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Fondamentalistes religieux et
extrême droite :
attention à nos droits !

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise à jour le 14 février 2022

Fait marquant ces dernières années, des mouvements fondamentalistes chrétiens œuvrent à la réalisation de leur programme théocratique en s’en prenant aux droits des femmes et des personnes LGBTQI+, qu’ils croient contraires à l’ordre naturel.

Photo : © Shutersttock

Aux États-Unis comme en Europe, l’alliance entre conservateurs religieux et extrême droite politique est de plus en plus répandue.

Malgré certaines avancées ici et là, les tentatives d’interdiction de l’IVG se sont multipliées, entre autres aux États-Unis, où les courants fondamentalistes sont puissants et organisés. Une tendance qui gagne d’autres parties du globe, parallèlement à la montée de l’extrême droite.

Aux États-Unis, l’accès à l’IVG est reconnu comme un droit garanti par la Constitution depuis 1974. En vertu du célèbre arrêt Roe contre Wade rendu par la Cour suprême, une femme peut accéder à l’IVG jusqu’à la viabilité du fœtus. Mais ce droit est menacé, car, depuis des décennies, des mouvements fondamentalistes chrétiens tentent de remettre en cause cette jurisprudence. Malgré l’opposition constante de la Cour suprême sur ce point, ils sont cependant sur le point d’y arriver et ils ont déjà obtenu des victoires.

Une loi qui encourage la délation au Texas

Comme, jusqu’à présent, les tribunaux fédéraux s’opposaient systématiquement à toute loi d’un État qui limiterait l’essence même du droit à l’avortement, les républicains du Texas ont imaginé une manière de contourner cet obstacle. La loi dite « SB8 » interdit l’IVG après six semaines de grossesse, sans exception aucune. Elle a la particularité de privatiser la répression, qui n’est pas confiée aux autorités texanes mais aux citoyens : chacun peut faire un recours civil contre toute personne ayant réalisé un avortement ou aidé à sa réalisation, à l’exception toutefois de la femme enceinte. La personne mise en cause (médecin, personnel médical, mais aussi chauffeur de taxi ou ami ayant conduit la femme ayant avorté à la clinique) peut être amenée à payer jusqu’à 10 000 dollars de dommages-intérêts à l’auteur des poursuites… Cette innovation perverse fait de chaque citoyen un délateur potentiel, financièrement incité à persécuter les personnes impliquées dans la réalisation d’une IVG.

François Finck, Les croisés de la contre-révolution. Origines, méthodes et résistance, Bruxelles, Centre d’Action Laïque, 2021, 96 pages.

Les recours contre cette loi ont tous échoué. La Cour suprême a pris comme prétexte des questions de procédure pour refuser de suspendre son application à plusieurs reprises. Dernièrement, dans une décision rendue début décembre 2021, faisant suite à des recours d’ONG et aussi du ministère de la Justice fédéral, le président Biden s’est engagé à tenter d’empêcher des limitations du droit à l’avortement. La stratégie choisie pour contourner l’arrêt Roe contre Wade a été autorisée par la majorité conservatrice de la Cour suprême, bien que son président, John Roberts, ait déploré que cette décision ait eu pour effet de dénier l’exercice d’un droit protégé par la Constitution.

La décision de la Cour dans l’affaire texane augure mal de la suite des événements. Le Mississippi a adopté une loi interdisant les IVG au-delà de quinze semaines, donc en deçà de la limite posée par la Cour suprême1. Les audiences publiques qui ont eu lieu début décembre laissent supposer une volonté de la majorité de la Cour de revenir sur sa jurisprudence libérale. Ce qui reste inconnu est l’ampleur de ce retour en arrière. Une hypothèse est que les États soient autorisés à adopter une limite de quinze semaines. Les organisations pro-choix américaines craignent cependant que la Cour suprême ne décide de laisser toute liberté aux États de déterminer leur politique. Dans ce cas, pas moins de vingt-six États – sur cinquante – introduiraient une interdiction totale de l’avortement ou des limitations strictes2, surtout des États du Sud et du Midwest. L’IVG resterait alors légale presque uniquement dans les États du Nord-Est et de la côte pacifique.

Une Cour suprême aux mains des fondamentalistes ?

Ces régressions ne sont pas un accident, mais le résultat d’une stratégie systématique menée par des mouvements religieux ultraconservateurs et leurs alliés du Parti républicain. Pendant sa présidence, Donald Trump a eu l’occasion de nommer trois juges (sur neuf), et donc de bouleverser les équilibres de la Cour. Il s’agit de juristes très conservateurs, issus d’une nouvelle génération à la religiosité militante, formés dans des programmes créés par des organisations fondamentalistes. Certains y ont ensuite enseigné, comme Amy Coney Barrett, qui était intervenante plusieurs années de suite dans des formations organisées par l’organisation fondamentaliste Alliance Defending Freedom. Ces programmes visent à inspirer aux étudiants une « vision du monde clairement chrétienne dans tous les domaines du droit » et à leur montrer « comment Dieu peut les utiliser comme juges […] pour aider à laisser la porte ouverte à la propagation de l’Évangile en Amérique »3.

Ces nouveaux juges conservateurs ont une approche beaucoup plus offensive, et n’hésitent pas à tenter de changer le droit selon leurs convictions religieuses, ce qui est pourtant contraire à la Constitution américaine elle-même, dont le deuxième amendement proclame la séparation des religions et de l’État. Même certains juges conservateurs, mais d’une génération plus ancienne, sont réticents à franchir ce pas et plus respectueux des précédents. La domination ultraconservatrice dans le système judiciaire fédéral est le résultat d’une alliance politique entre le Parti républicain, accentuée par Donald Trump, et les fondamentalistes chrétiens, issus notamment des Églises évangéliques.

Amérique latine : des (r)évolutions
contre la mainmise catholique

Cette grave régression a lieu alors que la tendance est plutôt inverse sur le reste du continent. En Amérique latine, marquée par des lois très répressives inspirées de la doctrine catholique, la « marée verte », mouvement féministe, a réussi à marquer des points.

En décembre 2020, le vote d’une loi garantissant l’accès à l’IVG en Argentine est une avancée majeure dans cette région4. Au Mexique, alors que l’avortement est légal jusqu’à douze semaines sans condition dans quatre États (sur trente-deux), il est limité aux cas de grossesse résultant de viol ou de risques pour la santé ou la vie de la femme dans la plupart des autres. Cependant, la Cour suprême a jugé en septembre 2021 que la pénalisation de l’avortement – puni jusqu’à trois ans d’emprisonnement dans les cas non autorisés – était contraire à la Constitution. Si les États n’ont donc plus le droit de sanctionner une femme ayant eu recours à une IVG, celle-ci n’en est pas devenue pour autant largement accessible.

La Cour constitutionnelle de Colombie n’a pas suivi cet exemple : dans une affaire qui avait créé de grands espoirs parmi les militants pro-choix, elle a refusé de toucher au statu quo. L’IVG reste interdite, sauf dans trois cas.

Au Chili également, les revendications de dépénalisation complète de l’IVG ont échoué au Parlement. L’avortement était complètement interdit jusqu’en 2017, avec la création d’exceptions en cas de danger pour la vie de la femme, de l’enfant ou de viol. Les partisans de la dépénalisation complète comptent cependant bien poursuivre leurs efforts.

Plusieurs pays d’Amérique centrale continuent d’interdire l’IVG dans tous les cas et le considèrent comme un crime. Le Salvador, qui réprime férocement les femmes soupçonnées d’avoir interrompu une grossesse, a été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l’homme le 30 novembre 2021, dans la tragique affaire Manuela. La jeune femme avait été condamnée à trente ans de prison après une fausse couche… et était décédée en détention des suites d’un cancer mal soigné. La Cour a ordonné que le pays modifie ses lois et cesse les poursuites pénales contre les femmes dans les cas d’urgence obstétrique.

Activisme fondamentaliste en Pologne

En Pologne, après la quasi-interdiction de l’IVG par le pseudo-Tribunal constitutionnel en octobre 2020, les fondamentalistes catholiques poursuivent leur offensive. Une proposition de loi a été déposée, qui prévoyait de criminaliser l’avortement en l’assimilant à un meurtre… Cette proposition a été rejetée par le Parlement polonais, par les voix de la gauche, du centre droit et d’une majorité de députés du parti national-conservateur au pouvoir (PiS). Cependant, plusieurs dizaines de députés ont voté contre le rejet de cette proposition, dont certains membres du PiS…

Cette proposition témoigne du fanatisme d’une frange des catholiques, qui ont également présenté une proposition dite « anti-LGBT ». Cette proposition, qui a été renvoyée en commission parlementaire par la majorité PiS, prévoit d’interdire toute manifestation et déclaration en faveur des droits des personnes LGBTQI+, en violation des droits fondamentaux (liberté d’association, liberté d’expression…).

Aux États-Unis comme en Europe, l’alliance entre conservateurs religieux et extrême droite politique est de plus en plus répandue. À la base du succès de Donald Trump en 2016, cette alliance est en train de mener à la croissance du national conservatism, dont certaines figures cherchent leur inspiration dans la Hongrie de Viktor Orbán. Son régime illibéral soutient l’internationale fondamentaliste. En France, Éric Zemmour, candidat d’une extrême droite nationaliste décomplexée, est soutenu là encore par les catholiques intégristes. Le développement de cette alliance entre fondamentalistes religieux et extrême droite politique est actuellement un des principaux dangers pour les droits fondamentaux.

  1. Affaire Dobbs contre Jackson Women’s Health Organization.
  2. Elizabeth Nash et Laurent Cross, « 26 States Are Certain or Likely to Ban Abortion Without Roe: Here’s Which Ones and Why », 28 octobre 2021.
  3. Emma Brown et Jon Swaine, « Amy Coney Barrett, Supreme Court nominee, spoke at program founded to inspire a “distinctly Christian worldview in every area of law” », 27 septembre 2020.
  4. L’IVG était légale seulement dans l’Uruguay voisin, en Guyana, Guyane française, Cuba et quatre États du Mexique.

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