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Dessiner sur les murs
Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction
Mise en ligne le 17 juillet 2023
Nos représentations de la prison sont nourries par quelques rares photos parues dans la presse, et surtout par des images fictives issues de séries américaines telles que Prison Break, Oz ou Orange is the New Black. À moins que l’on ne soit membre du personnel pénitentiaire ou détenu.e, on ne pénètre pas facilement dans un centre de détention, comme si ce qui s’y déroulait devait à tout prix être soustrait au regard. La bande dessinée documentaire permet de lever un petit bout de voile sur l’univers carcéral, « angle mort de notre société ».
Pendant deux ans et demi, par intermittence, le dessinateur et illustrateur français Galien a animé un atelier de dessin à la maison d’arrêt de Caen, sa ville d’origine. C’est un peu par hasard qu’il a atterri dans ce milieu, un projet en entraînant un autre. Le Carnet de prison récemment paru chez Steinkis qu’il en a tiré relate dans le détail une expérience humainement très intense. Des appréhensions initiales aux souvenirs marquants emportés une fois les ateliers terminés en passant par des observations criantes d’inhumanité, le Carnet de Galien prouve une chose : la prison est de ces lieux dont personne ne sort indemne, même quand on y entre de son plein gré. Ni surveillant ni détenu, le dessinateur a mis à profit son statut d’intervenant culturel pour croquer tout ce qu’il a vécu et vu de ses propres yeux dans ce monde parallèle, en marge de la société. Rare possibilité donnée aux détenus de quitter leurs cellules surpeuplées en dehors du préau et du travail à la chaîne, l’atelier de dessin consacré aux portraits animé par Galien a été l’occasion pour lui de nouer, très lentement, entre méfiance, distance et confidence, un lien particulier avec les hommes qui se cachent derrière les détenus, indépendamment des infractions et des crimes commis. De leur donner un outil d’expression – le dessin – auquel ils n’ont pas accès et de « leur montrer qu’autre chose que la violence est possible ». Même dans un des lieux les plus violents qui existent.
« Donner à voir ceux que beaucoup ignorent ou ne veulent pas voir », c’est le mérite d’une autre bande dessinée, sobrement intitulée Prison et éditée en 2022 par La Boîte à Bulles. « C’est toute la force de ce roman graphique », rappelle La Ligue des droits de l’Homme française dans sa postface, « que de dépeindre de façon juste les conditions d’incarcération en France, qui plus est sous la forme d’une fiction ». Prison n’est pas l’œuvre d’un seul homme comme le Carnet de Galien, il s’agit d’une œuvre collaborative mêlant les compétences artistiques de Fabrice Rinaudo (scénariste), Sylvain Dorange et Anne Royant (illustrateurs) et la matière vive de Rosanna Lendom (avocate). Les quatre contes cruels de Prison dressent le portrait groupé de codétenus qui tentent par tous les moyens de survivre à l’Ogresse qui avale tout sur son passage, dans « un écosystème opaque et inhumain », où enfermement « rime avec violence, privation de soin, de silence, de vie sexuelle et d’amour » et où les difficultés ne font que s’aggraver.
Tant en France qu’en Belgique, « l’absence de volonté politique condamne la prison à rester en zone grise », écrit Galien. Le travail des illustrateurs comme lui met en avant celui des acteurs issus de la société civile qui œuvrent à réduire le recours à l’incarcération, tentant d’ouvrir une brèche dans « les murailles de l’inaction ». Et il redonne aussi et surtout un peu de couleurs et d’humanité aux personnes privées de liberté.
Galien, Carnet de prison, Paris, Steinkis, 2023, 160 pages.
Fabrice Rinaudo, Anne Royant et Sylvain Dorange, Prison, Saint-Avertin, La Boîte à Bulles, 2022, 80 pages.
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