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« C’est un combat
permanent de conserver
les savoirs vivants »

Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef

Mise en ligne le 12 avril 2022

Christophe Galfard a la fabuleuse manie de nous emmener dans les étoiles, au travers des galaxies et des trous noirs. Comme il le propose lui-même dans son dernier ouvrage, il met « l’univers à portée de main ». De la vulgarisation scientifique au recours à la raison, il active nos neurones et notre esprit critique.

Photo © NASA

Vous êtes docteur en physique théorique et vous vous êtes donné comme mission de vulgariser la science et plus particulièrement celle liée à l’univers, à l’astrophysique, pourquoi ?

Probablement parce que ça m’a plu depuis toujours d’essayer de raconter ça en histoires. La vision scientifique du monde fait partie des histoires que nous, les humains, réussissons à construire pour tenter de donner un sens à la réalité qui nous entoure. Alors certes, il y a l’astrophysique, mais dans la vulgarisation que j’essaie d’entreprendre, il y a de tout : ça va de la physique quantique à l’astrophysique, à la biologie, à tous ces domaines du savoir qui constituent un patrimoine mondial, finalement. Il y a aussi l’importance, évidente, de chercher à éloigner certains obscurantismes et d’offrir à chacun les moyens de comprendre par soi-même les phénomènes mondiaux, de réussir d’une certaine manière à combattre également les idées fausses qui sont assénées, par exemple par ceux qui nient le réchauffement climatique, malgré les preuves.

Pensez-vous que la science n’est pas assez à portée de main des jeunes ?

Christophe Galfard, L’univers à portée de main, Paris, J’ai lu, 2016, 608 pages.

Les enjeux de société liés à la science sont colossaux. Là, on vient de traverser une partie de pandémie et l’on a bien vu que la société s’est trouvée un peu perdue, en ayant besoin d’une sorte de figure maternelle ou paternelle scientifique qui viendrait, d’autorité, expliquer des choses. Manque de pot, ce sont des gens qui n’auraient jamais dû avoir la parole qui se sont mis à asséner des choses complètement absurdes.

Cela vous a choqué. C’est une espèce de hold-up de la science ?

Oui. De la même manière que dans les années 1980, les grands groupes de tabac faisaient des pubs avec des types en blouse blanche qui étaient docteurs et qui expliquaient que ce n’était pas plus mal pour les femmes enceintes de fumer deux-trois clopes par jour, parce que c’était bon. C’est du charlatanisme total et ils le savent très bien. C’est juste de l’arnaque et aussi un manque flagrant de travail de la part de certains journalistes qui, pour le spectacle, donnent la parole à des gens qui, sincèrement, feraient mieux de ne pas l’avoir. Quand un scientifique veut trop avoir la parole, en général, c’est louche.

Pourquoi ?

Ça prend énormément de temps d’essayer d’expliquer des choses le plus honnêtement possible scientifiquement. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit d’avoir un avis qui peut être faux. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas se tromper, mais quand c’est contre l’ensemble de la communauté scientifique, c’est du spectacle. Ce n’est plus du tout de la vulgarisation scientifique.

Depuis l’apparition de la pandémie, on voit ici et là que la science est parfois malmenée, que ce n’est plus forcément un pilier sur lequel chacun se base pour appréhender le monde. Quelle est votre réaction quand vous observez ce type de comportements et notamment venant de personnalités en vue comme Donald Trump ?

Je ne pense pas que cette pandémie ait mis à mal la science, en fait. La plupart des docteurs avec qui je parlais n’avaient aucune idée de ce qui était en train de se passer. On n’était pas dans du faux, on était dans de l’inconnu complet. Ce type de pandémies avaient été prédites par les scientifiques depuis des dizaines et des dizaines d’années. On savait que ça allait arriver. Le jour où c’est finalement arrivé, on a quand même été pris de cours avec un virus qu’on ne comprenait absolument pas. Et en parallèle de ça, on a réussi à en faire l’analyse génétique extrêmement rapidement, on est parvenu à trouver des vaccins…

Enfin, la science a plutôt été ultra-efficace d’une manière complètement folle. Il y a eu une collaboration scientifique mondiale entre tous les départements de partout. Après, il y a eu d’autres facteurs qui sont entrés en jeu et qui n’ont plus rien à voir avec la science. Il y a eu une sorte de doute qui a été émis vis-à-vis de celle-ci, alors que ce n’était pas la science qui aurait dû être jugée par rapport à ces doutes-là. Et évidemment, cela s’est additionné au côté complotiste à la Trump, etc. Il y a une certaine honnêteté dans le savoir scientifique qu’on essaie de transmettre, mais bon, ça ne peut pas toucher tout le monde.

Est-ce que cela vous conforte encore davantage dans cette volonté de conscientiser les jeunes aux sciences ?

Oui, car si on arrête d’enseigner la science aux jeunes, en deux ou trois générations, la Terre redevient plate, on n’a plus de vaccin, on ne sait plus construire de fusées, on ne sait plus soigner, on n’a plus rien. Ce n’est pas quelque chose qui est pérenne. C’est un combat permanent de conserver ces savoirs vivants. Tout ce qu’on voit autour de nous nous montre d’une certaine manière que, oui, la Terre semble plate. Dès l’instant où l’on voyage, où l’on peut faire le tour du monde, aller dans l’espace, on peut l’appréhender, mais c’est un apprentissage.

C’est l’un des points intéressants que vous nous expliquez lors de vos conférences : on peut se fier à nos sens pour une partie de notre vécu, mais pas pour l’entièreté de nos connaissances.

La partie sensorielle de la réalité qui nous entoure est infime. L’ensemble des connus est bien plus grand. Et l’ensemble des inconnus est encore plus gigantesque. Et ça ne veut pas nécessairement dire qu’il ne faut pas avoir confiance en nos sens, étant donné qu’on arrive à travers nos cerveaux à comprendre ce qui est au-delà d’eux Je ne vois pas vraiment de règles précises et faciles à donner. Il peut y avoir des erreurs. L’immense majorité peut se planter pendant très longtemps. Mais tant qu’il y a une certaine méthode et une volonté de confronter les idées à l’expérience, ça me va.

Le physicien Christophe Galfard, spécialiste des trous noirs, s’est donné comme mission de vulgariser la science et plus particulièrement l’astrophysique.

cc Olivier Ezratty

Alors ce qui est aussi intéressant dans votre démarche, c’est que vous expliquez, aux jeunes et aux moins jeunes, d’ailleurs, que la science, c’est assez fantastique, que ça peut être ludique et que ça nous concerne de très près, puisque plusieurs objets, notamment les GSM que nous utilisons, fonctionnent grâce aux théories physiques. C’est important, justement, de ramener d’une certaine façon la science à un côté pratique dans nos vies ?

Ne serait-ce que pour la médecine, par exemple, sans les connaissances scientifiques de physique théorique, de physique quantique du xxe siècle, on n’aurait pas la moitié de nos médicaments. Vous parlez du GSM, du GPS, mais tous nos ordinateurs, toutes nos technologies actuelles dépendent aussi de la physique quantique. Et puis il y a tellement de beauté, de rêves, d’imaginaire et d’ouverture d’esprit à obtenir par la curiosité des choses que la science peut nous apporter que j’estime qu’il s’agit vraiment d’un cadeau que l’ensemble des gens ne devrait pas refuser.

Précisément, toutes les statistiques sur le sujet démontrent qu’il y a plus de garçons que de filles qui s’inscrivent dans les filières scientifiques pour les études supérieures, quel regard, voire quelle explication, donnez-vous à cela ?

Je dirais que l’humanité perd 50 % de l’intelligence de la planète. Il y a quelque chose à faire, c’est insensé. C’est probablement culturel partout. Il faut changer les cultures. Et puis, cela ne fait pas tellement longtemps que les femmes sont acceptées dans les universités. C’est absurdement récent. Il faut peut-être un petit peu plus de temps encore pour leur donner confiance et pour qu’une certaine forme de machisme inhérent à tous les métiers se dissipe. Vu que ça faisait des centaines et des centaines d’années que les femmes ne pouvaient pas faire d’études scientifiques, il n’y a pas tant de figures extraordinaires de femmes mises en avant, il y en a plus sur le dernier siècle. Et petit à petit, ça donnera envie aux petites filles aussi de s’identifier à cette filière.

On en parlait peut-être moins également. On les mettait moins en valeur.

Oui, c’est sûr. Il y a tellement de femmes qui auraient dû avoir des prix Nobel et qui ne les ont pas eus parce qu’elles étaient des femmes. C’est complètement ridicule. Même encore maintenant.

Pensez-vous que science et croyance sont compatibles ?

Oui. Il ne faut pas forcément opposer les deux ou tenter de les imbriquer. Tant que la croyance reste à sa place et qu’elle n’essaie pas d’expliquer la science, elles ne sont pas incompatibles. D’autant plus que l’intuition, d’où qu’elle vienne, et notamment d’une dimension spirituelle, est intéressante pour susciter l’intelligence. Le chanoine belge Georges Lemaître en est un exemple particulier, ses textes sont magnifiques et d’une sorte d’intemporalité qui est éternelle. La frontière, c’est la rationalité. Dans un cas, on pose des questions.

Dans l’autre, on apporte une réponse. L’important, c’est de continuer à poser des questions et de ne pas considérer qu’une réponse a été donnée et qu’il est interdit d’aller voir plus loin. C’est ça la grosse différence, je pense. Mais tant que le mystère se déplace avec la connaissance, ça me va tout à fait. Ça me plaît, même. En général, quand les clashs ont lieu, c’est que personne n’a voulu écouter l’autre. Et je ne parle pas d’extrémisme, évidemment, où là ça n’a plus aucun intérêt scientifique ou religieux, d’ailleurs.

Les images époustouflantes de l’univers immense et époustouflant de beauté nous renvoie au chaos que l’homme entraîne sur notre petite planète Terre.

© NASA

Pour le commun des mortels, c’est vraiment difficile d’imaginer l’univers. Comment cela se passe-t-il dans la tête d’un scientifique ?

Il se trouve que nous avons un langage, les mathématiques, qui permet de travailler sur des choses extraordinairement abstraites sans nécessairement avoir besoin d’une visualisation précise. Il y en a une qui s’opère, mais elle est propre à chacun. C’est la puissance des mathématiques qui permet ça.

Le changement climatique, forcément, c’est le gros enjeu aujourd’hui sur Terre. Qu’est-ce que vous préconisez par rapport à ça ?

Si ça se trouve, arrêter d’avoir du pétrole et du gaz, ça peut être une bonne chose. Allez savoir si ce ne serait pas ce qui va nous sauver…

Pour terminer, faites-nous un peu rêver : qu’est-ce qui vous attire le plus dans l’univers, quelle partie, quelle étoile ou quel phénomène préférez-vous ?

Les trous noirs, car c’est une clé sur l’inconnu. On sait qu’à l’intérieur, la théorie d’Einstein ne fonctionne plus. Donc le jour où on les comprendra, on saisira probablement le big-bang aussi. Et ça, c’est assez excitant.

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