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Corée du Nord :
les provocations balistiques
d’un État nucléaire

André Dumoulin · Chargé de cours honoraire à l’ULiège et attaché à l’Institut royal supérieur de défense

Mise en ligne le 12 juin 2023

Depuis quelques semaines, la Corée du Nord concentre toute sa diplomatie sur des actes bellicistes symboliques et de la gesticulation d’ordre nucléaire au travers d’essais de tirs de missiles balistiques de portée différenciée. Pourrait-elle déstabiliser la planète ?

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Le processus identitaire et dissuasif de cet État mondialement isolé n’est pas nouveau. Il y a vingt ans, la Corée du Nord annonçait son retrait unilatéral du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Pyongyang a fait jouer l’article X dudit traité qui prévoit que l’on peut s’en retirer « si des événements extraordinaires ont compromis les intérêts suprêmes du pays ». Ce retrait doit être notifié et justifié aux autres États signataires du TNP ainsi qu’au Conseil de sécurité… avec un préavis de trois mois.

Violation du TNP

Le problème est que ce retrait fut immédiat et que de nombreux États ont estimé qu’aucune menace ni aucun événement extraordinaire n’ont porté atteinte aux intérêts suprêmes nord-coréens entre la date de ratification du traité et celle du retrait en 2003 ! Certes, nous pouvons noter le caractère subjectif de la notion d’« exceptionnel », sachant que la Corée du Nord évoque régulièrement « l’hostilité des États-Unis et de la Corée du Sud ». En fin de compte, malgré l’impossibilité d’une position commune du Conseil de sécurité à l’époque sur cette question du retrait, pour bon nombre de diplomaties, la décision nord-coréenne était entachée d’illégalité dès lors que l’article X ne pouvait être mobilisé.

Nous avons pu par la suite observer de multiples manœuvres nord-coréennes, tirs balistiques ou encore discours enflammés et nationalistes renforçant d’autant la dissuasion tout en menaçant son voisin du Sud. Récemment, durant le mois de janvier 2022, la Corée du Nord a effectué 11 tirs de missiles – courte portée, moyenne portée, missile de croisière (1 500 km de portée) et planeur hypersonique1. Au total cette année-là : entre 80 et 90 tirs. Depuis le début 2023, une trentaine de tirs ont déjà été réalisés dont certains vers la mer du Japon située entre la péninsule coréenne et le pays des mangas, celui-ci devant parfois mettre en alerte les populations locales. Le 13 avril dernier, un tir de missile de longue portée à propergol solide a de nouveau violé les résolutions du Conseil de sécurité.

Bien des questions sont émises à propos de ces tirs : capacité réelle de maîtriser la corrosion des propergols liquides stockables et de miniaturiser les charges nucléaires pour les ogives des missiles, maîtrise de l’hypervéloce, évaluation correcte de la doctrine d’emploi, adéquation des capacités opérationnelles et techniques, etc. Reste que, comme le relève Antoine Bondaz de la Fondation pour la recherche stratégique, la Corée du Nord joue sur une diversification du type de missiles, leurs allonges, l’intégration dans certains missiles d’une propulsion à carburant solide plus stable et plus aisément transportable et la dispersion des vecteurs2. Quant au nombre estimé selon les sources de têtes nucléaires, il serait de 40 à 116 charges3.

Concernant la dimension politique, elle repose, pour le régime communiste, sur l’argumentaire d’une menace américaine et sud-coréenne, considérant que leurs manœuvres peuvent mettre à mal la sécurité de Pyongyang. Cette perception de la menace est allée jusqu’à suspendre, dans le chef de la Corée du Nord, depuis le 7 avril 2023, les appels de routine quotidiens via les lignes de communication intercoréennes afin d’éviter tout malentendu autour de la frontière maritime occidentale.

Par ses discours bellicistes et ses nombreux tirs balistiques fortement médiatisés, le dictateur nord-coréen compte arracher des concessions à la communauté internationale tout en préservant son régime.

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Une surenchère verbale

De plus, toute montée en puissance militaire de la Corée du Nord pourrait être vue par les citoyens de ce pays – qui souffrent cruellement des pénuries alimentaires – comme une réassurance identitaire et un prestige du régime. Au point d’organiser une politique de communication agressive, celle d’une rhétorique conflictuelle. Rappelons-nous face à Trump ce qu’en disait le premier dirigeant nord-coréen en 2017 : il allait « observer encore un peu le comportement idiot et stupide des Yankees » ou « Je disciplinerai par le feu le gâteux américain mentalement dérangé ». Quant à Trump, à la même époque, il y est allé de sa prose verbale légendaire : « [Ces menaces] se heurteront au feu et à la colère [comme] le monde n’en a jamais vu », « Ce type n’a-t-il rien de mieux à faire de sa vie ? », « Si nous sommes obligés de nous défendre ou de défendre nos alliés, nous n’aurons d’autre choix que de détruire totalement la Corée du Nord » ou « Ne nous sous-estimez pas, ne nous mettez pas à l’épreuve ». Plus récemment, la sœur du dirigeant dictateur nord-coréen Kim Jong-un a dit à propos du président Biden qu’il serait un « vieil homme sans avenir ».

Suivre et perdurer

L’objectif de Kim Jong-un, par ses discours bellicistes et ses nombreux tirs balistiques fortement médiatisés, repose sur cette volonté d’arracher des concessions à la communauté internationale tout en préservant son régime résistant aux sanctions. Toute dictature n’a qu’une seule envie : survivre et durer. Le nucléaire et la balistique sont les outils dissuasifs servant à asseoir la sanctuarisation du pays et à se protéger d’une hypothétique agression classique. L’aide chinoise permet au régime de ne pas s’effondrer quand bien même le pays dispose de capacités propres (trafics, contournement des sanctions, formation à l’étranger, aide indirecte criminelle chinoise, etc.), de maintenir la « stabilité » régionale par ce soutien et de s’assurer de posséder un allié antiaméricain dans la région.

Les réactions de protestation sont régulières, sinon automatiques, dès que des tirs ont lieu. Certains pays occidentaux et l’Union européenne exhortent la Corée du Nord « à se conformer sans délai à ses obligations et à s’engager dans un processus d’abandon complet, vérifiable et irréversible de ses programmes nucléaire et balistique ». La Corée du Nord « ne peut pas avoir et n’aura jamais le statut d’État doté d’armes nucléaires, tel qu’il est prévu par le TNP », comme l’a rappelé le Conseil de l’UE le 15 avril dernier.

Quant au secrétaire général de l’ONU António Guterres, il ne peut que condamner le lancement de missiles balistiques nord-coréens et le fait de mettre en avant les risques d’escalade involontaire. Au-delà, rien de possible dès lors que le Conseil de sécurité ne fonctionne pas à l’unisson et que la Chine et la Russie ne condamnent pas la République populaire démocratique de Corée, plus connue sous le nom de Corée du Nord.

Dans ce jeu dialectique entre le risque (coût/bénéfice) et l’enjeu (proportionnalité), la volonté du régime nord-coréen de perdurer et la demande de sécurité de la Corée du Sud et du Japon, l’environnement régional est particulièrement instable. Paradoxalement, les processus de dissuasion réciproque opèrent dès lors que les États-Unis et la Corée du Sud se sont engagés récemment à renforcer la réassurance alliée face à une Corée du Nord qui émet des signaux de pertinence d’emploi, de crédibilité capacitaire et de centralité décisionnelle politique dans le champ du nucléaire militaire.

Quelle réassurance américaine ?

Qu’il s’agisse de la présence de 29 000 militaires américains dans le pays, de l’escale du sous-marin nucléaire stratégique Ohio dans un port sud-coréen (gesticulation)4, du message du président Biden rappelant, le 26 avril dernier, à Pyongyang qu’« une attaque nucléaire de la Corée du Nord contre les États-Unis ou ses alliés ou partenaires5 est inacceptable et provoquera la fin du régime qui déciderait d’entreprendre une telle action », il n’est cependant pas question de stationner, comme par le passé, des armes nucléaires américaines dans la péninsule. Relevons que plus de la moitié des Sud-Coréens seraient en faveur de la possession d’armes nucléaires6.

Le feuilleton nord-coréen pose le problème plus général de la prolifération des missiles balistiques mais aussi des missiles de croisière et de la fragilisation du TNP (avantage à disposer de l’arme nucléaire pour se sanctuariser ?). Il met en avant également la possibilité pour des États signataires de traités multilatéraux de les dénoncer en imitant la Corée du Nord mais également la Russie et les États-Unis (notamment le traité antimissile ABM, le traité euromissile et New Start, particulièrement fragilisés ?). C’est ainsi par l’effeuillage des dispositifs de maîtrise des armements que la Corée du Nord fragilise la sécurité globale.

  1. Observatoire de la dissuasion, FRS, Paris, janvier 2022, p. 4.
  2. Philippe Antoine, « Les très inquiétants tirs de missiles nord-coréens », mis en ligne sur www.rtbf.be, 13 avril 2023.
  3. « North Korean nuclear weapons, 2022 », Nuclear Notebook, dans The Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 78, no 5, 2022, p. 276.
  4. En 1991, une décision a été prise de retirer les armes nucléaires américaines. Un an plus tard, une déclaration a été signée entre Séoul et Pyongyang selon laquelle aucun des deux pays ne testerait, ne produirait, ne recevrait, ne posséderait, ne stockerait, ne déploierait ou n’utiliserait des armes nucléaires. Quant à la déclaration de Washington, la source ne précise pas quels sous-marins de l’US Navy seront envoyés dans les ports sud-coréens. Il y a près de deux douzaines de sous-marins de classe Ohio en service. Quatre d’entre eux portent des missiles de croisière Tomahawk, tandis que les autres sont équipés de missiles balistiques Trident II (D5) à ogives nucléaires. Pour en savoir plus : The Associated Press, « Des sous-marins nucléaires américains accosteront en Corée du Sud », mis en ligne le 26 avril 2023 sur https://intellivoire.net.
  5. Probablement l’Australie, le Japon et les Philippines.
  6. Enquête de Realmeter à la demande du journal Economy Business Newspaper, 21 avril 2023.

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