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Le prix de nos convictions

Benoît Van der Meerschen · Secrétaire général du Centre d’Action Laïque

Mise en ligne le 6 août 2022

Notre État a fait le choix politique d’organiser le financement de cultes et d’associations philosophiques non confessionnelles. Longtemps débattu et à juste titre remis en cause, ce choix n’avait cependant plus fait l’actualité depuis belle lurette.

À la suite de la publication du rapport du groupe de travail Christians-Magits instauré par le ministre de la Justice Jo Vandeurzen et chargé d’élaborer un rapport circonstancié sur la réforme et la coordination de la législation fédérale applicable aux cultes et aux organisations philosophiques non confessionnelles1 , des débats avaient certes été entamés au Parlement sur ce sujet : ils datent déjà de… 2011. Et concrètement, malgré la rédaction d’un avant-projet de loi relatif aux communautés convictionnelles fixant de nouvelles règles de reconnaissance et de financement public de ces communautés par le groupe de travail précité, rien n’a bougé depuis. Comme si chaque acteur politique se satisfaisait d’un statu quo de peur d’effaroucher l’une ou l’autre susceptibilité. Cependant, aujourd’hui, divers événements font ressurgir avec fracas ce dossier dont, inévitablement, notre représentation politique devra maintenant se saisir.

Le grand retour de l’impôt dédicacé

Tout d’abord, le ministre de la Justice a annoncé enclencher une procédure de retrait de la reconnaissance de l’Exécutif des musulmans de Belgique2. Expliquant les raisons de cette décision, lors d’une interview au journal La Capitale, le ministre a ajouté souhaiter revoir en profondeur le système actuel du financement des cultes, le qualifiant de « faute historique »3 et plaidant pour l’introduction après les élections de 2024 d’un système d’impôt philosophiquement dédicacé.

Cette annonce en a ébranlé plus d’un parmi les cultes reconnus. Pourtant, dans une démocratie, il est logique et sain que le pouvoir politique assume ses responsabilités en matière d’utilisation des fonds publics et pose des choix qui, en fonction des besoins sociétaux, peuvent évoluer. Aucun droit n’est acquis de toute éternité pour les bénéficiaires de ces subventions et poser la question tant de leur sens que de leur sort ne peut en aucun cas être un tabou.

« Reconnaissance légale de la laïcité organisée. Une loi attendue depuis près de trente ans ! » : le premier article sur la reconnaissance effective de la laïcité et les modalités pratiques de son financement a été publié en juillet 2002 dans le n° 302 (puis republié et mis à jour dans le numéro spécial de juin 2021).

« Mort clinique » et flou juridique

Ensuite, c’est l’arrêt rendu le 5 avril 2022 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire « Assemblée chrétienne des témoins de Jéhovah d’Anderlecht et autres c. Belgique » qui vient, de nouveau, mettre le feu aux poudres. Chargée de trancher un banal litige de précompte immobilier contesté, dans quelques « attendus » bien sentis, la Cour dézingue littéralement le système de reconnaissance des cultes et associations philosophiques non confessionnelles en Belgique, faisant dire au professeur de droit public Marc Uyttendaele que ledit système est « cliniquement mort »4.

Pour rappel, de façon « officielle », la procédure actuelle de reconnaissance a juste été précisée par le ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire : « La procédure relative à cette reconnaissance n’est pas établie par une loi mais résulte d’une pratique administrative. Il ressort des réponses données par le ministre de la Justice à plusieurs questions parlementaires que, pour pouvoir prétendre à une reconnaissance, un culte doit : “1) avoir suffisamment d’adeptes (plusieurs dizaines de milliers) ; 2) être structuré ; 3) être établi dans le pays depuis suffisamment longtemps (plusieurs décennies) ; 4) représenter un intérêt social ; 5) ne développer aucune activité qui pourrait aller à l’encontre de l’ordre social.” »5

En effet, après avoir stigmatisé les termes « particulièrement vagues » de la procédure, l’absence de garanties quant à l’adoption même d’une décision ou quant à l’exercice d’un droit de recours ; la Cour indique expressément qu’elle « ne peut que constater que ni les critères de reconnaissance ni la procédure au terme de laquelle un culte peut être reconnu par l’autorité fédérale ne sont prévus par un texte satisfaisant aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité, lesquelles sont inhérentes à la notion de prééminence du droit qui gouverne l’ensemble des articles de la Convention »6.

Selon le système en vigueur, la laïcité a été la première conception philosophique non confessionnelle reconnue en Belgique après six cultes.

© SPF Justice

Bref, sans remettre en cause le principe de la reconnaissance des cultes et des associations philosophiques non confessionnelles ni les critères de cette reconnaissance, la Cour européenne des droits de l’homme dénonce l’insécurité juridique qui découle de l’absence de texte légal ou réglementaire encadrant cette procédure de reconnaissance.

À la suite de cette décision, un groupe de travail interne au SPF Justice a été constitué et a pour mandat d’examiner si les critères actuels sont suffisants et comment ensuite les « traduire de manière efficace dans un texte accessible et prévisible ». Le ministre de la Justice a annoncé en Commission de la justice7 de la Chambre des représentants que ce groupe de travail rendrait un rapport au plus tard le 20 juillet. Aucune information sur la nature que devra prendre ce texte (le ministre étant resté très prudent à ce sujet…) n’a encore été rendue publique.

Quid du bouddhisme et de l’hindouisme ?

Bien que l’arrêt de la Cour ne demande en réalité à l’État belge que de consacrer les critères de reconnaissance dans un texte législatif ou, a minima, réglementaire, des débats pourraient s’entamer tant sur la reconnaissance que sur le financement public des cultes et des associations philosophiques non confessionnelles. Car, cerise sur le gâteau, une demande de reconnaissance du bouddhisme a été introduite le 20 mars 2006 par l’Union bouddhique belge – cette reconnaissance est prévue par l’accord de gouvernement de la Vivaldi – et une demande de reconnaissance de l’hindouisme a été effectuée le 14 mars 2013 par le Forum hindou de Belgique. Et, comme un jour ou l’autre, il faudra bien leur répondre, accéder à ces demandes sur la base d’une procédure à ce point critiquée par la Cour européenne des droits de l’homme fera assurément débat au Parlement…

La laïcité organisée au taquet

Ce débat, nous l’attendons, et ce, sereinement. Déjà dans son mémorandum préélectoral de 2019, visionnaire, le Centre d’Action Laïque demandait : l’adoption d’une loi relative à la procédure de reconnaissance des cultes qui détermine des critères légaux et objectifs pour l’accès au financement public des cultes, en particulier en fonction de la représentativité réelle du courant religieux ou philosophique ; la mise en place d’un contrôle effectif sur l’octroi et l’utilisation des subsides publics ; une plus juste répartition des moyens financiers actuellement mobilisés pour les différentes convictions et communautés non confessionnelles, notamment par l’intermédiaire de l’organisation d’une large consultation populaire sous la forme la plus adéquate concernant les huit convictions reconnues pour disposer des indicateurs fiables afin de pouvoir réaliser une plus juste répartition des moyens accordés aux diverses convictions ; une uniformisatisation des échelles de traitement des ministres des Cultes, des délégué.e.s laïques et conseiller.ère.s bouddhistes qui prennent en compte l’ensemble des éléments liés à la rémunération et au statut ; la création d’un véritable statut pour les conseillers.ères philosophiques et religieux.ses dans les établissements pénitentiaires et la fixation objective des cadres des conseillers.ères des différentes convictions. Il est temps d’aller de l’avant.

  1. « La réforme de la législation sur les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelles », rapport du groupe de travail instauré par arrêté royal du 13 mai 2009, octobre 2010.
  2. Alain Dremiere, « Retrait de la reconnaissance de l’Exécutif des musulmans : la procédure a été enclenchée, annonce Vincent Van Quickenborne », mis en ligne sur www.rtbf.be, 18 février 2022.
  3. « Van Quickenborne : ʺLes subsides aux religions, je n’en veux plusʺ », dans La Capitale, 29 janvier 2022.
  4. Audition relative à la neutralité dans les services publics bruxellois, Commission des finances et des affaires générales du parlement régional bruxellois, 30 mai 2022.
  5. Affaire « Assemblée chrétienne des témoins de Jéhovah d’Anderlecht et autres c. Belgique », arrêt du 5 avril 2022, § 17.
  6. Même arrêt, § 51.
  7. « Compte-rendu analytique de la Commission de la justice », Chambre des représentants, 4 mai 2022, pp. 23 et s.

 

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