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« Le peuple est prisonnier dans son propre pays »

Propos recueillis par Vinciane Colson · Journaliste « Libres ensemble »

Avec la rédaction

Mise en ligne le 15 septembre 2023

Iranienne d’origine, fille de parents immigrés en Flandre en 1986, Ava Basiri est une jeune militante de 34 ans active dans la défense des droits humains et plus particulièrement des femmes1. Son activisme est né en même temps que l’injustice qui a touché Mahsa Amini, tuée en Iran pour avoir « mal » porté son voile le 16 septembre 2022. Un an après cet événement qui avait drainé des milliers d’Iraniens dans les rues de Téhéran et ailleurs dans le pays, nous avons voulu revenir avec elle sur cette révolution. Avortée pour l’heure ? L’avenir le dira.

Photo © Shutterstock

Vous n’êtes devenue militante que récemment, pour quelle raison ?

Avant que Mahsa Amini ait été tuée par la police des mœurs iranienne le 16 septembre 2022, je savais ce qui se passait en Iran, mais c’était loin de chez moi. Je vivais ma vie calmement ici en Belgique et je ne pensais pas que l’on pouvait faire quelque chose. Mais dès que je me suis levée, que je me suis révoltée, je me suis en fait d’abord révoltée contre moi-même. J’étais fâchée contre moi, qu’en tant que femme, en tant que mère libre, j’aie pu rester silencieuse. J’ai donc commencé à écrire une lettre à l’intention de Mahsa Amini dans laquelle je m’excusais de ne pas avoir réagi plus tôt. Je me suis promis à moi-même de ne plus jamais rester silencieuse puisque je pouvais, ici en Belgique, profiter de cette liberté d’expression. Jusque quand, cela on ne le sait pas, vu la situation en Belgique.

En effet, vu les élections l’année prochaine et la montée des extrémismes…

Ava Basiri, jeune militante pour le respect des droits fondamentaux en Iran.

© DR

Voilà, donc tant que je le pourrai, je continuerai à porter cette voix pour les femmes iraniennes. Et cela m’a aussi ouvert les portes du Collectif Laïcité Yallah dans lequel j’ai trouvé une famille ou plutôt des parents militants, car je ne suis militante que depuis un an et j’apprends tous les jours, de Lailuma, de Malika, de Djemila. Et cela m’a ouvert les portes de la laïcité également. J’ai toujours été laïque, mais sans savoir que c’était cela la laïcité en fait. Que notre mode de vie à la maison, c’était la laïcité. Du coup, j’ai trouvé l’identité que j’ai toujours eue, j’ai trouvé cette grande famille de laïques, de féministes dans laquelle on se soutient. J’ai l’immense chance et honneur de côtoyer quelqu’un comme Lailuma avec laquelle je partage la langue et avec qui j’apprends tellement. C’est un monde qui réunit les femmes afghanes, les femmes africaines, sud-américaines. Il y a tellement de problèmes partout… Et comme l’affirme Djemila, porte-parole du collectif : on ne peut pas rester assises tant qu’il y a une femme qui souffre, car quand il y a une femme qui souffre, on souffre toutes. C’est ce message que je souhaite porter aujourd’hui.

Comment sensibiliser davantage de personnes à cette cause ?

Je suis d’avis que pour sensibiliser les gens, il faut les toucher dans leurs sentiments. C’est comme ça qu’on les sensibilise. Ce n’est pas en leur donnant des informations ; je constate cela aussi dans l’éducation. Par exemple, enseigner les mathématiques en primaire et en secondaire ne se fait pas de la même façon, on adopte des stratégies différentes. Lorsque je vais porter les histoires des Iraniennes dans les écoles, j’en fais de même : lorsque je rencontre des jeunes de 15-16 ans, je leur raconte des histoires de jeunes du même âge qui ont perdu leur vie, car ils voulaient une chose aussi simple que la liberté. Je n’arrive pas en classe avec un PowerPoint qu’ils vont oublier directement, mais je recherche avec eux des images sur Google, Instagram, Facebook. En leur montrant des jeunes cool comme eux, j’utilise finalement le même langage, ce qui leur permet durant cet instant de créer un lien avec eux, pour leur donner ensuite le choc que ce garçon ou cette fille qui vous ressemble est mort parce qu’il ou elle a été pacifiquement manifester. Que ce jeune a été tué parce qu’il n’avait pas cette liberté, ce choix. J’essaye donc de les sensibiliser au travers leurs sentiments, en fonction de leur âge.

Mahsa Amini, étudiante iranienne d’origine Kurde, est décédée le  à Téhéran, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».

© Shutterstock

Quand la révolution a éclaté le 16 septembre 2022, vous pensiez que cela pourrait renverser le régime ?

C’est vrai que les militant.e.s se sont levé.e.s avec l’idée qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement, mais d’une révolution. Mais aujourd’hui, la forme a changé. Il faut savoir que ce qui s’est passé au début, c’était un cri à l’aide. Le peuple a pensé qu’il avait peut-être un petit moment pour entamer ce mouvement, sachant qu’il y avait ce risque de perdre beaucoup de vies, notamment de jeunes, mais qu’il s’agissait du prix à payer pour cet appel à l’aide. Malheureusement, ils ont aussi compris qu’aucune aide ne viendrait de l’extérieur et que tout se passerait à l’intérieur du pays, car ce n’est pas de l’intérêt des politiques des pays étrangers que la République d’Iran change. L’alternative est donc en Iran-même, dans les mains du peuple. Mais c’est compliqué, vu que ceux qui sont les cerveaux derrière les actions sont en prison, ils sont vite identifiés, emprisonnés ou tués par pendaison. Le peuple a en quelque sorte été lâché. La répression a été féroce : on parle de 71 mineurs tués dans les premiers 82 jours. Du coup, ils ont dû changer de forme de révolte, comme le fait de mal porter le voile. Mais là encore, l’État a pris des mesures grâce à la reconnaissance faciale. Des SMS sont envoyés en guise d’avertissement, du style : « Chère madame, vous ne portiez pas le voile ce jour-là dans votre voiture ». Au deuxième avertissement c’est une amende, au troisième on te prend ta voiture. Si par exemple un boulanger laisse entrer une femme sans le voile dans sa boutique, celle-ci sera fermée avec de lourdes amendes à la clé. Ces derniers jours, ils ont commencé à envoyer des messages – parce que bien entendu le 16 septembre approche – avec des SMS officiels aux habitants qui souhaitent les contacter pour dénoncer certains comportements. Ils imposent la peur pour que les gens n’osent pas aller manifester et n’osent plus sortir. Surtout que l’inflation est tellement élevée, qu’acheter un pain n’est pas toujours facile.

L’État joue sur la peur, souffle le chaud et le froid ?

L’État est très malin en fait. Par exemple, lorsque l’on achète une voiture en Iran, sa valeur augmente au fil des ans, contrairement à ici. Donc cet été, ils ont diminué le prix des voitures. Des gens qui ne pouvaient auparavant rêver d’en acheter une ont pu le faire, partir à la mer, se payer de petites vacances à l’intérieur du pays. Autre exemple : il y a certains endroits du pays tels que des centres commerciaux, où l’on peut entrer sans voile. Il y en a très peu, ce n’est pas comme si l’on était vraiment libres, mais si je compare à la Belgique, c’est un peu comme si à la Toison d’Or, on pouvait ne pas porter le voile, que la police vous laisserait tranquille. Cela donne un petit sentiment de liberté, comme s’ils avaient gagné. Mais évidemment, ils n’ont pas gagné, car le problème n’était pas le voile. Le peuple est prisonnier dans son propre pays. Sans aide. C’est pour cela que des militantes comme nous devons continuer à sensibiliser le monde politique notamment, mais aussi pour que l’opinion publique universelle change ! Il faut aussi faire comprendre aux communautés d’origine qui sont expatriées qu’il ne s’agit plus de nationalisme, mais qu’il s’agit d’universalisme. Que c’est cela la solution !

« L’alternative est en Iran-même, dans les mains du peuple. Mais c’est compliqué, vu que ceux qui sont les cerveaux derrière les actions sont en prison. »

© Sandra Evrard

À voir et à écouter

Retrouvez Ava Basiri dans le cadre d’une table ronde sur le thème « Les femmes qui résistent », à l’occasion de la remise du Prix International Henri La Fontaine 2023.

21.09.23 | 14h30 | Hôtel de Ville de Bruxelles

Sur réservation au 02.627.68.11 ou cal@laicite.net

  1. Ava Basiri, « Les femmes iraniennes, force motrice de changement? », dans Espace de Libertés, no 509, février 2023.

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