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David contre Goliath
au Royaume-Uni

Keith Porteous Wood · Président de la National Secular Society

Mise en ligne le 16 février 2023

Avec un hymne national intitulé « God save the King » et la présence de l’Église anglicane lors de différents événements officiels de la royauté, le Royaume-Uni ne semble pas enclin à laisser la laïcité s’installer dans ses institutions. Une tradition lourdement ancrée qui ne correspond plus aux aspirations d’une partie de la population, ce qui pousse la National Secular Society à militer pour la séparation de l’Église et de l’État, l’école laïque, la liberté d’expression et le droit à mourir dans la dignité. Des sujets que d’aucuns aimeraient voir surgir plus massivement dans le débat public.

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L’une des principales campagnes de la National Secular Society (NSS), association fondée par Charles Bradlaugh en 1866 et basée à Londres, est la séparation de l’Église et de l’État. Mais il est bien rare que le sujet s’invite dans le débat outre-Manche. Toutefois, à la fin de l’année 2022, l’establishment de l’Église d’Angleterre – c’est-à-dire son statut d’Église d’État – a été remis en question pour plusieurs raisons : le décès de la reine Elizabeth II a rappelé que le monarque est de jure le gouverneur suprême de l’Église. Le dernier recensement décennal de la population indique que les personnes s’identifiant comme chrétiennes étaient, pour la première fois, passées sous la barre des 50 % : de 58 % à 44 %, précisément, en dix ans, ce qui correspondant à l’augmentation de l’athéisme. La fréquentation de l’Église anglicane étant tombée à 0,9 % de la population anglaise.

Une Église d’État anachronique

Au Royaume-Uni, l’Église est étroitement liée à l’État. Ainsi le droit canonique est d’application et le livre de prières autorisé par le Parlement. Son synode peut même prendre l’initiative d’une législation qui sera présentée au Parlement, bien qu’elle ne puisse devenir loi que si les deux chambres du Parlement l’approuvent. La NSS, tout comme 62 % de la population, s’oppose à ce que 26 évêques de l’Église anglicane siègent de plein droit au Parlement, un privilège unique au monde.

Le nouveau monarque sera couronné en mai prochain dans le cadre d’un service anglican au cours duquel il fera serment de protéger les nombreux privilèges de l’Église, et sera oint d’huile « sainte », ce qui n’est pas sans rappeler le droit divin des rois. Un avocat britannique a décrit, non sans une pointe d’ironie, le couronnement comme « dépourvu de signification juridique, juste un rituel idiot et superstitieux de l’Église d’Angleterre. Charles n’a absolument pas besoin d’être couronné par une Église minoritaire ». Avec d’autres, la NSS a quant à elle appelé à une cérémonie au Parlement, au cours de laquelle le monarque s’engagerait à travailler de manière égale pour tous, indépendamment de sa religion ou de ses croyances.

Début 2022, la NSS a mené une campagne contre la discrimination des gays et des lesbiennes puisque l’Église anglicane considère toujours l’homosexualité comme un péché et reste opposée au mariage civil et religieux entre personnes de même sexe.

Malgré le positionnement de l’Église, le mariage civil entre personnes de même sexe a été introduit en 2013. On peut soupçonner que la crainte d’un retrait de son statut d’Église d’État par le Parlement l’a poussée à accepter il y a quelques années les femmes prêtres, puis les femmes évêques. Aujourd’hui, les parlementaires commencent à protester. La plupart des paroisses d’Angleterre seraient prêtes à accepter le mariage religieux homosexuel et certaines provinces anglicanes, par exemple en Écosse et aux États-Unis, l’autorisent déjà. Toutefois, la plupart des anglicans dans le monde, notamment en Afrique, s’opposent vigoureusement à l’homosexualité. L’archevêque de Canterbury, chef (de plus en plus nominal) de la communion anglicane, reste intransigeant par crainte de les contrarier.

Ce n’est pas le rôle des laïques de dicter à une religion ce que doivent être ses doctrines, à condition qu’elles soient légales. Cependant, il existe des limites au-delà desquelles une Église d’État ne peut raisonnablement espérer conserver ce statut. La reine Elizabeth II était une chrétienne pratiquante, et dans l’esprit de beaucoup, modifier l’establishment aurait été impensable sous son règne. Bien que le roi Charles III soit tout aussi religieux, une grande partie de la déférence dont bénéficiait sa mère a disparu.

Pour une école laïque

Malgré la laïcisation de la société, environ un tiers des écoles financées par l’État sont toujours chrétiennes, ce qui comprend un quart des écoles gérées par l’Église anglicane. Celles-ci sont autorisées à sélectionner les élèves sur la base de la croyance revendiquée par leurs parents, souvent feinte pour pouvoir entrer dans une école locale, en particulier dans les zones rurales. La NSS se bat avec acharnement contre l’ouverture de nouvelles écoles religieuses et la fermeture d’écoles non religieuses, en particulier lorsque ces dernières sont inexistantes à proximité.

De façon scandaleuse, la loi exige toujours un « acte de culte collectif » (généralement chrétien) dans toutes les écoles, et ce, malgré l’opposition de la NSS et la décision d’un tribunal d’Irlande du Nord, qui a jugé cette pratique en violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Espérons que ce précédent ouvrira la voie de l’élimination de cette pratique dans tout le Royaume-Uni. Les laïques ont obtenu le droit pour les élèves plus âgés de s’exclure eux-mêmes de la prière en Angleterre, et les parents peuvent en exempter leurs enfants à n’importe quel âge.

L’Irlande du Nord est la région la plus religieuse du Royaume-Uni, où le sectarisme – probablement plus tribal que religieux – est toujours profondément ancré. Le nombre d’écoles non confessionnelles y augmente, bien que partant d’une base faible, mais les endroits où elles sont le plus nécessaires sont, comme on peut s’y attendre, ceux où elles rencontrent le plus de résistance.

Il existe également des écoles confessionnelles minoritaires, parmi lesquelles certaines ne sont pas enregistrées. Dans certains cas, elles n’enseignent même pas l’anglais, les mathématiques, les sciences, l’éducation sexuelle ou les droits universels. Le gouvernement s’est engagé à réagir à la demande de la NSS.

Au Royaume-Uni, l’Église anglicane est très présente dans la vie publique politique. Le droit canonique de l’Église fait partie du droit du pays et son livre de prières est autorisé par le Parlement.

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Des chevaux de bataille infatigables

Une autre priorité est la défense de la liberté d’expression. Bien que la National Secular Society ait réussi à travailler avec les parlementaires pour l’abrogation du crime de blasphème en Angleterre et au pays de Galles en 2008, dans les faits, les pressions des musulmans radicaux et la censure semblent gagner du terrain. Les militants laïques continuent à exhorter le gouvernement à protéger la liberté d’expression, mais ce dernier semble peu enclin à prendre des mesures efficaces. Cette attitude lamentable ne saurait être plus éloignée du soutien inconditionnel du gouvernement français à Samuel Paty.

Par ailleurs, la NSS continue à s’opposer à l’abattage sans étourdissement préalable, autorisé uniquement pour des raisons religieuses et demande, en attendant, que l’étiquetage des denrées alimentaires fasse état de tout abattage sans étourdissement. La NSS s’oppose également à la circoncision masculine non thérapeutique imposée à des enfants non consentants, ne voyant aucune raison d’autoriser cette pratique alors que les mutilations génitales féminines sont interdites. Une autre campagne portée par la NSS, celle en faveur de l’euthanasie, remporte le soutien de la population. Les Britanniques sont en effet majoritairement favorables à l’introduction de lois autorisant « l’aide à mourir ». Plusieurs tentatives de légiférer, dont une en 2022, ont échoué en raison du manque de soutien du gouvernement, mais à la fin de l’année, les parties intéressées ont été invitées à présenter leurs arguments. Un important combat éthique porté par les sécularistes devrait à tout le moins bénéficier d’une meilleure considération de la part du gouvernement britannique en 2023.

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