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Les citoyen.ne.s veulent plus d’Europe !

Lionel Rubin · Délégué « Étude & Stratégie »

François Finck · Délégué « Europe & International »

au CAL/COM

Mise en ligne le 6 septembre 2022

La Conférence sur l’avenir de l’Europe a remis ses conclusions le 30 avril dernier. Passée inaperçue dans une actualité européenne concentrée sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la CAvE reste pourtant à ce jour la plus grande expérience de démocratie participative. Retour sur sa mise en œuvre, ses perspectives, ses écueils ainsi que la place du mouvement laïque.

Photo © Shutterstock

En théorie, les 447 millions d’Européen.ne.s étaient invité.e.s à se prononcer sur le futur de l’Europe. Si la machinerie institutionnelle a restreint et ramené cette intention louable à des objectifs plus modestes, retenons néanmoins que 800 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort se sont réuni.e.s en panels aux quatre coins du continent durant un an et se sont mis d’accord sur 178 recommandations relatives au futur de l’Europe.

À ces panels internationaux se sont ajoutées les contributions numériques centralisées par la plateforme de la CAvE, ainsi que de nombreux panels nationaux qui ont également produit des propositions à intégrer dans les travaux. Tout ce foisonnement d’idées et de consensus citoyen s’est ensuite frotté au Parlement européen (le législatif), à la Commission (l’exécutif) ainsi qu’au Conseil européen (institution qui représente les gouvernements des États membres). Ces multiples allers-retours entre politiques et citoyen.ne.s ont abouti le 30 avril 2022 à un rapport remis aux institutions européennes : 49 propositions réunissant 320 mesures, auxquelles le Parlement, le Conseil et la Commission devront donner suite – ou non.

L’art de la démocratie

C’est le principe de la démocratie : plus on décide, plus la décision sera au centre des différentes opinions. C’est même le paradoxe que découvrent certain.e.s citoyen.ne.s dans ce type d’expériences : leurs choix sont parfois plus consensuels que ceux faits par des majorités politiques qui doivent suivre un cap politique plutôt que l’assentiment de toute une assemblée. Ainsi, rendre aux citoyen.ne.s le pouvoir de proposition ou de décision fait souvent réaliser aux participant.e.s combien l’art de la démocratie exige du temps, de la nuance et de la complexité. Cet apprentissage est l’un des points forts de ce type d’expérience de démocratie participative.

Sur le fond, le rapport final de la CAvE dénote par une volonté claire et affichée d’aller vers plus d’Europe, allant à l’encontre d’un certain euroscepticisme qui traverse de nombreuses forces politiques nationales. Les participant.e.s plaident en effet pour une Europe ambitieuse, qui concentre ses forces sur l’environnement, la santé, la justice sociale et fiscale, l’autonomie stratégique (énergie, agriculture, médicaments…). Les valeurs démocratiques et d’État de droit ne sont pas oubliées. De même, l’aspect institutionnel est abordé de front et bien que certaines de ces mesures nécessitent de rouvrir la boîte de Pandore d’une modification des traités, elles traduisent également cette volonté d’aller vers plus d’Europe, plus rapidement et plus horizontalement : suppression de l’unanimité au Conseil, droit d’initiative pour le Parlement, référendum, listes transnationales pour les élections européennes, ouverture du processus décisionnel aux citoyen.ne.s, etc.

Vers une réforme des traités ?

Cette volonté de revoir les modes de décision est évidemment un point central en matière de faisabilité, car elle nécessite donc de toucher aux traités, sujet ô combien sensible. Dès le 9 juin, le Parlement européen a quant à lui saisi la balle au bond en adoptant une résolution « sur la convocation d’une convention pour la révision des traités », lançant la procédure de modification de ces derniers.

De fait, la CAvE reprend certaines des revendications de ce même Parlement, notamment l’octroi d’un véritable droit d’initiative législative. Une autre est l’abolition de la prise de décision à l’unanimité au Conseil. Si le Conseil tranche en général à la majorité qualifiée, l’unanimité est requise dans certains domaines, donnant à un seul État la possibilité de bloquer la prise de décision ou de marchander. Ce fut notamment le cas lorsque la Hongrie a négocié son accord en vue des sanctions russes. Outre le droit d’initiative et la fin de l’unanimité au Conseil, le Parlement propose lui aussi d’augmenter les compétences de l’Union en matière de santé, en particulier les menaces transfrontalières à ce domaine. Surtout depuis qu’on a réalisé les faiblesses de l’UE à l’occasion de la pandémie. Les propositions de réforme portent également sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, la défense, la politique sociale et la compétitivité.

La balle est maintenant dans le camp du Conseil européen, qui regroupe les chefs d’État et de gouvernement. Pour que la procédure suive son cours, il doit prendre une décision favorable à l’examen des modifications proposées à la majorité simple. Une Convention serait alors convoquée pour débattre des modifications. C’est précisément à ce niveau que cela risque de bloquer. C’est peu dire qu’il y a un faible enthousiasme pour une réforme des traités parmi les gouvernements européens, d’autant plus vu l’actualité ukrainienne qui n’est pas près de s’arrêter. Par ailleurs, la Conférence sur l’avenir de l’Europe était censée rester dans le cadre des traités. Cependant, comme une modification de ceux-ci découle des conclusions de la conférence mais aussi d’une demande claire du Parlement, le Conseil européen est au pied du mur. Il peut bien sûr refuser d’organiser une Convention, mais il apparaîtrait comme anti-démocratique, méprisant les revendications des citoyen.ne.s, exprimées dans une conférence qu’il a coorganisée… La raison du scepticisme des gouvernements est simple : pour entrer en vigueur, les amendements adoptés par une Convention doivent être ratifiés par tous les États membres, selon leurs règles propres. Autrement dit, un processus long et incertain. Au vu de la polarisation politique actuelle, il est improbable d’arriver à une ratification unanime sans obstacles majeurs…

Les propositions du réseau laïque européen

Le Centre d’Action Laïque et ses partenaires du Réseau laïque européen ont contribué au débat en faisant des propositions fondées sur la réalisation effective des principes de l’UE, qui correspondent largement aux valeurs du mouvement laïque : liberté, démocratie, égalité, État de droit, respect des droits fondamentaux… Le Réseau laïque a rappelé qu’il était crucial que les institutions respectent ce principe essentiel : en Europe, le pouvoir politique est indépendant des religions, et ne tire sa légitimité que des citoyen.ne.s.

Sous le thème général de « mener une politique déterminée pour la réalisation effective des valeurs de l’Union », les propositions portent sur la réalisation d’une réelle égalité des sexes et la non-discrimination, mais aussi sur les libertés de conscience, d’expression et d’information, les droits des enfants et des personnes migrantes, et pour une politique commerciale commune fidèle aux valeurs de l’Union. Le réseau propose en outre des mesures pour une défense plus déterminée des principes de l’Union, notamment l’élargissement du mécanisme de conditionnalité et l’adoption d’une clause de non-retour en arrière (principe de non-régression) en matière de droits fondamentaux, y compris les droits sexuels et reproductifs. Toutes ces propositions restaient dans le cadre des traités actuels, en accord avec les annonces faites par les institutions au début de la conférence. Les propositions du Réseau reflètent aussi la nécessité de défendre les valeurs de l’Union, menacées par des forces politiques nationalistes.

Et maintenant ?

La réouverture des traités est un sujet ultra-sensible, et il ne peut se prendre à la légère tant il engage l’Europe dans un très long processus qui permettra aussi aux eurosceptiques de faire percoler leurs idées vers moins d’Europe. D’un autre côté, ne pas les rouvrir serait perçu comme une fin de non-recevoir. On touche ici à la question la plus importante de la démocratie participative : celle du suivi des propositions. En d’autres termes, les expériences de ce type ne sont pas prises en compte et balayées d’un revers de la main pour des raisons notamment techniques accentuent davantage le désenchantement envers la politique et la chose publique. Comme on le disait ci-dessus : la démocratie exige du temps, de la nuance et de la complexité.

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