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L’échappée belle

Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM

Mise en ligne le 14 avril 2025

J’ai compris que mon enfance était bien revenue. Ce fut dans la douleur et la haine ; j’aurais préféré ne jamais revoir cette maudite bague… »

Cette captivante bande dessinée scénarisée par le breton Gérard Cousseau plonge sa lectrice ou son lecteur au cœur de l’archipel des Solines en Bretagne, au début du XXe siècle. Un univers rude et isolé où la vie des îliens était soumise aux caprices des vents et des vagues. Il livre un récit en forme d’hommage brossant l’âpre quotidien des goémoniers qui survivaient chichement de la pêche et de la récolte d’algues (le goémon). Un travail harassant auquel tous prenaient part, hommes, femmes et enfants, sans échappatoire ni espoir d’amélioration de leur sort.

« Je dis qu’y pas d’avenir dans cette putain d’île… Et que si Soà peut sortir de ce trou… Elle a intérêt à le faire vite fait avant d’être bouffée par cette saloperie de bezin ! » Celle dont il est ici question, c’est Soà, une enfant murée dans le silence à la suite d’un grave traumatisme. Née au sein d’une de ces humbles familles, elle va réussir à s’extraire de son milieu, sans jamais le rejeter, et connaître un formidable et tumultueux destin. Dotée d’une grande intelligente pour son jeune âge, elle est envoyée, à l’instigation perspicace du père Jean, le curé du village, sur le continent pour y étudier. Là, loin des siens, commence un parcours de résilience et d’émancipation fait d’obstination et de courage, d’engagements aussi. Soà voyage à travers le monde, étudie, milite contre les violences faites aux femmes et aux enfants, devient suffragette et s’engage résolument lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle.

Un scénario qui exalte également l’importance de la bienveillance entre individus et où fiction et réalité s’entremêlent à chaque planche ouvragée avec talent par Shinja (de son vrai nom Abdessalam Moutaqid), artiste digital et coloriste basé au Maroc, dont les dessins d’une grande finesse dépeignent avec minutie les émotions des personnages et apportent lumière et douceur à ce récit puissant nimbé d’une atmosphère mélancolique.

L’ouvrage se clôt opportunément sur un cahier composé de notices d’information sur le contexte d’une histoire dont on aurait voulu pouvoir prolonger la lecture. Un beau roman graphique hautement recommandable !

Gérard Cousseau et Shinja, Soà. Le silence de mes cris, Charnay-Lès-Mâcon, Bamboo, coll. « Grand Angle », 2025, 74 pages.

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