Là-bas

Accueil - Là-bas - L’hégémonie culturelle du gouvernement Meloni

L’hégémonie culturelle
du gouvernement Meloni

Valeria Mongelli · Journaliste

Mise en ligne le 28 septembre 2023

En Italie, le gouvernement conservateur et post-fasciste de Giorgia Meloni attaque plusieurs secteurs de la culture, tout en érodant les droits civils et des personnes LGBTQIA+. L’extrême droite étend ses tentacules jusque dans les foyers.

Photo © Valeria Mongelli

Une tempête s’est abattue sur le monde de la culture en Italie. Le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni semble vouloir exercer une influence massive sur les institutions culturelles et le service public de la culture. Plusieurs voix critiques considèrent cette opération comme une réminiscence du passé fasciste de l’Italie.

En mai dernier, Carlo Fuortes a démissionné de son poste de directeur général de la Rai, le principal groupe audiovisuel public, en citant des pressions reçues par les autorités de tutelle1. Fabio Fazio, un animateur de talk-show de gauche, et sa coprésentatrice, Luciana Littizzetto, une comédienne connue pour ses monologues ciblant les conservateurs, sont partis après avoir failli renouveler leurs contrats pour le populaire programme Che Tempo Che Fa. La pression sur Fuortes a commencé quelques jours avant les élections générales de septembre dernier quand le philosophe français Bernard-Henri Lévy a critiqué les partis de droite italiens lors d’un talk-show sur la Rai. Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, a ensuite déposé une plainte auprès de l’autorité de surveillance des communications.

Toujours en septembre, Federico Mollicone, le porte-parole à la culture de Fratelli d’Italia, a appelé la Rai à ne pas diffuser un épisode de la série de dessins animés pour enfants Peppa Pig, où les personnages principaux sont un couple de même sexe2. Il a déclaré que diffuser cet épisode en Italie serait « inacceptable ».

D’après Georgia Meloni, tout ce qui menace l’homogénéité de l’État-nation doit être éradiqué, et la télévision publique doit marcher au pas.

© VILTVART/Shutterstock

« Libérer » la culture italienne

S’exprimant lors du rassemblement de clôture de la campagne électorale de la droite à Catane, en Sicile, Meloni a annoncé vouloir libérer la culture italienne d’« un système de pouvoir intolérant, dans lequel on ne peut pas travailler si on se déclare d’une certaine faction politique »3. Elle a dit ensuite : « Celle de la gauche n’était pas une hégémonie culturelle mais de pouvoir, et la gauche a peur de perdre ce système de pouvoir. »

Aux élections générales en septembre dernier, Fratelli d’Italia a remporté un succès éclatant avec 26 % des voix. L’alliance de droite à laquelle le parti appartient a obtenu une majorité nette avec environ 44 % des suffrages. C’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un parti post-fasciste est au gouvernement en Italie.

« L’idéologie du parti de Meloni est une version radicale et excluante de nationalisme », dit Andrea L. P. Pirro, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Bologne et expert en politiques d’extrême droite. « D’après cette vision, tout ce qui menace l’homogénéité de l’État-nation doit être éradiqué. »

Malgré les déclarations de Giorgia Meloni, « au moins depuis le début politique de Berlusconi, l’impression est plutôt que l’hégémonie de la culture des médias est presque totalement de droite », continue le politiologue. Berlusconi, décédé cette année, a dominé le scénario politique italien pendant plus de vingt ans tout en restant un magnat des médias et propriétaire de nombreuses chaînes télévisées. « L’extrême droite est en train d’essayer de s’approprier des instruments conceptuels de la gauche et donc de pénétrer et coloniser la société. »

Jusque dans l’assiette

En plus des changements dans la télévision d’État, l’extrême droite au pouvoir est aussi en train de toucher d’autres secteurs de la culture au sens large. La nourriture est culture, surtout dans un pays avec une tradition culinaire riche comme l’Italie. Après avoir changé le nom du ministère de l’Agriculture en « de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire », l’extrême droite s’est engagée à protéger la nourriture italienne des innovations technologiques considérées comme nocives.

En mars dernier, le gouvernement a approuvé un projet de loi interdisant l’utilisation d’aliments et aliments pour animaux produits en laboratoire dans le but de sauvegarder le patrimoine agroalimentaire du pays. Une infraction aux règles prévues dans la proposition de loi – actuellement en discussion au Sénat – pourrait entraîner des amendes jusqu’à 60 000 €. Pour les entrepreneurs italiens, cela signifie rester en dehors des investissements autour de la viande cultivée en laboratoire, qui jusqu’à présent sont estimés autour de 2 471 000 €4.

Cette initiative a provoqué la colère des organisations soutenant le développement de produits cultivés en laboratoire ainsi que des groupes de défense des animaux. La viande de laboratoire, qui est produite à partir des cellules des animaux vivants, est considérée par certains comme une bonne solution face à l’élevage intensif et à l’abattage.

Au nom de la souveraineté alimentaire, le gouvernement Meloni entend décider pour le peuple italien de quelle manière il doit produire de la viande, coupant l’herbe sous le pied de ceux voyaient en la viande cellulaire un bon investissement.

© DyrElena/Shutterstock

L’attaque aux droits civils

Une autre cible des politiques conservatrices du gouvernement Meloni, ce sont les droits civils des LGBTQIA+. Avant d’accéder au pouvoir, Giorgia Meloni avait déclaré vouloir combattre le « lobby LGBT »5. Récemment, les autorités ont rendu plus difficile pour les couples du même sexe d’être des parents légaux, et les législateurs ont proposé une loi contre la maternité de substitution.

En janvier, le gouvernement a ordonné aux municipalités de suspendre l’enregistrement de la plupart des enfants de parents de même sexe, ce qui complique l’accès à l’école et aux services médicaux. Cela signifie que, dans la plupart des cas, seul le parent biologique des enfants élevés par des couples gay ou lesbiens peut avoir des droits parentaux, laissant l’autre partenaire sans rôle juridique. L’extrême droite a aussi présenté une loi pour étendre l’interdiction nationale de la maternité de substitution aux couples qui se rendent à l’étranger pour la pratiquer. Ces mesures ont été condamnées par le Parlement européen.

En Italie, le mariage homosexuel est illégal, et les couples du même sexe ont moins de droits que dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest. La loi de 2016 autorise les unions civiles entre personnes du même sexe, mais ne permet pas aux partenaires LGBTQIA+ d’adopter les enfants de leur conjoint.

De la poudre aux yeux

Plusieurs critiques considèrent que ces mesures protectionnistes servent à cacher l’incapacité du gouvernement à approuver les réformes économiques dont l’Italie a besoin. « L’aversion à la modernité de la part de l’extrême droite est accompagnée par un processus d’érosion des droits civils et individuels », commente Pirro. « Les familles LGBTQIA+ ou les minorités sont employées comme des boucs émissaires pour dévier l’attention des défaillances de ce gouvernement, qui pour l’instant a été très inefficace sur le plan des réformes. » La Commission européenne a congelé la troisième tranche du Recovery Fund post Covid-19, en demandant à l’Italie des clarifications sur sa capacité à atteindre les objectifs nécessaires pour obtenir le transfert6.

Les changements culturels passent d’abord par le langage, et l’extrême droite semble l’avoir très bien compris. Après avoir déclaré la guerre à Peppa Pig, Federico Mollicone a dit que les parents du même sexe « ne sont pas normaux »7. « Quand on érode les droits, on attaque les mots en premier. Ce qui est différent devient synonyme de dangereux », affirme Isabella Borrelli, stratégiste et activiste des droits LGBTQIA+.

Giorgia Meloni a déclaré à plusieurs reprises qu’elle veut être appelée « le président », et non pas « la présidente ». « Il s’agit d’une provocation politique pour ridiculiser une partie de la population », commente Borrelli. « Cela en dit beaucoup sur l’ironie de ceux qui gouvernent, et sur le regard qu’ils portent sur la vie des gens qu’ils sont censés représenter. Car lorsqu’on est élu, on ne représente pas seulement ses électeurs, mais tout le monde. » Au contraire, le gouvernement actuel semble considérer les personnes LGBTQIA+ comme des citoyens de seconde zone. « Mais l’Italie est aussi à nous ! » rappelle l’activiste. « Les rues, les maisons, les places sont aussi à nous. Elles n’appartiennent pas seulement à ceux qui pensent que nous ne valons pas assez. Nous aussi, nous avons le droit d’être dans ce pays ! »

Partager cette page sur :