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Le patrimoine aussi
a un genre :
devinez lequel ?

Sandra Evrard · Rédactrice en chef

Mise en ligne le 18 septembre 2023

Selon Bourdieu, la reproduction de l’ordre social est prégnante au sein des familles, creusant ainsi encore davantage le lit des inégalités. C’est par exemple le cas lors de la transmission du capital d’une entreprise familiale qui est majoritairement octroyé aux fils. Ceci n’est pas une vue de l’esprit, mais le résultat d’enquêtes menées par les sociologues Céline Bessière1 et Sibylle Gollac2 suite au constat d’inégalités économiques prégnantes au moment des séparations conjugales. Le fruit de leur travail est aujourd’hui représenté dans ce beau roman graphique, joliment illustré par la militante Jeanne Puchol, qui se sert de chats pour délivrer les messages de leurs humain.e.s. On apprend ainsi notamment que le mot patrimoine vient du latin patrimonium qui signifie « ce qui vient du père ». Cela vaut pour la transmission des terres autrefois, des entreprises familiales encore majoritairement aujourd’hui, des immeubles, comme du patronyme, même si la loi permet désormais une égalité dans ce domaine.

Mais les injustices ne s’arrêtent pas là, elles s’accroissent avec les inégalités de classe, notamment à cause d’un manque d’information quant aux droits dont les femmes disposent. Elles s’accroissent encore lorsque la femme s’est principalement occupée de l’éducation de ses enfants, ce qui ne lui octroie aucune pension digne de ce nom. Quant au patrimoine immobilier, surtout lorsqu’il atteint une certaine ampleur, c’est majoritairement un homme qui le gère. Autant dire que les inégalités deviennent rapidement structurelles dans les foyers.

Autre cerise sur le gâteau : les services des professionnels intervenants dans les dossiers de séparation – avocats, notaires, juges – qui d’après les enquêtes de terrain menées par les sociologues donnent davantage de leur temps aux hommes, surtout les plus nantis et d’autant plus lorsque ceux-ci peuvent payer de meilleurs avocats. Sans oublier les clichés qui demeurent concernant les femmes au foyer ou qui ont élevé leurs enfants, entendez par-là par convenance personnelle. Les liens créés lors de dîners et autres lieux de réseautages favorisent aussi l’entre-soi masculin, typique des bourgeoisies locales, expliquent les sociologues. Et donc, là encore, une inégalité structurelle s’instaure.

La conclusion est sans appel : lors des séparations, les femmes s’appauvrissent quasi automatiquement et elles ont peu de recours pour faire valoir les inégalités. L’intérêt de cet ouvrage réside en outre dans la fiabilité et le sérieux des données exposées (fruit d’un travail académique) auxquelles se mêle une approche didactique, ludique et esthétique. À mettre dans toutes les mains !

Céline Bessière, Sibylle Gollac et Jeanne Puchol, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, La Découverte/Delcourt, 2023, 128 pages.

  1. Céline Bessière est sociologue professeure à l’Université Paris-Dauphine et membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales.
  2. Sybille Gollac est sociologue, chargée de recherche au CNRS.

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