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Les cultureux
Esprit critique, es-tu là ?
Propos recueillis par Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction
Mise en ligne le 25 octobre 2024
Comment déjouer les pièges de nos certitudes dans un monde saturé d’informations biaisées ? Avec l’exposition « Esprit critique. Détrompez-vous ! », le Musée de la vie wallonne invite à un parcours audacieux, aussi ludique qu’instructif.
Photo © Province de Liège
Lors de notre visite, quelques jours après l’ouverture, l’église désacralisée qui jouxte l’ancien couvent des Frères mineurs, à deux pas de la place Saint-Lambert, résonne des galopades et des voix de plusieurs classes de secondaire. Par petits groupes, les élèves se promènent dans une ville reconstituée. À chaque dispositif interactif, ils scannent le bracelet connecté distribué à l’entrée pour activer les quiz et les vidéos, mais aussi pour enregistrer les réponses. Les données personnelles ainsi grappillées – l’occasion est donnée d’évoquer les enjeux d’une telle collecte –, débouchent sur une analyse particulière qui permettra de dégager des tendances générales.
La scénographie est claire, aérée, pleine de peps. Les adolescent.e.s sont clairement à l’aise dans cet univers ultra-connecté. Chargé des expositions, William Ramacciotti nous emmène de la Stèle des idées mortes à la salle de spectacle, en passant par la mairie et le food-truck, le kiosque à journaux, la supérette et la pharmacie. Chaque halte sollicite notre esprit critique, teste nos connaissances et nos certitudes. Les objectifs de cette exposition : démêler le vrai du faux, aiguiser les jugements et surtout, questionner les nombreux biais cognitifs par le décryptage des mécanismes qui conditionnent les opinions. Le maître d’œuvre de l’exposition nous en dit plus sur cette immersion cognitive et ses objectifs.
Pensez-vous qu’on puisse vraiment enseigner l’esprit critique dans une société où les gens préfèrent être confortés plutôt que « challengés » ? L’exposition peut-elle vraiment faire une différence dans ce climat de fake news actuel ?
C’est essentiel, en fait ! Car s’il est parfois compliqué de bousculer les gens dans leurs certitudes, l’exposition vise à montrer qu’on en a très peu. Et que c’est intéressant d’en prendre conscience et de douter. Le but, ce n’est pas de douter de tout absolument, mais de douter avec justesse et se renseigner sur les différentes informations que l’on nous transmet.
L’exposition s’adresse-t-elle principalement aux sceptiques ? Ou pensez-vous que ceux qui croient fermement aux fausses informations viendront pour être « détrompés » ?
Personne n’a un esprit critique parfaitement aiguisé. L’esprit critique, c’est comme un muscle : on doit le travailler et le développer toute sa vie. Même si on pense en avoir un très bon, on pourrait être surpris. Et c’est normal parce que l’erreur est humaine. En avoir conscience permet de conserver un doute raisonnable et de rester vigilant.
Universcience, Toulouse Métropole – Le Quai des savoirs et Cap Sciences Bordeaux Nouvelle-Aquitaine, les concepteurs, ont opté pour la voie ludique et interactive. Permet-elle vraiment d’envisager toute la complexité du problème des fake news ?
Non, car effectivement tous les phénomènes sont très complexes. On les étudie d’ailleurs encore actuellement. Ce n’est pas le premier objectif de l’exposition. Il est plutôt d’ouvrir les yeux sur la multitude de biais cognitifs qui peuvent induire en erreur, et sur les mauvaises réceptions d’information par notre cerveau. Et donc simplement d’en avoir conscience. L’exposition fait ensuite appel à des éléments de recherche, au travail à mener pour se renseigner par rapport à une information. Mais ici le but n’est pas de donner une vision complète et totale de l’esprit critique. Car personne ne peut prétendre à l’exhaustivité dans le domaine.
© Province de Liège
© Province de Liège
Si on prend le risque de trop douter, est-ce qu’on ne finit pas par tout remettre en question, même les vérités scientifiques ? Est-ce possible de tracer une limite du doute ?
Le but n’est pas de douter absolument de tout mais d’avoir un doute raisonnable. On se fie notamment aussi à différents éléments. La question du degré de confiance à accorder à une information suivant la personne qui la donne, ses compétences, son expertise, les différentes sources utilisées est essentielle. L’idée est de montrer que différents drapeaux verts ou rouges, en quelque sorte, nous permettent de faire bouger notre curseur de doute par rapport à une information donnée.
Aujourd’hui, les musées endossent un rôle social de plus en plus affirmé. Pensez-vous que le Musée de la vie wallonne peut influencer des comportements au-delà des salles d’exposition ?
C’est une question très intéressante parce qu’effectivement nous sommes un musée de société. Et donc notre mission première est de faire réfléchir nos publics, de les interpeller sur des phénomènes de société. C’est pourquoi nous avons déjà proposé des expositions sur la migration, sur la folie, sur l’écologie… En choisissant d’accueillir cette exposition sur l’esprit critique, nous nous sommes posé la question : est-ce que le Musée de la vie wallonne est légitime pour parler de cette thématique ? Nous nous sommes donc d’emblée pliés à l’exercice de l’esprit critique par rapport au sujet développé. Un musée offre une vision, différentes informations sur une thématique, mais c’est un axe parmi d’autres : les visiteurs et visiteuses ont encore bien des choses à découvrir par ailleurs.
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