’angoisse de castration, avec la crainte que ça perturbe les érections, le désir, la libido, alors que les spermatozoïdes dans le sperme ne représentent qu’un pourcentage ridicule.

Ça ne change donc rien à la vie sexuelle de l’homme, si ce n’est que ça le libère d’un poids : risquer de mettre enceinte la compagne avec qui il partage une sexualité. L’idée reçue la plus répandue touche à l’identité masculine et à la virilité. Il faut déconstruire cela ! J’ai rencontré un urologue qui m’a donné l’exemple d’un couple au sein duquel la partenaire était hyper-fertile, ils ont déjà quatre enfants et son compagnon n’arrivait plus à avoir de rapports par crainte d’une grossesse supplémentaire. Il a donc effectué une vasectomie et en fin de compte, le couple a retrouvé une vie sexuelle épanouie grâce à ça.

À différentes reprises dans votre BD, vous pointez du doigt que la sexualité des hommes est surtout abordée sous l’angle de la performance. Ça nous fourvoie dès le départ dans le type de relation que l’on peut engager, en fait ?

Le truc qui m’a le plus choquée, c’est lorsque je suis dans la salle d’attente de l’urologue que je vais consulter pour qu’il me parle de la vasectomie, et que je vois un objet avec quatre boutons qui sont censés représenter la dureté d’un pénis. C’est une espèce d’outil qui permet à l’homme de s’auto-diagnostiquer et de savoir à quelle catégorie il appartient. Donc on classe ces pénis selon quatre catégories, ce qui est déjà un peu étrange. Et puis surtout, en dessous, on demande à l’homme de se ranger dans l’une d’entre elles par rapport à sa capacité à pénétrer une femme. Et là, je me dis : mais quel poids énorme ! C’est-à-dire que l’on considère qu’un homme est en bonne santé s’il est capable de pénétrer une femme. On ne mesure pas, à aucun moment, que la relation sexuelle se fait à deux et qu’il n’existe pas un seul type de vagin, qu’il n’existe pas un seul type de pénis, qu’il n’existe pas non plus au sein du même couple une même relation sexuelle, que cela varie en fonction de la période dans le mois pour la femme et pour l’homme, du désir, d’un tas de choses. J’ai trouvé qu’il s’agissait d’une grande violence de demander à l’homme de se référer à ces quatre boutons pour déterminer s’il a des érections correctes !

Dans les freins à la contraception masculine, vous évoquez aussi le fait qu’il n’y a pas de gynécologue pour homme. Est-ce que c’est encore une représentation genrée de la contraception qui est à l’œuvre ?

Parce que ça aiderait fameusement les hommes à prendre des décisions de pouvoir consulter l’équivalent d’un gynécologue. Quand je découvre ces communautés d’hommes qui ont eu recours à la vasectomie, qui utilisent des slips ou l’anneau contraceptif, je découvre surtout des hommes qui échangent entre eux, des communautés où ils s’entraident, où ils partagent des conseils, leurs complexes aussi, et où ils parlent de sexualité de manière libre. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de groupes d’hommes, ce sont des groupes d’hommes et de femmes. Et je n’avais jamais vu ça. Parce que nous, de notre côté, c’est notre petit truc, la contraception, et on en parle entre femmes, mais on n’a pas de communautés mixtes où on l’évoque. J’ai trouvé ça magnifique et je pense que c’est un peu l’objectif de cette BD : cette enquête sur la contraception masculine, c’est un endroit où hommes et femmes ont travaillé ensemble à faire évoluer les choses.

Pas de pilule pour homme, tabou de la vasectomie : outre l’aspect culturel, il y a également une dimension économique à tout cela ?

La pilule pour femme, c’est un truc qui fonctionne, ça rapporte beaucoup d’argent, donc c’est vrai que ce n’est pas simple, et les études cliniques, ça coûte énormément aussi. C’est pour ça qu’il y a pas mal de gens qui se battent pour faire exister la contraception masculine, mais qui cherchent avant tout à obtenir des financements. Dans la BD, je mets en scène Maxime Labrie qui a inventé un anneau contraceptif, sur le même principe que le slip contraceptif, créé dans un laboratoire dans le garage de ses parents, et il va tout d’un coup faire exploser le nombre d’hommes contraceptés en France. Grâce aux réseaux sociaux, il crée « la communauté de l’anneau », comme il l’appelle, avec 10 000 hommes qui utilisent cet anneau contraceptif qu’il cherche à faire breveter. Mais il se retrouve avec la police sanitaire sur le dos qui décide de lui interdire l’accès au marché. Maxime me disait : « Je m’en fous de me prendre des procès, je suis tellement content qu’on puisse repenser les choses et arrêter de bloquer hommes et femmes dans des rôles de genre qui n’ont plus de sens à l’heure actuelle ! » Je crois que c’est l’action citoyenne qui va faire évoluer les politiques en matière de santé contraceptive, et le monde médical.

Anne-Sophie Delcour a mené une enquête approfondie sur la contraception masculine, tout en y mêlant son histoire personnelle, avec beaucoup d’humour.

© Olivier Foeller

En parlant de combat, vous dites que vous n’êtes pas féministe. En même temps, c’est extrêmement féministe comme sujet, comme approche !

Je pense que c’est féministe, mais j’ai toujours peur que dans le féminisme, on oppose hommes et femmes. C’est tout sauf ce que j’ai pu expérimenter dans ces rencontres. Parce qu’en fait, je m’en fous de porter ce mot-là, même s’il est très beau, et je remercie toutes les féministes qui se sont battues pour tout ça. Ce que je veux, c’est que des hommes qui ne se posent pas la question de la contraception se la posent, et que ça nous rapproche dans le dialogue. Ce qui me fait peur parfois, c’est que j’ai l’impression que le terme « féministe » est souvent associé à des femmes en colère, un truc où l’on casse les hommes en leur disant : c’est de votre faute. Et j’espère que ce n’est pas du tout ce qui se lit dans cette BD, parce que me concernant, cette claque féministe, ce sont des hommes qui me l’ont donnée !

Vous déclarez même dans la BD : « C’est là que le faquin de patriarcat se cache… au cœur même de la médecine qui a toujours sacrifié la santé des femmes pour préserver celle des hommes. Et c’est l’une des raisons qui fait que la contraception masculine reste encore aujourd’hui un phénomène marginal. » Donc en même temps… à côté du féminisme, il y a ce poids de la société patriarcale qui est mis en avant ?

Je le ressens beaucoup, surtout au travers du monde médical. Heureusement, j’ai aussi rencontré un pionnier de la contraception masculine, un médecin ayant décidé d’inventer ces injections hormonales et de les faire passer avec des tests cliniques par l’OMS pour aider des femmes qui sont sous pilule ultra-dosée et qui se retrouvent avec des problèmes de santé hyper-importants. Et il se dit : « Là, c’est une question de santé. Il n’y a pas de raison de sacrifier celle des femmes et de protéger celle des hommes, ça n’a pas de sens. »

Selon vous, cette BD, c’est une sorte de moyen de médiation. Pourquoi le choix de ce genre littéraire ?

Parce qu’on peut rigoler ! Je savais qu’il y avait des choses formidables à citer, mais je voulais qu’on se marre, je ne voulais pas que ça devienne un débat médical. Je souhaitais qu’on puisse lire ça en couple, trouver aussi l’histoire d’amour jolie, s’identifier. De ce fait, je jugeais ça rigolo, par exemple, pour parler de l’angoisse de castration, d’inventer un parc d’attractions qui s’appelle Castraland. J’aime jouer avec cette espèce de fiction, et la BD permet ça. J’aime bien emprunter des chemins de traverse, prendre des détours. En fait, c’est vrai qu’en radio et en télé, on est plus linéaire dans notre façon de fonctionner. C’est logique parce qu’on doit vulgariser des sujets. Et là, pour la première fois de ma vie, je peux prendre des détours et m’en servir pour faire comprendre des choses. La BD, c’est génial pour ça !

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