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« Dites-leur
des mots vrais »
Cinq questions à Laurence D’Amelio
Propos recueillis par Vinciane Colson · Journaliste « Libres, ensemble »
Mise en ligne le 9 septembre 2023
Onze mille femmes sont touchées par un cancer du sein en Belgique chaque année. Même si chacune traverse un parcours singulier, elles voient toutes leur vie chamboulée. En ce mois de sensibilisation contre le cancer du sein, Octobre rose, la pièce Le Vif du sujet rend hommage à ces « battantes » atteintes dans leur chaire et dans leur féminité. Des femmes qui ont besoin de vérité et d’honnêteté. La comédienne Laurence D’Amelio illumine ce rôle de femme qui apprend à se libérer des injonctions de la société.
Libérer la parole sur la maladie, c’est l’un des objectifs de ce spectacle ?
Le but était que les femmes se rassemblent, qu’elles rient de certaines situations et qu’elles reprennent un peu de pouvoir sur elles-mêmes. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux ; le cancer touche tout le monde. Le fait d’entendre cette femme raconter son histoire si simplement, vers une libération du regard sur elle et de la pression de la société, ça fait du bien.
20 h 30 • Théâtre Le Public (Bruxelles) • Petite salle
Réservation
On parle du milieu du travail, du couple, de l’hôpital, des amis. Toute la vie est bouleversée. Il y a beaucoup de rires et beaucoup d’émotion. Et les gens se rendent compte qu’ils ne sont pas tous seuls. Pas plus tard qu’hier, une maman me disait après le spectacle, les larmes aux yeux : merci, j’ai compris ma fille. Sa fille a été atteinte du cancer et elle a compris certaines choses qu’elle avait dû traverser. Une autre dame me disait : ma collègue a le cancer et ça fait trois mois que je n’ose plus l’approcher parce que je ne sais pas quoi faire. Et j’ai répondu : parlez-lui avec des mots vrais, allez la voir et dites-lui : « Pardon, je ne savais pas quoi faire. » Et tout se passera bien. Une responsable des ressources humaines me demandait après le spectacle : qu’est-ce que je dois dire à mon employé, quand il m’apprend qu’il a un cancer et qu’il veut encore travailler ? Je lui ai juste dit : « N’ayez pas peur, et faites-lui confiance, s’il n’est plus capable, il ne le fera plus. » Dans le spectacle, il y a une scène qui décrit comment, petit à petit, l’avocate s’est sentie mise de côté. D’habitude, on lui donne les gros clients parce qu’elle en met plein la vue. Et là, on fait appel à une de ses collègues. Elle sent qu’on l’écarte et qu’elle ne vaut plus rien. Pour que la maladie soit intégrée, on pourrait commencer comme ça : par envoyer une femme sans cheveux parler à un client. Pourquoi pas ? La société a peur de la maladie et de la vieillesse, alors que ce sont des étapes normales qui devraient être accueillies, accompagnées et dédramatisées. Il faudrait les intégrer dans la vie et ne pas avoir peur. Quand on est différent, qu’on n’a plus de poils, qu’on perd ses cheveux, pourquoi doit-on absolument paraître normale ? Pour rassurer les autres ? Il y a tout un cheminement, vers une acceptation de l’être qu’on devient. Je pense qu’on doit arrêter d’essayer de correspondre tout le temps à l’être qu’on était.
Comment l’auteure, Laurence Bastin, a-t-elle procédé pour écrire la pièce ?
Elle a mené l’enquête pendant un an. À l’époque, je n’avais pas encore été touchée par la maladie, c’est venu après. Pour être légitime, il fallait que tout soit vrai. Laurence a rencontré cinquante personnes – principalement des femmes, mais quelques hommes tout de même – et elle a transformé leurs témoignages en un seul personnage. Évidemment, je demande pardon à celles qui n’ont pas survécu, à celles qui vivent des choses plus graves – celles qui vivent des choses plus légères, ça, ça ne pose pas problème. On ne peut pas parler de tout. On devait commencer à un endroit du trajet de cette femme pour provoquer la discussion. On n’apporte pas de solutions, on pose des questions. Et ça libère la parole. C’est exactement ce que je voulais faire au départ, quand j’ai eu l’idée de parler de cette maladie et que j’en ai parlé à Laurence Bastin. Les débats après sont merveilleux. On est tous ensemble dans cette salle et on parle. Les femmes me disent qu’elles reçoivent beaucoup de force. Les femmes sont de vraies guerrières et ont beaucoup d’humour. On dirait qu’elles mettent plus de vie dans la vie encore.
Comment réussit-on à mettre de l’humour dans un sujet aussi douloureux ?
Parce que c’est considéré comme une étape. Ça veut dire qu’il y a un après qui peut être plus lumineux, plus vrai. Je crois que ce spectacle porte beaucoup d’espoir. Évidemment il y a des femmes qui en meurent et des femmes qui dégustent plus que ce que mon personnage traverse. Mais l’énormité des situations auxquelles on est parfois confrontées pendant la maladie dans le milieu médical et dans le milieu du travail fait que ça en devient drôle avec le recul. On a joué devant des médecins à Bordet. Le débat a été très édifiant. Des médecins m’ont dit : « Moi, je suis de la vieille école, je ne suis pas suffisamment formé et j’ai besoin d’aide pour dire les choses. » C’est super parce qu’ils ont créé une petite cellule d’accompagnement des médecins. Les patient.e.s veulent qu’on leur donne des réponses et qu’on les entende aussi. On ne fait le procès de personne. Il y a juste un travail à faire d’un côté et de l’autre. Le patient n’est pas du tout exempté de travail et de prise de conscience. Ce n’est jamais malveillant. Ici, on emploie les mots vrais. Et pour moi, ce sont des médicaments. Ça fait du bien à tout le monde parce qu’on dit les choses comme elles sont.
Entre le début du processus d’écriture, avant la Covid-19, et aujourd’hui, vous avez été vous-même touchée par un cancer du sein. Est-ce que ça a eu un impact sur la manière dont vous jouez la pièce ?
Je pense que j’ai plus d’humour. Je le porte autrement. On peut jouer ce spectacle sans l’avoir eu. Je le faisais d’ailleurs et c’était bien reçu. Mais il y a peut-être une petite chose en plus. C’est étonnant. Mais traverser la maladie, ça m’a amené plus de distance, ça m’a appris à dédramatiser. Je crois que je peux le porter avec plus d’amour et de force. J’ai envie de donner cette force, de la partager. J’ai été confrontée moi-même à des situations similaires à celles vécues par mon personnage. J’ai rencontré un chirurgien merveilleux qui m’a dit : « Je vous dirai toujours la vérité et je vous écouterai. » C’était bien parti. Par contre, une femme médecin a abusé de son pouvoir et m’a fait très peur pour poser les actes qu’elle voulait alors que je les refusais. Et ce spectacle que j’avais déjà joué m’a aidé à dire non. Inconsciemment, cette chose était déjà là en moi : je savais que je pouvais dire non.
Apprendre à dire non et se libérer des injonctions de la société, c’est aussi un des messages du spectacle ?
Oui, complètement. Au moment où on a le plus besoin d’humour, d’attention, de délicatesse, de douceur, de paroles vraies, on nous dit : « Sois belle et tais-toi ». Mon personnage fait un beau chemin de libération, de vérité. Elle simplifie beaucoup de choses. Évidemment, ça fait un tri dans les relations. Parfois, on change de boulot. Cette maladie est un vrai bouleversement. Le cancer du sein particulièrement, parce qu’on est atteintes dans un des signes de notre féminité, dans quelque chose de rassurant pour tout le monde. Quand les seins ne sont plus là, c’est très perturbant. C’est difficile parce qu’on se transforme. Et évidemment ça a des répercussions sur tous les domaines de notre vie. La plupart des femmes, si elles s’en donnent le droit, souvent se dégagent de beaucoup de choses. On n’a plus de temps à perdre, on va à l’essentiel.
Comment se reconstruire après un cancer du sein?
Parole aux femmes
Libres, ensemble · 7 octobre 2023
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