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Ce Ajar qui fait
si bien les choses

Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 30 janvier 2023

C’est au détour d’une émission radio écoutée dans la voiture un soir d’automne que nous avons été littéralement subjuguées par l’érudition et la facétie de Delphine Horvilleur. Nous aurions aimé que notre route avec elle soit plus longue. « Et Dieu dans tout ça ? » dure un peu moins de 45 minutes ; nous aurions pu l’écouter bien plus longtemps. Romain Gary/Émile Ajar étant dans la liste des écrivains chers à notre cœur, nous étions pressées de tenir entre nos mains le dernier livre écrit par la rabbine de Judaïsme en mouvement.

Partant de la plus grande supercherie littéraire du XXe siècle, qui fit perdre ses mots à Bernard Pivot à l’annonce sur les ondes de la double mort par suicide de l’auteur et de son alter ego le 2 décembre 1980, Delphine Horvilleur rend un très bel hommage à son dibbouk. Vous savez, ce « revenant qui vous colle à la peau ou à l’esprit, [cet] être dont l’âme s’est attachée à la vôtre pour une raison mystérieuse et qui ne vous lâche plus », selon la tradition juive. Dans un prologue personnel, elle énumère avec tendresse tout ce qui la lie au défunt romancier. Et de là surgit le fil rouge de son seul-en-scène : la question de l’identité contre laquelle elle se positionne. « Et dans cette tenaille identitaire politico-religieuse, je pense encore et toujours à Romain Gary, et à tout ce que son œuvre a tenté de torpiller, en choisissant constamment de dire qu’il est permis et salutaire de ne pas se laisser définir par son nom et sa naissance. Permis et salutaire de se glisser dans la peau d’un autre qui n’a rien à voir avec nous. »

Delphine Horvilleur joue donc les caméléons et parle au nom d’Abraham, fils ô combien spirituel d’Émile Ajar. Elle se lance dans un monologue écorchant toutes les obsessions identitaires – en ce compris l’identité religieuse – arrachant avec douceur et fermeté les étiquettes collées à tort et ouvrant les tiroirs qui enferment. Truffant sa prose de références littéraires, théologiques, historiques et d’exemples actuels, l’auteure joue la carte de la fiction éclairant le réel de ses lumières. S’il n’y a pas de Ajar, il n’y a que des rendez-vous, comme disait Paul Éluard. Et celui auquel Delphine Horvilleur la libre penseuse nous convie est de ceux qui ne se manquent pas.

Delphine Horvilleur, Il n’y a pas de Ajar. Monologue contre l’identité, Paris, Grasset, 2022, 96 pages.

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