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Des femmes, ensemble
Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM
Mise en ligne le 26 mai 2025
Plus on remonte dans le temps, et moins il y a de femmes. Enfin si, il y a des femmes décrites via un prisme masculin. Des femmes qui se détestent, des marâtres, des femmes qui se battent pour un homme, des femmes fragiles et en détresse. »
Dans cet ouvrage au dessin tout en douceur habillé de nuances pastel, Caroline Cohen Ring, autrice du livre illustré Et si j’étais hypersensible ? (Larousse, 2023), se propose de donner à voir « des faits historiques qui ont implanté les bases d’un féminisme qui trouve sa force dans la sororité ». Un thème qui s’inscrit bien dans l’air du temps. Au fil de douze courts récits sont convoqués de manière chronologique, sur un ton léger et plein d’esprit, des faits et des figures historiques méconnus ou peu exploités dans l’historiographie française, dont une pétillante évocation de l’expression « porter la culotte ».
Interpréter le passé à l’aune de nos perceptions contemporaines semble pour le moins aventureux. Ainsi, la légendaire Boadicée, reine des Icéniens violentée par les Romains, célèbre pour avoir conduit la révolte d’une coalition de tribus bretonnes contre l’Empire au Ier siècle de notre ère, constitue certes, pour ce que l’on en connaît, une figure féminine puissante et inspirante. Elle sera d’ailleurs utilisée par Élisabeth Ire comme mythe fondateur d’une reine guerrière pour légitimer son droit à régner en tant que femme et, à l’ère victorienne, remodelée en tant que protectrice de la nation britannique. Peut-elle cependant servir d’exemple d’expression d’une solidarité entre femmes pour les femmes ?
Le propos se fait plus pertinent lorsqu’il s’agit d’évoquer la société mixte des Scythes dont les femmes combattantes ont sans doute inspiré le mythe des Amazones, des personnalités comme Christine de Pizan, autrice de la Cité des dames, monument de la littérature protoféministe et Etta Palm d’Aelders, espionne et féministe néerlandaise engagée dans la Révolution française ou encore la lutte pour l’obtention du droit de vote des suffragettes au Royaume-Uni.
Un autre intérêt de ce roman graphique est que l’autrice y aborde des exemples non européens tels que les mouvements féministes égyptiens nés au début du XXe siècle et les récentes mobilisations autour du slogan « Femme, vie, liberté » en Iran. Sans oublier, le nécessaire rappel de l’engagement pour la cause des femmes noires des sœurs Paulette et Jane Nardal, originaires de la Martinique, et leur implication longtemps occultée dans l’élaboration du concept de « négritude ».
Destiné à un public adolescent ou adulte, cet ouvrage brosse à grands traits, format oblige, ces différentes évocations historiques. Il aurait gagné en les sourçant ou en proposant quelques références bibliographiques en annexe. Il n’en constitue pas moins une agréable mise en bouche invitant sa lectrice ou son lecteur à aller plus loin. Caroline Cohen Ring clôt ses pages sur une exhortation : « Maintenant, on continue ensemble ». Prenons-la au mot !
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