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Le podcast,
nouvel eldorado
de l’associatif ?

Allison Lefevre · Journaliste

Mise en ligne le 18 novembre 2022

Faire entendre des voix que l’on n’entend pas par l’intermédiaire d’un format accessible et potentiellement déclinable à l’infini : le podcast peut se révéler un formidable outil d’information, voire de mobilisation. À condition de (se) poser les bonnes questions.

Photo © JuShoot/Shutterstock

Selon le rapport du Reuters Institute de juin 2022, 29 % des Belges ont écouté un podcast durant le mois passé, soit 3 % de plus qu’en 2021 ! Un engouement pour le médium qu’a confirmé le dernier Brussels Podcast Festival. « Au cours de cette troisième édition, on a constaté une augmentation de la fréquentation, tant au niveau du public que des participants », confie la podcasteuse et journaliste Camille Loiseau, co-programmatrice du festival. Il faut dire que l’outil ne manque pas d’atouts… dont celui de libérer la (prise de) parole ! « Grâce au podcast, ce ne sont plus exclusivement les journalistes qui peuvent faire découvrir un sujet au public, explorer une thématique, tendre un micro à quelqu’un, y compris aux personnes que l’on entend moins, voire pas du tout, dans les médias mainstream. Le ton pourra y être moins lissé. Le canevas, moins cadenassé », souligne Camille Loiseau. Avec sa diffusion en série, le podcast permet également de décortiquer un sujet « autant qu’on le veut ». « De quoi séduire le milieu associatif qui souvent s’adresse prioritairement à une audience affinitaire, intéressée par des contenus spécifiques », relève Caroline Prévinaire, fondatrice de l’agence créative Les Visions et de lvdt.studio, le premier studio de podcast belge francophone.

Prendre le temps de la réflexion

Outil pédagogique, format de communication, support d’information, vecteur d’émancipation… le podcast revêt des ambitions multiples. Grâce à cette caisse de résonnance, une organisation va pouvoir véhiculer ses valeurs, partager ses enjeux, illustrer sa mission, transmettre une série d’informations dans un format accessible sur le plan de la production et de l’écoute. « Le podcast reste un support relativement facile à prendre en main et ne nécessitant pas forcément des moyens humains et techniques hors de prix », confirme Camille Loiseau. Moins contraignant à produire qu’une vidéo. Moins long à ficeler qu’un livre. Plus abordable et plus vite consommé. Tout en permettant, cependant, de prendre le temps de la réflexion pour nourrir un point de vue et enclencher un cheminement. « Dans le travail associatif et militant, on se trouve souvent confronté à des temporalités très courtes », déclare Paola Hidalgo, membre de la cellule sociopolitique de Bruxelles Laïque, co-créatrice du podcast « Ébullitions ». « Le podcast a cet avantage qu’il permet de poser des concepts, de s’étaler sur les tensions, de les interroger à travers plusieurs portes d’entrée, à l’instar de ce que nous proposons lors de nos débats. À la différence qu’ici, vu qu’on n’est pas en direct, on peut affiner les contenus ou les étoffer en cours de réalisation. »

Un lien d’humain à humain

« Comme on s’inscrit dans la durée, on s’accorde le droit d’évoluer et de changer d’avis », remarque Caroline Prévinaire. « Je suis certaine que de nombreux podcasteurs ne pensent plus ce qu’ils disaient il y a cinq ans. C’est un voyage audio dans lequel on grandit. » Ce qui participe, en effet, au succès du podcast, c’est qu’il est incarné. Derrière le micro, un humain s’adresse à d’autres humains. Et cela crée du lien. « Il est beaucoup plus facile de faire confiance à une personne qui parle en “je”, révèle ce qui la touche, pourquoi elle développe ce contenu, les défis qu’elle rencontre, sa difficulté à se montrer neutre, etc., qu’à un journaliste qui se prétend objectif », poursuit Caroline Prévinaire. « Accompagner le podcasteur dans son trajet personnel va favoriser le lien de confiance. Il est essentiel d’avoir conscience de ce pouvoir et de la responsabilité qui en découle. »

Outil pédagogique, format de communication, support d’information, vecteur d’émancipation… le podcast revêt des ambitions multiples.

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Au fil des rendez-vous, une intimité s’installe avec le podcasteur, après la proximité physique qu’autorise le médium : rares sont les personnes qui nous chuchotent dans l’oreille. Mais aussi parce que ces contenus vont notamment s’écouter dans la sphère privée. « Les thématiques abordées, vont également par­ticiper à ce sentiment d’iden­tification », relève Camille Loiseau. « Énormément de podcasts ont mis des mots sur des situations que l’on a tous et toutes vécues et ont permis de parler du quotidien comme d’un sujet. Des podcasts sur le couple ont démontré combien l’intime est politique. Certains ont eu des retentissements énormes dans la vie des gens. “Ou peut-être une nuit” qui aborde l’inceste, “Un podcast à soi” qui traite du genre ou “Gardiens de la paix” qui dénonce le racisme au sein de la police, entre autres. Un moment, un podcast prend de la place dans nos vies et amène à des réflexions auxquelles nous ne pensions pas ou tenions pour acquises. En cela, il est moteur de changement social. »

Grandir avec sa communauté

Difficile de mesurer avec précision l’impact d’un podcast en tant que levier de mobilisation et d’actions. Toutefois, les chiffres tirés du baromètre 2021 « Les Français et le podcast natif », établi par le CSA et Havas Paris, montrent qu’il peut influencer les mentalités. Dans cette étude, 84 % des auditeurs sondés estiment que l’écoute de podcast les a déjà éclairés sur des sujets de société. 74 % déclarent avoir changé d’avis ou de regard sur une thématique après l’écoute d’un podcast.

Encore faut-il que celui-ci atteigne ses cibles…  « Au vu des quelque deux millions de podcasts qui existent dans le monde, il serait illusoire de penser qu’il suffit de balancer son contenu – aussi chouette soit-il – sur la Toile pour qu’il soit découvert et écouté », met en garde Caroline Prévinaire. Avant de se lancer, la spécialiste invite à mener un travail éditorial pour bien positionner le podcast au regard de ses objectifs. Quel va être son angle, sa singularité, sa valeur ajoutée ? « L’idée, c’est de ne pas dupliquer un contenu existant, auquel cas il serait sans doute plus judicieux de le relayer ou d’y collaborer. » Très important aussi : trouver le bon ton. « Pour ne pas se mettre en position de donneur de leçons, je conseille aux activistes de ne pas réfléchir aux valeurs qu’ils entendent promouvoir mais bien à celles qu’ils partagent avec leurs communautés », enchaîne-t-elle. « Leur concept se trouve pile à cet endroit-là. Non pas en délivrant un message mais en créant une connexion. Ils peuvent alors se demander quel projet construire pour nourrir leur vision du monde commune et grandir ensemble. »

Échanges dans les deux sens

La mise en œuvre du podcast peut, à elle seule, susciter un mouvement chez les publics cibles d’une association. Selon Camille Loiseau, « mettre un outil dans les mains de personnes qui n’ont d’ordinaire ni accès à cet outil ni à un mode d’expression, c’est déjà une avancée. “À l’ouest podcast”, porté par l’ASBL Comme un lundi et le GSARA, est un bon exemple. Durant la première saison, les jeunes de la cité Beekkant à Molenbeek ont surtout découvert comment fonctionnait un podcast. Et la saison suivante, conscients que ce dispositif pouvait leur apporter un espace de parole et de la visibilité, ils l’ont saisi pour parler d’une injustice qu’ils avaient vécue. Cela a créé du débat entre eux, du lien, des réseaux, une communauté, un rayonnement médiatique. Bref, tout ce sur quoi repose le militantisme, dans sa dimension à la fois intime et collective ».

Développer sa communauté implique de soigner sa communication pour recruter et fidéliser l’audience la plus large possible. Mais également de prévoir des rencontres physiques, comme des écoutes collectives, pour dépasser le lien virtuel et alimenter les échanges dans les deux sens. « Notre podcast, qui se veut une sorte de radiographie de notre travail sociopolitique autour de différents pans de sensibilisation, on le soumet au public pour lui donner les moyens d’aller plus loin ou de diffuser nos messages. Mais l’on espère aussi qu’il suscitera sa réaction et nourrira notre réflexion, ainsi que la prochaine saison d’“Ébullitions” », conclut Paola Hidalgo.

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