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Le mariage gay
déride la Grèce

Achille Verne · Journaliste

Mis en ligne le xx juin 2024

L’opposition de l’Église orthodoxe n’y a rien changé. La loi autorisant le mariage et l’adoption pour toutes et tous a été adoptée. Il y a là comme un retour au temps lointain de l’avant-péché.

Photo © Gustavo Frazao

En février dernier, la Grèce a adopté une loi autorisant le mariage et l’adoption pour toutes et tous. Elle est ainsi devenue le premier pays chrétien orthodoxe à se donner une législation aussi libérale en matière d’égalité des genres, et ce, malgré le désaccord de l’influente Église orthodoxe. Le projet de loi a été porté par le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis, le chef du gouvernement de centre droit. Il a été soutenu par quatre partis de gauche, dont la principale formation d’opposition, le parti Syriza. La Grèce devient dès lors le 37e pays au monde et le 16e État membre de l’Union européenne à autoriser le mariage homosexuel. Elle succède à l’Estonie, où il est entré en vigueur le 1er janvier dernier.

Kyriákos Mitsotákis a salué « un tournant pour les droits de l’homme » dans un « pays progressiste et démocratique, passionnément attaché aux valeurs européennes ». Et ce, alors que le Parlement européen s’est récemment inquiété des « très sérieuses menaces qui pèsent sur la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux dans le pays ». Kyriákos Mitsotákis, l’homme qui a rendu une part de liberté à la Grèce en allégeant sa dette, avait fait du mariage homosexuel une mesure phare de son second mandat commencé en 2023.

L’Église orthodoxe exprime un mécontentement contrôlé

L’Église orthodoxe grecque a avalé de travers. En guise de protestation, le 24 mars dernier, elle a décidé de célébrer le dimanche de l’Orthodoxie au monastère de Petrákis alors que la cérémonie a traditionnellement lieu à la cathédrale métropolitaine d’Athènes. Ce choix a été interprété comme un acte de rejet, bien que l’Église ait souligné qu’il ne s’agissait pas d’une rupture des relations avec l’État.

La tradition veut que la célébration du dimanche de l’Orthodoxie passe par une doxologie (prière) à la cathédrale métropolitaine d’Athènes, la cathédrale de l’archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, en présence du président de la République et des principaux représentants de l’État. Cette année, elle a donc eu lieu au saint monastère de l’incorporel Petrákis, un espace trop exigu pour accueillir ceux que l’Église orthodoxe ne voulait pas voir. Ses hauts dignitaires ont poussé le bouchon un peu plus loin en n’assistant pas au déjeuner prévu à la présidence de la République, comme c’est l’habitude. Le gouvernement Mitsotákis a dit respecter cette décision tout en maintenant une invitation au dialogue.

Abstraction faite de l’un ou l’autre incident, l’Église s’est retenue de verser dans le passionnel. L’idée d’exprimer son mécontentement au niveau local, en interdisant par exemple aux députés qui ont voté la loi de participer au culte, a été abandonnée. « Si de telles manifestations surviennent, la manière dont elles se rapportent aux individus est claire. Il s’agit d’actions personnelles et ne concernent pas les décisions de l’Église, qui n’adopte en aucun cas de telles attitudes », a-t-il été communiqué. Sans surprise, les critiques de l’Église orthodoxe se sont concentrées sur les implications de la nouvelle loi sur les valeurs familiales traditionnelles. Elle affirme que des contestations juridiques potentielles pourraient conduire à une extension future des droits de maternité de substitution aux couples homosexuels.

L’entrisme de l’Église dans la politique

Dire que la thématique du mariage gay a mobilisé toute la société grecque serait mentir. Des sondages préalables avaient assuré au gouvernement Mitsotákis l’appui d’une majorité de la population. Sur les réseaux sociaux, des internautes ont soutenu l’Église alors que d’autres dénonçaient son entrisme en politique, la priant de rester concentrée sur la spiritualité. La question d’un référendum sur des sujets sociétaux aussi essentiels pour le fonctionnement de la démocratie a fait un temps débat.

La bouderie de l’Église orthodoxe est mal passée à gauche. Une polémique a éclaté entre un député du Pasok socialiste et un archimandrite, titre honorifique accordé aux higoumènes ou aux recteurs de paroisses importantes. Les noms d’oiseaux ont volé et des coups sous la ceinture ont été échangés. Dans un communiqué, le Pasok a estimé que « de tels comportements individuels ne sont pas cohérents avec la spiritualité, mais aussi avec le travail que l’Église accomplit dans la société grecque ».

Le mariage gay déride la Grèce © Gustavo Frazao

En Grèce, la loi pour le mariage et l’adoption pour tou.te.s est entrée en vigueur, au grand dam de l’Église orthodoxe.

© Kavalenkau/Shutterstock

Un pas en avant vers une société plus libérale

Avec cette loi, la Grèce si souvent pointée du doigt pour ses archaïsmes vient de faire un pas vers une société plus libérale. Mais si la nouvelle législation confère des droits parentaux complets aux partenaires mariés de même sexe qui ont des enfants, elle empêche en revanche les couples homosexuels de devenir parents par l’intermédiaire de mères porteuses dans le pays – une option laissée aux femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants pour des raisons de santé.

Plusieurs associations LGBTQIA+ rappellent par ailleurs que les violences homophobes et transphobes ont augmenté ces dernières années dans l’Hellas, et cela, bien que la législation y considère les motifs homophobes comme circonstances aggravantes. Ils ne sont cependant pas assez pris en compte par la police ou la justice, rapporte Amnesty International. Des militants se sont en outre entendu dire par le secrétaire général aux Droits humains, attaché au ministère grec de la Justice, que les gays ne doivent pas imposer leur différence à la majorité… Les associations LGBTQIA+ ont également dénoncé plusieurs cas de censure. Des groupes religieux, liés au parti néonazi Aube dorée, ont réussi selon elles à faire annuler une pièce sur l’homosexualité, Corpus Christi, qui devait être jouée dans la capitale. En octobre dernier, la chaîne publique NET a censuré un baiser homosexuel dans la série télévisée anglaise Downtown Abbey.

Éraste et éromène, une histoire ancienne

L’historien notera que la nouvelle loi grecque sur le mariage homosexuel a quelque chose d’un retour vers le temps lointain où l’Église ne pesait pas sur les consciences. Dans l’Antiquité, la distinction entre « homo » et « hétéro » n’existait pas. « Dans la société grecque classique », synthétise l’Encyclopædia Universalis, « les rapports charnels entre individus de sexe masculin étaient très codifiés et très hiérarchisés. Il y avait surtout la distinction, dans l’éthique grecque, entre le rôle actif et valorisé de l’éraste, qui prenait l’initiative de la conquête amoureuse, et le rôle passif de l’éromène, le partenaire le plus jeune, objet du désir. […] Une multitude de textes et de représentations iconographiques indiquent que dans la Grèce classique et, plus tard, dans le monde hellénisé, ces pratiques sont d’une fréquence, d’une banalité et d’une visibilité telles qu’elles ne cadrent absolument plus avec une explication rituelle. Elles disent plus simplement le statut socialement privilégié des rapports sexuels masculins dans cette civilisation d’avant le péché ».

Enterrez cette église que je ne saurais voir

Deux mille cinq cents ans plus tard, on objectera qu’Athènes, berceau d’une démocratie réservée à l’élite, n’est qu’une partie de la Grèce et que, comme souvent, la marche en avant de la sécularisation ne va pas sans un retour express des traditions lorsque le patrimoine religieux et l’identité sociologique qu’elle induit se sentent menacés. Ainsi, en mars dernier, les passions se sont déchaînées autour d’une petite église sise dans le jardin d’une propriété luxueuse de l’île de Mykonos. Celle-ci a été achetée en vente publique par un investisseur arabe. Peu de temps après, quelqu’un a constaté que l’édifice religieux avait disparu : il avait été recouvert de terre. Le débat s’est aussitôt enflammé entre ultra-chrétiens qui y ont vu un sacrilège et le bord laïque qui a fait valoir le droit de l’acheteur à aménager son terrain comme il l’entend. Ledit propriétaire n’était en tout cas pas à l’affût de gains matériels : en Grèce, une église sur un terrain présente beaucoup d’avantages, non seulement fiscaux mais aussi en matière de permis d’urbanisme. C’est tout sauf anodin à un moment où le gouvernement tente de contrôler l’urbanisation sauvage qui se fait galopante dans le pays.

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