Ces voyageurs
laissés sur le bord
de la route

Alain Reyniers nous emmène sur les routes à la rencontre des gens du voyage. Ces communautés sur lesquelles l’étendue de nos préjugés n’est que le témoin d’une grande méconnaissance. Loin des clichés et fantasmes, l’auteur, anthropologue et professeur extraordinaire émérite à l’Université catholique de Louvain, dresse un portrait digne d’une mosaïque complexe. On y découvre une multitude de groupes plus ou moins similaires, entretenant des liens plus ou moins étroits. Tantôt nomades, tantôt sédentaires, animés par des aspirations et préoccupations diverses, ces peuples partagent une caractéristique commune : des histoires marquées essentiellement par des siècles de rejet et d’exclusion. Constamment confondues et essentialisées, ces communautés possèdent des spécificités propres. Fréquemment caricaturées en raison d’un mode de vie jugé anormal, voire dangereux, elles sont les héritières de bagages culturels étoffés, enrichis au travers de nombreux voyages et préservés jusqu’aujourd’hui par une résilience sans failles face à l’adversité.

L’auteur nous livre dans son œuvre un véritable travail anthropologique. Méthodique, nuancé et sourcé, ce manuel déborde d’informations factuelles. S’inscrivant dans une dimension historique, il dresse l’état des lieux de la situation des conditions d’existence des gens du voyage dans nos contrées. Un portrait fort peu reluisant. Entravés dans leurs déplacements par une réglementation toujours plus contraignante et dans leurs activités par la nécessité d’obtenir des autorisations ou des certificats d’enseignement secondaire supérieur, ils subissent un processus de précarisation. Victimes d’une hostilité exacerbée par l’ultranationalisme en Europe de l’Est et confronté à un monstre administratif à l’Ouest, certains d’entre eux se résignent à renoncer à leur mode de vie.

Le texte est interpellant, car il nous met face aux conséquences, difficilement perceptibles, que provoque l’agrégation des préjugés individuellement émis et sur lesquels nous n’avons pas toujours de recul. L’anthropologue y explique que le principal obstacle à l’aménagement d’espaces d’installation ou d’escale pour ces communautés est la réticence des bourgmestres, effrayés de s’attirer les foudres d’une opinion publique opposée. Ainsi, ce livre nous refait prendre conscience de l’impact sur les décisions politiques de nos représentations, et nous pousse à les interroger.