Là-bas
La grande désillusion
des catholiques allemands
Christophe Bourdoiseau · Journaliste (Berlin)
Mise en ligne le 27 mars 2025
Lancé par le clergé et les laïcs allemands comme une réponse au scandale des abus sexuels, le Chemin synodal devait restaurer la confiance des fidèles. Déçus par l’absence de réformes, ils continuent de quitter l’institution par centaines de milliers chaque année.
Photo © Hans Engbers/Shutterstock
Un vent d’espoir, pas plus. C’est sans doute ce qu’il restera de ce Chemin synodal (Der Synodale Weg) qui a fait couler tant d’encre. Lancé en 2019 par le clergé et les laïcs allemands comme une réponse au scandale des abus sexuels dans l’Église catholique, ce « forum » de 230 membres permanents a permis d’entamer des discussions sur des réformes visant à transformer l’institution : réévaluation du discours sur l’homosexualité, bénédiction des couples homosexuels et divorcés, remise en cause de l’obligation de célibat pour les prêtres, diaconat féminin, possibilité pour tous les baptisés de prêcher lors de la messe…
Changer, mais surtout pas trop
Au départ, Rome n’avait pas eu d’objection sur le principe d’un débat au sein de l’Église et sur un aggiornamento. Le pape François avait même encouragé le dialogue entre évêques et laïcs après le scandale des abus sexuels. C’est déjà une « victoire d’étape », selon de nombreux activistes catholiques qui restent déterminés à briser l’omerta au Vatican. « Le pape a compris que le Chemin synodal pouvait servir de soupape ou d’exutoire pour les fidèles », explique Norbert Lüdecke, spécialiste en droit canonique et auteur d’un ouvrage sur les « duperies de l’Église catholique » (Die Täuschung).
« En cela, le synode mondial ressemble à la voie synodale allemande. Mais il s’agit d’une nouvelle manœuvre pour duper les catholiques, cette fois à l’échelle de la planète », regrette-t-il. En effet, Rome a toujours refusé qu’on touche aux structures mêmes de l’Église. Si la synodalité signifie la participation des laïcs aux délibérations, les décisions ne sont jamais partagées. « Rome, comme les évêques allemands, parle beaucoup de communion mais jamais d’égalité des droits. Les évêques restent donc ceux qui décident en dernier ressort », insiste Norbert Lüdecke.
Malgré les réticences du Vatican, les catholiques allemands ont décidé de poursuivre le Chemin synodal qui s’était achevé le 11 mars 2023 après cinq sessions. Ils ont créé une « commission » pour réfléchir à une gouvernance partagée et surtout pour maintenir le dialogue et « impliquer la base » dans les réformes attendues par les laïcs. Depuis, ils se réunissent en comité pour tenter de fonder une instance supérieure, le Conseil synodal, dont Rome ne veut surtout pas. « Il faut préparer l’Église à l’avenir. Il n’est pas normal que les femmes aient les mêmes droits que les hommes en tant que citoyennes mais pas en tant que croyantes », insiste Irme Stetter-Karp, la présidente du Comité central des catholiques allemands (ZdK). « Nous ne sommes qu’au début du processus. Cette Église ne peut rester comme elle est », dit-elle.
La crainte d’un précédent
Le Conseil permanent de la synodalité, conçu comme une prolongation du processus commencé en 2019, serait composé d’évêques et de laïcs. Mais le pape François ne veut pas d’une nouvelle expérience du synode allemand qui pourrait menacer l’unité de l’Église universelle. Pour cette raison, le Vatican a mis son veto à cette initiative inédite considérée comme une remise en cause de son autorité.
Après plusieurs avertissements lancés aux évêques, Rome a manifesté son opposition en février 2024 par l’envoi de deux lettres incendiaires condamnant « l’absence d’harmonie avec la structure sacramentelle de l’Église catholique ». La colère du pape a fait reculer les évêques qui en sont restés pour l’instant à la création d’un « comité » pour parler de l’avenir. Le Conseil peut attendre…
Selon les experts, c’est un simulacre qui confirme l’échec du Chemin synodal. « Les évêques allemands veulent donner l’impression de poursuivre un processus de réformes qui n’aura pas lieu. C’est de la poudre aux yeux, estime Norbert Lüdecke qui ne croit plus à la capacité de l’Église de se remettre en cause. « Au lieu de transformer l’édifice, les catholiques ont simplement changé des tableaux sur les murs. Le Chemin synodal n’a été qu’un forum de discussions menant à des propositions sans lendemain. Il a montré une fois de plus que le système de l’Église catholique romaine n’est pas réformable », lâche-t-il.

Le « chemin synodal » lancé en 2019 par le clergé laïc tente de préparer l’avenir de l’Église, non sans mal. Car le pape François a les évêques allemands à l’œil.
© Alessia Pierdomenico/Shutterstock
Un gant de velours
Les évêques allemands refusent d’ailleurs systématiquement l’affrontement avec Rome. Ils font tout pour éviter d’irriter le Saint-Siège avec des textes trop revendicatifs qui remettraient en cause le pouvoir de l’évêque et l’unité avec l’Église universelle. Ils n’exigent pas de réformes mais demandent simplement de « reconsidérer » certains dogmes comme l’obligation de célibat pour les prêtres. D’après le président de la Conférence épiscopale allemande (DBK), Georg Bätzing, il n’y a jamais eu d’objectif de créer une Église en rupture avec Rome. « Nous ne devons pas emprunter de chemins particuliers », insiste-t-il, exhortant les catholiques à « marcher ensemble ». « Nous sommes catholiques et nous le resterons », répète-t-il. « Le synode a été un catalyseur. Par ailleurs, le Vatican n’a pas refusé catégoriquement la poursuite du Chemin synodal », tempère Christian Weisner, porte-parole du mouvement réformateur de laïcs et de théologiens allemands Wir sind Kirche, qui garde un espoir de changement.
Trompe-l’œil
Une rupture avec Rome n’est pas à l’ordre du jour. « Il n’y a aucun risque de scission ni de révolution. Les catholiques sont bien trop fidèles », dit Norbert Lüdecke. « Le Conseil synodal me rappelle un peu le village Potemkine. C’est un trompe-l’œil pour la propagande », ajoute-t-il. « Pourtant, les changements sont urgents, sinon tout cela risque de devenir une farce », insiste Christian Weisner. Selon lui aussi, ce sont les structures de l’Église catholique qui constituent l’obstacle majeur à des réformes.
« Beaucoup ne veulent pas remettre en cause leur autorité. On peut parler, mais à la fin, c’est toujours le haut de la hiérarchie qui décide. Il faut que les mentalités changent au sein de l’Église », poursuit-il en regrettant que les 27 évêchés d’Allemagne n’aient pas agi de manière uniforme et commune pour élucider les abus sexuels dans leurs diocèses. Enfin, 4 évêques allemands font campagne contre ce synode dans le monde. À sa tête, on trouve le cardinal de Cologne, Rainer Maria Woelki, soupçonné d’avoir étouffé au moins une affaire d’abus sexuel.
Espoirs déçus
La déception est surtout perceptible chez les jeunes. « Le Chemin synodal a montré qu’il était incapable de briser les structures existantes. Nous sommes déçus par le résultat de ces travaux car ils ne permettent pas de régler le cœur du problème », estime Gregor Podschun, le président de la Fédération de la jeunesse catholique allemande. Les catholiques allemands attendent donc un autre message de Rome pour renouer la confiance dans leurs paroisses qui se désertifient. Ils percevaient le Chemin synodal comme autre chose qu’un simple cahier de doléances. « C’est une illusion de croire que les laïcs pourraient prendre un jour des décisions. Ils conseillent, oui. Mais Rome gardera toujours la main », insiste Norbert Lüdecke en ajoutant : « Au lieu de s’occuper des victimes, l’Église s’est de nouveau occupée d’elle-même. »
Claquements de porte
Ne voyant aucun espoir de changements, beaucoup de catholiques allemands ne trouvent de salut que dans la fuite. Depuis la publication des rapports sur les abus sexuels, un processus qui n’est toujours pas achevé, plus d’un million de croyants ont déjà quitté l’Église catholique. Et malgré l’expérience du Chemin synodal, les catholiques continuent de s’éloigner de leur Église par centaines de milliers chaque année. Jamais la fuite des fidèles n’a été aussi importante.
En 2023, plus de 400 000 personnes ont tourné le dos à l’institution (elles ne paient plus l’impôt d’Église), selon les chiffres la DBK. C’est moins qu’en 2022, année record avec plus de 520 000 départs, mais les « sorties d’Église » restent à un très haut niveau. « Cette hémorragie va se poursuivre. Elle est unique dans l’histoire de l’Église en Allemagne », estime Norbert Lüdecke, qui conclut : « Chaque année, l’Église continue de perdre de son influence. Au bout du compte, elle risque de devenir une simple secte. »
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