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Artistes plasticiens :
vogue la galère

Golringue Huchet · Journaliste

Mise en ligne le 8 septembre 2023

La Fédération des arts plastiques fête ses trois années d’existence. Une victoire en Fédération Wallonie-Bruxelles, car le secteur sort d’une longue invisibilisation et compte parmi les plus précarisés. Nous sommes allés prendre le pouls d’une catégorie d’artistes vaillants et combatifs, l’occasion de mettre le doigt sur de nombreux dysfonctionnements.

Photo © Ron Ellis/Shutterstock

Le soir du 13 mars 2020, en raison de la pandémie de Covid-19, le secteur de la culture ferme ses portes à Bruxelles, qualifié de « non essentiel ». L’absence de soutien financier et politique pour la culture déclenche un soulèvement citoyen dans plusieurs milieux du secteur. Nombreux sont fédérés et bénéficient d’une certaine protection, mais il reste une population qui n’a aucun toit au-dessus de la tête : les artistes plasticiens. Un pan de la culture resté longtemps ignoré et encore plus précarisé. C’est ainsi que le 15 mai, ils se rassemblent au sein d’un groupe d’intérêt collectif sur Facebook.

L’union fait la force

Une dizaine d’administrateurs, dont Maëlle Delaplanche, curatrice basée à Bruxelles, rédige un sondage pour cibler les principales difficultés du milieu, causées par la fermeture des lieux culturels. Les réponses de 298 participants sont publiées : « Il y a en commun le fait de ne pas pouvoir accéder au statut d’artiste. Ne pas avoir ce statut, c’est ne pas toucher d’allocations de chômage lors des jours non prestés. Or, plus personne ne peut déclarer de prestation, puisque le secteur est mis en veille. Et de ce fait, les plasticiens sont encore plus précarisés. » Un communiqué de presse et le sondage, accompagnés de propositions, sont envoyés à la presse et à la ministre de la Culture, Bénédicte Linard. En juillet 2020, la Fédération des artistes plasticiens (FAP) voit le jour et c’est une première.

Deux porte-paroles de ce groupe sont alors nommés par le conseil d’administration pour représenter le secteur au sein des instances politiques permettant de formuler leurs revendications (statut plus accessible, rémunération des plasticiens par les institutions en Fédération Wallonie-Bruxelles, refinancement du secteur). Les rencontres avec les politiques autour des conséquences de la crise sanitaire s’intensifient et s’accélèrent. En septembre 2020, la FAP s’organise autour de groupes de travail sur la rémunération des artistes, la réforme du statut d’artiste et la construction de la réalité du secteur. « Parce que l’on se rend compte aussi que nous n’avons pas de barème de rémunération. En France, en Flandre, en Suisse, les artistes plasticiens fonctionnent avec une grille de rémunération claire. Mais chez nous, c’est un vrai schmilblick et on se rend compte qu’il y a des systèmes abusifs qui se mettent en place au sein de certaines institutions et de centres culturels », constate Maëlle Delaplanche.

« La visibilité n’est pas un salaire »

Lors des réunions de groupe, la FAP se penche sur une question cruciale : pourquoi les plasticiens éprouvent-ils des difficultés à obtenir le statut d’artiste contrairement aux autres secteurs culturels ? Si les langues se sont progressivement déliées ces derniers mois sur la précarité des plasticiens, un secret de polichinelle plus important encore est en passe d’être levé : certaines institutions basées à Bruxelles et en Wallonie ne rémunèrent pas les artistes qui exposent leur travail. « En vrai, même entre nous, on n’en parlait pas », confie l’artiste Clara Thomine. C’est justement à cette dernière que la FAP commande une vidéo grinçante pour mettre en lumière ce sujet tabou. Diffusée massivement en janvier 2021 sur les réseaux sociaux, présentée sous forme d’un faux journal télévisé, on y annonce avec enthousiasme que le gouvernement a enfin trouvé une solution à la rémunération des artistes plasticiens : une nouvelle monnaie nommée « visibilité » sous la forme d’un billet de Monopoly. L’un des protagonistes s’interroge : « Je vais voir si je peux m’acheter du pain avec de la visibilité. » La vidéo se termine avec un message fort : « La visibilité n’est pas un salaire. »

Visible pour la première fois à la MAAC de décembre 2020 à janvier 2021, l’exposition-performance de Clara Thomine « Tout doit disparaître » souligne ironiquement le lien entre société de consommation et désastre écologique. Elle est le fruit d’un long travail qui mérite salaire, et pas seulement visibilité.

© Ithier Held

Pour Clara Thomine, le vrai problème, c’est effectivement l’absence de rémunération : « Donc nous, les plasticiens, on ne peut pas vivre de notre pratique artistique. » Julie Dubois1, plasticienne âgée de 29 ans, raconte elle aussi comment certaines institutions jouent la carte de la visibilité pour ne pas payer le travail de l’artiste : « Elles te disent qu’elles n’ont pas de budget pour te payer mais se veulent rassurantes en t’affirmant que ça va te donner de la visibilité. Et toi, tu acceptes parce que tu veux montrer ton travail. Elles te donnent un budget de production avec lequel tu sais que tu vas devoir payer de ta poche pour créer une œuvre décente et achevée… » Pour Clara Thomine, « il y a un souci au niveau du salaire. Du mot ʺsalaireʺ. Il ne vient jamais dans la conversation. L’institution te parle de ʺbudget de productionʺ, et te propose un montant ridicule dans lequel va passer ton matériel, la location de ton atelier, le transport, l’assurance des œuvres, etc. Tu sais très bien que non seulement tu ne vas pas pouvoir te rémunérer avec ça mais que tu vas sûrement devoir mettre la main à la poche pour présenter une création dont tu sois un minimum fier. »

Selon la membre fondatrice et administratrice de la FAP, si les institutions n’ont pas les budgets nécessaires par rapport à d’autres pôles culturels, elles ont quand même assez pour payer l’artiste : « Un jour j’ai appris qu’un artiste avait été payé 350 euros alors que l’institution avait un budget de 300 000 sur une convention à l’année ». Aurélien Vanhulle2, plasticien âgé de 34 ans, connaît bien ce mode opératoire : « Eh oui, tu travailles pendant des mois comme un malade et à la fin, tu reçois 350 balles que tu fais passer comme un gueux en RPI (régime des petites indemnités). » Selon Maëlle Delaplanche, « les institutions profitent de ce système abusif, ce qui explique aussi qu’en n’ayant pas de contrat et en passant par un RPI, tu ne payes pas d’impôt, tu ne cotises pas, tu ne peux pas prester de jours travaillés et tu n’obtiens donc pas le statut d’artiste ». Elle précise que, malgré tout, « quelques institutions font des efforts pour régulariser la situation avec leur budget conventionnel. La FAP continue en parallèle de travailler avec le politique à la mise en place d’une grille et d’un barème. »

Une méconnaissance de la pratique des plasticiens

Plus qu’un manque de volonté politique, la membre fondatrice et administratrice de la FAP constate que les politiciens méconnaissent le secteur. « On a quand même dû leur expliquer que, non seulement tous les artistes n’avaient pas de galeristes, mais aussi que ces derniers leur prenaient 50 % de la vente », révèle-t-elle. Pour Clara Thomine, il y a « un mythe de l’artiste qui gagne très bien sa vie ! » Et l’aide politique dans tout ça ? « On est clairement lésé par rapport aux autres secteurs, puisque pour nous l’aide publique, c’est 7 % seulement ! Avec cette portion dérisoire, on est incontestablement le ʺparent pauvreʺ de la culture. »

Ceci n’est pas de la vaisselle, c’est de l’art ! Dans cette installation baptisée « Clinamen », les bols en céramique de Céleste Boursier-Mougenot s’entrechoquent dans un doux fracas hypnotique.

© Charles Villyard

Et puis, il a bien sûr le problème de l’ONEM qui ne considère pas certaines pratiques comme artistiques. « Il y a le cas de cette artiste qui avait fait une exposition dans un musée, c’était une installation de céramique. Pour l’ONEM, c’était… de la vaisselle et non de l’art. Peut-être faudrait-il donner des cours d’histoire de l’art à l’ONEM ? » s’interroge Maëlle Delaplanche en souriant. « On passe pour des amateurs, pour qui ce serait un passe-temps. Donc, il y a, à la fois, un problème au niveau des institutions et du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui ne donne pas assez de poids aux arts plastiques. Par conséquent, ils ne peuvent pas bénéficier des dispositifs du service public. »

En janvier 2024, le statut d’artiste sera à nouveau réformé. Son accès sera plus aisé, dit-on. Mais il sera plus difficile à renouveler, avec un contrôle plus strict. Si la FAP ne renie pas les petites avancées, elle veille sur ses artistes, ne voulant pas crier victoire avec cette réforme que certains redoutent déjà.

  1. Pseudonyme pour préserver l’anonymat de l’artiste.
  2. Ibid.

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