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De la prison
aux peines alternatives :
quel changement ?

Justine Bolssens · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 10 juin 2022

À quelques mois de l’ouverture de la nouvelle méga-prison de Haren et de l’entrée en vigueur de dispositions de la loi du 17 mai 2006, qui auront pour effet que les personnes condamnées à des peines allant jusque trois ans passeront par la case prison1, l’incarcération présentée comme l’ultime recours semble rester la sanction de référence. Ce constat nous interpelle compte tenu de l’inefficacité en matière de récidive et des maux qu’elle génère. Existe-t-il de réelles alternatives ? Quelles constatations peuvent être faites au regard de leurs mises en œuvre ?

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Depuis sa création au milieu du XIXe siècle, le parc pénitentiaire belge a doublé sa capacité2. Il existe aujourd’hui 35 prisons et elles accueilleront bientôt plus de 11 200 personnes. Cet expansionnisme carcéral tente de pallier le manque de places et donc la surpopulation carcérale. Or les recherches en criminologie démontrent que « plus on construit, plus on remplit ». Précisons également, comme le prouvent les travaux de la criminologue Sonja Snacken, que cette surpopulation est liée à l’inflation carcérale, c’est-à-dire à la hausse du nombre de détenu.e.s supérieure à celle de la population. Les raisons sont multiples : on allonge les peines, plus d’un tiers des détenu.e.s sont en détention préventive donc en attente d’un jugement, le prononcé de libération conditionnelle est de plus en plus tardif, etc. Il apparaît alors évident que l’augmentation des places ne résoudra pas à lui seul le problème de la surpopulation carcérale.

Un système
remis en cause

Cette utilisation massive de la prison est d’autant plus questionnable que les établissements pénitentiaires et la prise en charge des détenu.e.s font l’objet de critiques répétées : la vétusté des locaux, les mauvaises conditions de détention, le manque de transparence dans leur gestion ou encore l’augmentation des partenariats privé-public, etc. L’impact sur les détenu.e.s est également dénoncé, tel que la désocialisation, la détérioration de la santé physique et mentale, la précarisation et la reproduction des inégalités sociales, le taux de récidive élevé ou bien l’obstacle que constitue le casier judiciaire pour la réinsertion.

La prison, assortie de ses mesures de contrôle des détenus, reste la sanction de référence en Belgique, malgré des effets délétères avérés.

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Des recommandations peu appliquées

Les recommandations européennes, les recherches en criminologie ainsi que les positions du milieu associatif actif dans le secteur carcéral poussent pourtant les politiques à se pencher sur les peines alternatives. Le dernier rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) appelle « à fixer une limite au nombre de détenus dans chaque prison et à promouvoir les mesures non privatives de liberté »3. Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) estime qu’il faut « prendre les mesures requises en vue d’augmenter le recours aux mesures alternatives à la détention »4. Et pourtant, à la lecture des dernières notes de politique générale de l’actuel ministre de la Justice, rien n’y fait référence et la volonté des politiques d’accroître le nombre de places en prison progresse donc à contre-courant. Depuis la 6e réforme, le suivi et l’encadrement de ces moyens sont de la compétence des Communautés.

Et les mesures alternatives ?

Il existe pourtant aujourd’hui plusieurs options face au prononcé d’une peine de privation de liberté : la peine de surveillance électronique, la peine de travail, la peine de probation autonome, l’amende ou encore le sursis. Les objectifs de ces sanctions sont multiples : diversifier leur arsenal afin d’éviter le recours à l’emprisonnement, lutter contre la récidive et la surpopulation carcérale, punir en permettant aux condamné.e.s de maintenir des contacts avec la société et donc faciliter la réinsertion.

La surveillance électronique permet de ne pas aggraver le problème de la surpopulation carcérale, mais elle reste une modalité d’exécution d’une peine privative de liberté.

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Même si les études ne sont pas nombreuses, il semble que plusieurs de ces objectifs soient atteints. En effet, l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) a démontré que le taux de récidive est plus faible lorsque la personne est condamnée extra-muros plutôt qu’à une peine de prison ferme. Ces peines « alternatives » réduisent le nombre d’individus incarcérés et donc la surpopulation carcérale et ses conséquences. De plus, comme le professeur Damien Vandermeersch l’a récemment déclaré, « les peines alternatives coûtent moins cher à l’état que la prison »5. Le coût d’un.e détenu.e par an est d’environ 50 000 €, soit un équivalent temps plein par prisonnier.e, alors pourquoi ne pas investir davantage dans les assistant.e.s de justice, chargé.e.s du suivi des détenu.e.s purgeant leur condamnation hors de la prison et qui traitent actuellement entre 50 et 80 dossiers, sachant que les peines alternatives connaissent moins d’échecs que l’incarcération ?

En pratique

Malgré cela, l’utilisation de ces solutions de repli à l’incarcération reste marginale. Seulement « un tiers des personnes poursuivies pour des faits liés aux drogues entre 2005 et 2014 en ont bénéficié »6 et ces alternatives sont en diminution pour cette population, car la tendance est à une augmentation des peines d’emprisonnement et des amendes ; les peines de travail sont, quant à elles, appliquées à 40 % pour des peines de roulage, et les surveillances électroniques sont en hausse, mais demeurent peu nombreuses. Tout cela reste donc à la marge du processus souhaité.

Des options non exemptes de critiques

Ces mesures ne font pas l’impasse de critiques. Pour commencer, de par leur intitulé « mesures alternatives », elles continuent d’être des substituts à la prison. La prison se maintient ainsi comme condamnation par excellence. De plus, le déploiement de ces alternatives à la peine d’emprisonnement participe à l’extension du filet pénal. En effet, ces mesures sont appliquées pour des faits qui auparavant n’auraient pas été punis et « ces peines semblent davantage se cumuler aux peines de prison que les remplacer ». Elles ne diminuent donc pas sensiblement les prononcés de peine de prison et viendraient agrandir le système pénal7. Ajoutons qu’il paraîtrait que ces mesures sont inégalement réparties au sein de la population carcérale.

Les femmes condamnées à des faits liés à la drogue bénéficieraient davantage de mesures de ce type que les hommes condamnés pour ces mêmes faits et que la population carcérale féminine dans son ensemble. Par ailleurs, « l’application des peines alternatives est influencée par les difficultés linguistiques, l’absence de ressources (revenu, travail, réseau social, éducation), le statut de séjour et les risques de fuite, à la défaveur des personnes non belges »8. En outre, certaines de ces peines comme la transaction pénale contribueraient à renforcer les inégalités entre justiciables et la menace d’une justice à deux niveaux en fonction des moyens financiers des inculpé.e.s.

Les peines alternatives ne sont pas de fausses peines. Repousser les murs de la prison s’avère nécessaire pour sortir du système carcéral.

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Un changement de paradigme nécessaire

Actuellement, la justice pénale s’appuie principalement sur la peine d’emprisonnement. Les peines alternatives ne sont que secondaires9 et « restent liées à l’emprisonnement comme peine subsidiaire ». Le discours tenu par nos politiques sur la lutte contre l’impunité véhicule une image de la condamnation alternative comme une non-peine, une faveur, alors qu’elle est contraignante. L’un des enjeux réside donc dans le statut donné à ces condamnations et la volonté de changer un système qui subit un constat d’échec depuis des décennies. La prochaine réforme du Code pénal devrait permettre de revoir le sens et les modalités de la peine. Ces condamnations font également l’objet de réprobation sociale. Certain.e.s citoyen.ne.s les considèrent comme des peines mineures, peu punitives et qui contribuent à un sentiment d’insécurité. Une part des professionnel.le.s du monde judiciaire manifeste « une forme de mécontentement concernant l’inexécution partielle, voire totale, des peines de prison »10 et donc véhicule encore une fois cette idée de fausse peine.

Le contexte politique actuel axé sur la répression explique en partie l’usage qui est fait des peines alternatives. Pourtant, repousser les murs de la prison se révèle être une nécessité pour rendre le système judiciaire plus humain et l’ancrer dans la réalité des personnes qui y sont confrontées.

  1. Actuellement, la plupart de ces condamné.e.s sont placé.e.s sous surveillance électronique avant de bénéficier de la libération provisoire. Ils ne séjournent donc pas en prison.
  2. Philippe Mary, Prisons en Belgique. Histoires, normes, pratiques, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2021, pp. 172-176.
  3. « Le comité anti-torture appelle à fixer une limite au nombre de détenus dans chaque prison et à promouvoir les mesures non privatives de liberté », 21 avril 2022.
  4. Conseil central de surveillance pénitentiaire, Mémorandum à l’attention du Gouvernement fédéral belge, septembre 2020.
  5. Hughes Angot, « “Les peines alternatives coûtent bien moins cher à l’état que la prison” explique Damien Vandermeersch, professeur de droit pénal à l’UCLouvain », 11 janvier 2022.
  6. Eurotox, « Les peines alternatives à la prison », 26 juin 2020.
  7. Yves Cartuyvels, « Les peines alternatives au stade sentenciel en Belgique : alternatives, mais de quoi ? », dans Yvan Cartuyvels, Christine Guillain et Thibaut Slingeneyer (dir.), Les alternatives à la détention en Belgique : un état des lieux, à l’aune du Conseil de l’Europe, 2017, pp. 80-97.
  8. Eurotox, « Les peines alternatives à la prison », op. cit.
  9. Thibaut Slingeneyer, « Quelles alternatives à la prison ? Ici et ailleurs en Europe », dans L’Observatoire, no 66/2010, p. 88.
  10. Laura Jadot, « Représentations des mesures alternatives et des aménagements de peines de la population et des intervenants socio-judiciaires belges », mémoire de master, Université de Liège, 2020.

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