Docteur Van Diest,
femme médecin

Fin novembre dernier, la page d’accueil de Google rendait hommage à Isala Van Diest par l’intermédiaire d’un doodle². Née à Louvain le 7 mai 1842, Isala Van Diest n’était pas seulement une femme médecin réputée, elle est surtout la première à avoir pu exercer cette profession en Belgique. Cette femme engagée et persévérante, « pur-sang féministe » est, malgré toutes les difficultés et oppositions de l’époque, parvenue à obtenir son doctorat et à percer dans une profession qui a longtemps tourné le dos à la gent féminine.

Née à Louvain en 1842 d’un père médecin et d’une mère active dans diverses organisations notamment féministes, Isala Van Diest a été élevée dans un esprit d’ouverture et d’égalité avec ses six frères et sœurs. En plus de l’engagement social de son père Pierre Joseph Van Diest et de sa mère Élisabeth Génie, les voyages font partie des habitudes familiales. Et c’est ainsi que, par l’intermédiaire de sa mère, elle entrera plus tard en contact avec les idées des milieux progressistes anglais.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’éducation des filles à cette époque souffre de nombreuses lacunes. Les filles de la classe moyenne étant généralement formées pour devenir des épouses « exemplaires », elles sont donc censées maîtriser la conversation, la peinture et d’autres compétences sociales jugées « utiles ». Celles qui ont plus de chance peuvent poursuivre leurs études dans un internat ou fréquenter une école normale après l’enseignement primaire. Et pour les filles des classes populaires, l’horizon, c’est l’usine ou toute autre forme d’emploi.

De retour en Belgique, Isala Van Diest ne se voit pas encore accueillie à la hauteur de sa réussite et de ses capacités, puisque malgré son diplôme elle ne peut toujours pas exercer la profession de médecin dans son propre pays. Elle s’expatrie donc une nouvelle fois : direction l’Angleterre, où elle obtient un poste au New Hospital for Women en 1880.

Deux ans plus tard, elle revient en Belgique où, son diplôme n’étant toujours pas reconnu, elle suit des cours complémentaires à l’Université libre de Bruxelles et décroche son diplôme de docteure en médecine, chirurgie et obstétrique. L’évolution des mentalités suivant son cours après l’adoption de l’arrêté royal en 1884, elle reçoit enfin l’autorisation d’exercer la médecine dans son pays. Ce décret voté le 24 novembre et publié le 27 novembre au Moniteur belge s’intitule « Médecins étrangers – Dispense – Application de l’article 42 de la loi du 20 mai 1876 » et précise qu’Isala Van Diest « est autorisée à exercer en Belgique les trois branches de l’art de guérir » mais aussi que « cette autorisation est révocable ».

En 1881, elle s’engage activement au Refuge à Ixelles, un lieu d’accueil pour prostituées créé par des femmes protestantes. Elle devient également membre de la Société de moralité publique, une organisation pluraliste dont le but est d’aider les femmes à sortir de la prostitution. Un engagement qui durera plus de deux décennies, alors qu’elle milite aussi contre la traite internationale des femmes. Du côté de la reconnaissance formelle à la profession de médecin, il faudra attendre la loi du 10 avril 1890 sur l’octroi des grades universitaires, qui donnera enfin aux femmes l’accès à la formation et à la profession de médecin ou de pharmacien. Isala Van Diest entamera finalement sa pratique à Bruxelles en 1886, malgré le fait que les Belges ne semblent toujours pas tout à fait mûrs à l’idée d’aller consulter une femme médecin. Si la législation a évolué, il faudra encore un certain temps avant que les mentalités suivent. En 1902, un problème oculaire contraint Isala Van Diest à cesser ses activités de médecin. Elle abandonne alors également ses mandats d’administratrice et s’installe, avec la baronne de Bieberstein, rencontrée dans le cadre de ses activités, à Knocke.

Moins connue dans la partie francophone de Belgique, Isala Van Diest s’inscrit pourtant dans la même veine que la première femme docteure en droit, Marie Popelin. Souvent citée comme figure de proue du féminisme en Belgique, cette dernière a commencé des études de droit en 1883 à l’âge de 37 ans à l’Université libre de Bruxelles. Marie Popelin a d’ailleurs fondé avec Isala Van Diest et l’avocat Louis Frank la Ligue belge des droits des femmes. Tout comme Isala Van Diest, Marie Popelin a subi l’écrasant pouvoir des hommes, qui dictent les règles à l’époque. Elle s’est vu notamment refuser l’accès au barreau, avec un arrêt de la cour d’appel de 1888 pour le moins aussi éclairant des mentalités de l’époque que déplaisant : « Attendu que la nature particulière de la femme, la faiblesse relative de sa constitution, la réserve inhérente à son sexe, la protection qui lui est nécessaire, sa mission spéciale dans l’humanité, les exigences et les sujétions de la maternité, l’éducation qu’elle doit à ses enfants, la direction du ménage et du foyer domestique confiée à ses soins la placent dans des conditions peu conciliables avec les devoirs de la profession d’avocat et ne lui donnent ni les loisirs, ni la force, ni les aptitudes nécessaires aux luttes et aux fatigues du barreau. »

L’arrêt précise également que les femmes ont le devoir de rester à la maison : « Je pense, en un mot, que ces fonctions publiques : élire des représentants, discuter les lois, gouverner l’État, administrer la justice doivent revenir aux hommes, parce que la vie qui convient en général aux femmes n’est pas dans la vie publique, mais dans la vie privée, la vie intérieure, et que leur vraie place n’est pas dans l’agora, mais au foyer domestique. »³ C’est ainsi que Marie Popelin se retrouve avec un poste au sein d’un cabinet d’avocats, mais sans pouvoir plaider…

Isala Van Diest, qui est parvenue, envers et contre tout, à exercer le métier de son choix, est décédée le 6 février 1916. Aujourd’hui, son parcours et son nom sont enfin reconnus, à l’instar de ceux d’autres figures féministes de notre pays. En 2011, en Belgique, des pièces ont été frappées en l’honneur d’Isala Van Diest et de Marie Popelin, à l’occasion du centenaire de la première Journée internationale des femmes. Depuis 2018, une rue de Bruxelles porte son nom, de même que le nouveau site hospitalier Hertogensite, au centre de Louvain. En 2020, un groupe de l’Université d’Anvers, qui mène des recherches prometteuses sur le microbiome vaginal, a également choisi de porter le nom de la première femme médecin belge. Tout comme celles qui se sont battues et luttent encore pour la cause féministe, l’émancipation et le progrès social, Isala Van Diest mérite certainement cette reconnaissance. Alors, pourquoi ne pas donner leur nom à davantage de rues, de places et de salles de réunion ? Et à quand un hôpital Isala-Van-Diest en Belgique ?