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Propos recueillis par Catherine Haxhe · Journaliste « Libres, ensemble »
Avec la rédaction
Mise en ligne le 20 décembre 2024
Après Les yeux rouges, roman adapté au théâtre, et le documentaire #salepute traitant du cyberharcèlement, la journaliste, romancière et réalisatrice belge Myriam Leroy se mue en commissaire d’expo. Après avoir découvert près de 4 300 messages de haine issus d’un groupe Facebook privé dont elle avait été la cible principale, elle a confié la matière de cette cyberviolence à une douzaine d’artistes. Le rendu, pluridisciplinaire, met à distance cette violence pour mieux l'universaliser, et combler le vide laissé par la justice.
Illustration © Serge VanKerck
Comment le projet « Sexisme Pépouze » est-il né ?
Ce projet s’est concrétisé assez rapidement. Les premiers messages que j’ai envoyés datent de mai, ce qui, pour un projet artistique, est un délai extrêmement court. Il est né de la découverte d’un groupe Facebook privé (la Ligue du LOL, NDLR) destiné à organiser mon harcèlement. C’est un ancien membre repenti de ce groupe qui m’a transmis les conversations. J’ai ainsi découvert 4 300 messages échangés sur une période de 50 jours, soit une moyenne de 85 messages par jour. Ces échanges visaient à orchestrer la rédaction d’articles contre moi dans la presse de droite et d’extrême droite, mais aussi à se foutre de moi, à critiquer les femmes et les féministes et déverser leur haine de que l’on n’appelait pas encore à l’époque le « wokisme ». Et quand je dis « critiquer », c’est leur propre terminologie, car il ne s’agissait pas de critiques mais de pure vomissure.
Vous vous êtes lancée dans un parcours juridique, mais il n’a pas porté ses fruits. Vous demandez à l’art de faire mieux que l’œuvre de la justice ?
J’ai l’impression d’avoir tout essayé face au harcèlement : le dépôt de plainte à la police, la rédaction de livres, un documentaire, une pièce de théâtre, des procès… Mais globalement, les résultats restent décevants. Cela ne calme pas les harceleurs, bien au contraire. Quand j’ai découvert ces conversations, j’en ai d’abord fait une petite dépression. Même quand on pense passer au travers, il reste toujours quelque chose de poisseux. Puis, une idée m’est venue : je me suis dit que je ne voulais pas répondre au texte par le texte, ni à l’invective par l’invective. Il fallait trouver un autre langage, et ce langage serait celui de l’art plastique. Je ne suis pas une grande habituée des musées ou galeries, mais je sais ce que j’aime. J’ai donc contacté des artistes dont j’admirais le travail sur Instagram, je leur ai expliqué ma démarche, et les réponses positives n’ont pas tardé. Concernant la galerie, j’ai eu la chance d’en connaître une qui n’est ni snob ni écrasante pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de ces lieux. Je la connaissais pour avoir déjà acheté quelque chose dans leur shop. J’ai osé entrer et présenter mon projet. À ma grande surprise, les galeristes ont embarqué directement. Ce projet a vraiment été la concrétisation d’un rêve.
Vous connaissiez les artistes impliqué.e.s ?
Pas tou.te.s. J’en avais déjà rencontré.e.s certain.e.s. Pour Serge VanKerck, le peintre qui expose à l’entrée, c’est différent : c’est un ami proche, qui me suit depuis la genèse du harcèlement, la préhistoire de la nuisance. J’ai voulu qu’il m’aide à porter ce projet. L’idée était de partager le fardeau, de morceler ce sortilège pour le rendre collectif.
Pourquoi avoir inclus des hommes dans ce projet, contrairement à certaines pratiques féministes ?
Au départ, je pensais ne faire appel qu’à des femmes, mais je me suis dit : « Pourquoi est-ce toujours à nous de porter ce fardeau, de ressasser ces discours ? » Il est temps que des hommes prennent leur part de responsabilité. Ils font partie du problème, mais j’ai voulu voir s’ils pouvaient aussi faire partie de la solution. J’ai donc inclus des artistes comme Serge VanKerck, Romain Garcin et Stephan Goldrajch, parce que je les sais bienveillants et sensibles à ces problématiques. Dans les milieux féministes, on privilégie souvent la non-mixité, mais je voulais tenter une autre approche.
Avez-vous laissé carte blanche aux artistes ?
Oui, absolument. Il y a eu des échanges avec certain·es qui voulaient partager l’évolution de leur réflexion ou me demander mon avis, mais je ne voulais pas intervenir. Ce n’est pas à moi de juger si une œuvre est pertinente ou non. Je leur ai fait confiance, et j’ai eu raison : il se trouve que j’aime tout, et que tout ce qui a été créé porte un discours bien à propos. En même temps, je ne m’adressais pas à des newbies ; il y avait peu de chances que leurs œuvres soient complètement à côté de la plaque.
J’imagine que vous n’allez pas nous révéler le secret de vos œuvres préférées – ça ne se fait pas. Mais pouvez-vous nous dire un mot sur celles qui vous ont particulièrement parlé ?
La plaque en aluminium gravée de Loïs Soleil me touche énormément. Tout comme 4300/50, les messages rassemblés dans un livre monumental par une équipe de designers du livre et du papier dont certains sont issus de La Cambre. Ces œuvres reflètent ce que j’espérais en lançant cette expo : que les messages provoquent une réflexion personnelle chez les artistes. Je ne voulais pas être le sujet de cette exposition. Parce qu’en fait, il n’est pas question de moi mais de sexisme, de la haine envers les femmes et du système qui l’autorise. Loïs Soleil a écrit un texte spontané, comme un jaillissement ininterrompu, mêlant toutes les expériences d’humiliation et de violence qu’elle a vécues et qui sont remontées en lisant le corpus de messages. Elle l’a gravé au laser sur une plaque en alu, transformant un geste éphémère en quelque chose de durable. Cette œuvre montre l’universalité de la misogynie.
Certaines œuvres sont néanmoins très personnelles, comme celle qui évoque vos oreilles.
Stephan Goldrajch, qui est artiste textile, s’est inspiré de l’obsession de mes harceleurs pour mes oreilles. Ils fantasment et délirent à leur sujet de façon hallucinante. Je ne vois pas ce qu’elles ont de particulier… je ne suis pas atteinte de dysmorphophobie ! Mais toujours est-t-il que l’artiste a créé une pièce textile représentant deux oreilles attachées à un scalp, avec l’arrière de la tête. Scalper quelqu’un par derrière, c’est vraiment un symbole de trahison déloyale. Ces oreilles, devenues réceptacles de fantasmes et de dégueulasseries, résument bien le caractère absurde et poisseux du cyberharcèlement.
Cette exposition marque-t-elle la fin de votre combat contre vos harceleurs ?
Oui. Après cette expo, qui se termine le 26 janvier, je ne leur accorderai plus le moindre fifrelin d’attention. Ils ne semblent pas prêts à tourner la page, puisqu’ils réagissent beaucoup en ce moment sur les réseaux sociaux. Ils revendiquent fièrement le fait d’être les auteurs de ces messages, ce qui est très étonnant : toute personne normalement constituée irait se cacher dans une grotte pour le restant de ses jours. Eux en sont très fiers. Il semble clair qu’ils ne cesseront jamais leur harcèlement. Mais moi, je tire un trait.
Il est difficile de faire preuve d’optimisme en ce moment, mais comment peut-on se saisir de tout cela et agir contre le cyberharcèlement ? En éduquant les plus jeunes ?
Les jeunes générations semblent déjà accoutumées à cette haine, qui est devenue une donnée normale de leur construction. Peut-être devrions-nous éduquer la vieillesse, car c’est elle qui pose problème. Mes stratégies, aujourd’hui, sont l’art et l’humour. La société permet ce harcèlement sans le sanctionner légalement et socialement. Il suffit de voir Donald Trump, agresseur auto-revendiqué et bully (harceleur) notoire : il triomphe. Il y a peu de choses à espérer dans le futur, il faut juste tâcher de sauver sa peau.
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Libre, ensemble · 19 décembre 2024
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