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Laïcité en campagne : (dé)routes secondaires

Philippe Foussier · Correspondant en France

Mise en ligne le 12 avril 2022

Sporadiquement, le thème de la laïcité surgit dans l’actualité pour en disparaître rapidement. Comme en 2017, ce thème n’est traité que de manière secondaire dans le cadre de la campagne présidentielle française. Passage en revue des positions et propositions des principaux candidats à l’Élysée.

Photo © Shutterstock

Entre manipulations, désamour et mauvaises interprétations, la laïcité est une thématique presque toujours abordée de manière polémique en France. On pourrait s’en étonner. Sauf si on se penche sur son histoire. Depuis les débuts de la Réforme au XVIe siècle en passant par la première séparation de l’Église et de l’État en 1795, par un XIXe siècle tumultueux, par la loi de 1905 ou les nouvelles controverses de ces trente dernières années, les rapports entre l’État, la société et les questions religieuses ont en effet presque sans cesse connu en France un haut degré de conflictualité.

Au cours des XIXe et XXe siècles, la laïcité était un thème « de gauche », lequel camp s’en était fait le héraut contre une droite réputée cléricale. Les choses ont progressivement changé lorsqu’une partie significative de la gauche a répugné à même l’évoquer. De manière habile, l’extrême droite s’en est emparée et a prétendu défendre des valeurs pourtant bien éloignées tant de son histoire que de son corpus doctrinal.

Instrumentalisée, revendiquée abu­sivement par l’extrême droite, la laïcité donne lieu à d’instructives querelles de la part des deux candidats de cette mouvance. On ne sera pas étonné de constater que tant Marine Le Pen qu’Éric Zemmour ne convoquent la laïcité que pour l’orienter contre les personnes de confession musulmane. Même si Éric Zemmour, qui la revendique bien moins que Marine Le Pen, la conçoit d’abord comme une injonction à la discrétion des fidèles. Il se prononce en effet pour l’interdiction des signes religieux dans l’espace public, en citant le voile islamique et la kippa juive. « On n’a pas à affirmer sa religion devant les autres, c’est une question de respect et d’élégance », explique l’ancien journaliste. Zemmour comme Le Pen exaltent avec régularité le passé religieux de la France, même si la seconde prend soin de préciser que la France est « un pays laïque avec des racines chrétiennes ». Elle assure aussi que son concurrent « dénie à nos compatriotes musulmans la possibilité d’être totalement français », car il se présente selon elle en tant que « défenseur d’une communauté » accusée de « jouer le communautarisme catho-conservateur contre le communautarisme musulman ». « Moi, je ne connais que la communauté nationale », dit-elle. On observera également que la position énoncée par Marine Le Pen a sans doute poussé des figures de la droite catholique à soutenir plutôt Éric Zemmour, comme Christine Boutin, Jean-Frédéric Poisson, Philippe de Villiers ou le Mouvement conservateur (ex-Sens commun).

Postures et bilan

Du côté de la droite républicaine, Valérie Pécresse affirme que la laïcité est son combat « depuis toujours ». Elle met en avant la charte de la laïcité imposée aux associations qui sollicitent de l’argent public au conseil régional d’Île-de-France qu’elle préside. Selon elle, « la laïcité républicaine, c’est la loi au-dessus de la foi ». Cela étant, ses propos ne concernent que l’islam et ses adversaires pointent régulièrement ce qu’ils appellent des « postures ». À gauche, on relève volontiers le fait qu’elle a augmenté substantiellement les subventions de la Région aux établissements d’enseignement privés confessionnels, tandis qu’Éric Zemmour cible lui ce qu’il nomme son « islamo-droitisme » en raison de la complaisance dont témoigneraient plusieurs élus locaux de son entourage envers des mouvements islamistes. Valérie Pécresse se défend pour sa part de toute faiblesse sur ce point et rappelle qu’elle fait interdire le port du burkini dans les équipements sportifs relevant du conseil régional. Elle précise aussi que d’après elle, « le voile n’est pas un signe religieux, mais un signe de soumission de la femme ». Et a pris soin de dénoncer avec les parlementaires LR le refus de la majorité présidentielle d’interdire, lors du vote d’une loi sur le sport en février dernier, le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives, sujet sensible à l’approche des Jeux olympiques.

S’il n’a pas encore fait connaître son programme détaillé ni la part éventuelle qu’il souhaite réserver à la laïcité dans son projet, Emmanuel Macron présente la particularité d’avoir un bilan à son actif. Réticent à aborder ce thème au début de son septennat, jugé par les commentateurs assez proche de la conception affichée en son temps par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, il avait en effet, lors d’un discours prononcé en avril 2018 devant la Conférence des évêques de France, promis aux catholiques de réparer le lien selon lui « abîmé » entre la République et l’Église. Dans la foulée, il était allé récupérer au Vatican son titre de chanoine de Latran, à l’instar de tous ses prédécesseurs de droite, excepté Georges Pompidou. Il a peu après exaucé le vœu des principaux cultes en faisant voter à l’été 2018 une disposition leur permettant d’échapper aux règles de transparence dans leurs relations avec les pouvoirs publics.

En février 2020, Emmanuel Macron développe un discours sur le « séparatisme » islamiste à Mulhouse, dans lequel il trace de nombreuses pistes pour endiguer ce phénomène. En prenant soin de distinguer la quasi-totalité des fidèles du culte musulman et une minorité islamiste active, il prolonge sa réflexion le 2 octobre suivant aux Mureaux en annonçant un projet de loi destiné à donner à la puissance publique des outils concrets pour assurer le « respect des principes républicains », lequel sera adopté le 24 août 2021. L’ambition affichée est de « permettre à la République d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser afin de renforcer la cohésion nationale. Ce texte vise à l’émancipation individuelle contre le repli identitaire »1. Cette loi est présentée comme prolongeant celles de 1905 et de 2004 (cette dernière concernant les signes religieux à l’école) dont les dispositions ne couvrent pas suffisamment la réalité contemporaine de l’offensive des promoteurs de l’islam politique. Parallèlement, le très controversé Observatoire de la laïcité est dissous et lui succède une instance administrative, le Comité interministériel de la laïcité, épaulé par le nouveau « bureau de la laïcité » du ministère de l’Intérieur et par le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation2.

Clivages à gauche

Côté gauche de l’échiquier, la laïcité n’est pas perçue de manière identique par les principaux postulants à l’Élysée, tant s’en faut. Pour le Parti socialiste, Anne Hidalgo ne l’évoque que rapidement, dans la partie de son programme consacrée à l’école : « Les atteintes à la laïcité seront sanctionnées et les professeurs seront protégés de toute pression extérieure sur la pédagogie ou les programmes », y est-il indiqué. Dans son équipe de campagne, pourtant fournie, aucun référent sur ce thème. Le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, très actif dans ce domaine et qui tranche avec beaucoup de ses homologues socialistes de ce fait, y est responsable de la… sécurité. Si la maire de Paris ne rechigne pas à se définir comme laïque, les observateurs remarquent que ses actes ne concordent pas toujours avec ses proclamations. Après sa réélection en tant que maire en 2020, elle a ainsi créé – pour la première fois dans la capitale – un poste de maire adjoint « chargé des cultes », une pratique jusqu’alors quasi réservée aux territoires concordataires d’Alsace et de Moselle.

Le candidat écologiste, Yannick Jadot, est de son côté plus loquace, proposant par exemple de transférer l’administration des cultes du ministère de l’Intérieur à celui de la Justice. Il exprime son souhait de « restaurer une laïcité apaisée », sans donner de contenu précis à cette ambition, même si les observateurs s’accordent pour considérer que lorsque la laïcité est ainsi adjectivée, c’est rarement en vue de la consolider. Le candidat EELV assure aussi que s’il est élu, il fera cesser les financements étrangers des activités cultuelles qui « exportent une vision contraire à la République » et s’affirme contre le port du burkini dans les piscines publiques, alors que les maires appartenant à son parti se positionnent de manière exactement inverse, la plupart accédant aux diverses revendications exprimées par les mouvements islamistes.

Le candidat Mélenchon est de son côté très prolixe. Fidèle au tournant doctrinal qu’il a fait prendre à la France insoumise lors de la manifestation publique du 10 novembre 2019, organisée notamment par des courants islamistes, le député de Marseille assure dans son programme que la laïcité « ne doit jamais servir à montrer du doigt les croyants d’une religion comme dans la période récente cela a été fait contre les musulmans ». Cette manifestation avait accentué les clivages internes à la gauche entre les différentes approches du fait religieux. Jean-Luc Mélenchon entend par ailleurs interdire aux élus d’assister à des cérémonies religieuses et refuser le financement public pour la construction d’édifices religieux ou d’activités cultuelles et d’établissements confessionnels. Il souhaite aussi abroger le Concordat en vigueur en Alsace et en Moselle.

Enfin, le candidat communiste Fabien Roussel évoque la laïcité comme la gauche le faisait naguère, clairement, sans jouer la proximité à l’égard de certains cultes plutôt que d’autres, condamnant tant les dévoiements de l’extrême droite que les dérives imprimées par les mouvances intégristes. « L’heure est venue de réhabiliter solennellement l’idéal de laïcité », annonce le député du Nord, qui avait organisé en janvier dernier, au siège du Parti communiste, une commémoration remarquée de l’attentat de 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo. De son programme, on retiendra sa volonté de fermer les établissements scolaires « hors contrat », presque uniquement confessionnels et pour beaucoup d’entre eux très éloignés des valeurs républicaines, ou encore son souhait de créer un observatoire de la laïcité dont il promet que la composition ne souffrira pas de contestations. « Ma gauche, elle est 100 % laïque », clame Fabien Roussel.

  1. Cf. Philippe Foussier, « Le séparatisme, voilà l’ennemi ! », dans Espace de Libertés, no 494, décembre 2020.
  2. Le SG-CIPDR est une structure d’une soixantaine de personnes rattachée au ministère de l’Intérieur et qui comprend notamment un pôle de lutte contre l’islamisme et la prévention de la radicalisation, et une unité de contre-discours républicain, active sur les réseaux sociaux. Elle travaille en lien constant avec les préfectures, les administrations déconcentrées et les collectivités locales.

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