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La traversée du village comme un combat

Didier Béclard · Journaliste

Mise en ligne le 16 mai 2023

Maria refuse de subir les violences patriarcales. Pour cela, elle traverse un petit village des Pouilles dont les habitants portent des décennies de traditions sur les épaules. Elle brave le mythe de la virilité et provoque une prise de conscience collective, salvatrice. À découvrir dans La Sœur de Jésus-Christ d’Oscar de Summa, au Théâtre de Poche, dans la mise en scène de Georges Lini.

 

Une robe rouge pend à un cintre en fond de scène. Une musicienne s’installe avec son violoncelle. Un homme arrive et prend la robe. Sur l’écran défile un texte : « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait », extrait de L’Art de la guerre de Sun Tzu. Et c’est bien de guerre dont il s’agit comme le rappelleront d’autres extraits au cours du spectacle.

L’homme revient sur scène vêtu de la robe rouge et raconte : « Maria, la sœur de Jésus-Christ empoigne un Smith&Wesson 9 mm offert par un oncle d’Amérique. Le pistolet est rangé et chargé dans le tiroir du buffet de la cuisine ». Avant d’ajouter : « Et maintenant, de nous deux, voyons qui n’a pas le choix ». Commence alors à partir de cette situation initiale, comme un long plan-séquence qui va suivre la trajectoire de la jeune fille décidée.

En marche vers son destin

La Sœur de Jésus-Christ d’Oscar de Summa

> 3.06.23 au Théâtre de Poche (Ixelles)

Maria marche en direction du village, d’un pas sûr, déterminé. Nous la suivons dans son périple vers une destination qui nous est encore inconnue. Ses pas lui font croiser des gens du village. Comme sa grand-mère à laquelle le narrateur Félix Vannoorenberghe prête sa voix affublé d’un tablier descendu du ciel. Son frère Simeone est surnommé Jésus-Christ. Il ressemble au Christ dont il joue le rôle lors de la Passion vivante du Vendredi saint.

Près du stade, on croise les joueurs de football, mais aussi Ulderico, le fiancé officiel de Maria, les employés de la casse-auto, des motards, le garagiste. Elle avance toujours inflexible, inexorable et, petit à petit, les gens du village lui emboîtent le pas en un cortège bigarré. Personne n’ose arrêter cette fille en colère qui marche vers son destin. Elle se rend chez Angelo le Couillon – dans ce petit village des Pouilles, les surnoms ne doivent rien au hasard – qui lui a fait violence la veille.

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Maria, la sœur de Jésus Christ empoigne un Smith&Wesson 9 mm et marche en direction du village, d’un pas sûr, déterminé.

© Lara Herbinia

Contexte toxique

Le président du club des chasseurs prévient, arme à la main, « le premier qui tente de l’arrêter, je vous jure, je le tue, de mes propres mains ». D’autres prennent encore sa défense. D’autres encore l’accablent, arguant qu’elle un caractère de merde ou qu’elle était dans la provocation. Mais le village prend doucement conscience qu’il n’est pas normal qu’une jeune fille, au seuil de la majorité, doive faire semblant d’être sourde pour ne pas entendre les sifflets, les commentaires, « des choses apparemment inoffensives ». Qu’il n’est pas normal que les filles doivent être accompagnées partout où elles vont, comme des infirmes.

« Je raconte son périple, explique le comédien Félix Vannoorenberghe, son trajet silencieux et constant, sans halte, avec des obstacles qu’elle franchit. Il n’y a pas de dialogue entre elle et les gens, les gens peuvent s’adresser à elle et c’est souvent une absence de réponse qui leur fait comprendre qu’elle ne changera pas d’avis ou ce qu’elle a vécu ou voilà pourquoi tout cela doit s’arrêter. C’est le choix qu’elle fait, sa détermination, sa façon de répondre à ce qui lui est arrivé. »

Dans ce petit village du sud de l’Italie, il y a, en effet, un poids religieux, des codes d’honneur, une chape patriarcale très forte.

© Lara Herbinia

Enjeu de pouvoir

La traversée du village apparaît comme un voyage initiatique vers l’âge adulte. Elle avance sans faiblir, toujours avec la même détermination, elle surmonte les regards et oblige tous ceux qu’elle croise à prendre position sur ce qui lui est arrivé. Et par là, sur le contexte qui a rendu une telle chose possible. Face à la culture du mâle dominant, Maria choisit de rendre son histoire publique, elle se livre en pâture à la foule pour retrouver sa dignité et se réapproprier son corps qui est, encore et toujours, enjeu de pouvoir.

Rien ni personne ne semble pouvoir l’arrêter, lui faire lâcher son arme, pas même les forces de l’ordre. Et devant tout le village représenté par des dizaines de costumes suspendus à des cintres pendant du plafond, arrive le moment le plus difficile pour Maria : la rencontre avec son père, sa mère, sa famille, qui n’arrivent pas à la dissuader. Elle finit par entrer dans le magasin de meubles d’Angelo le Couillon. Face à lui, qui lui explique son geste, sans même vraiment sans excuser, elle continue à se taire.

Possible partout

Cette pièce constitue le dernier volet d’une trilogie intitulée « journal de province ». L’écriture de Oscar de Summa est marquée par une grande vitalité qui émane de la rythmique et des sons et même si le sujet (la violence sexuelle) est grave, il y insuffle beaucoup d’ironie et d’humour. La mise en scène de Georges Lini met en valeur le texte remarquablement servi par Félix Vannoorenberghe. Florence Sauveur et ses instruments (violoncelle, accordéon, clavier) l’accompagnent sur scène dans une musique composée en ayant le texte sous la main.

Dans la pièce, le narrateur affirme : « cette histoire peut devenir l’Histoire, notre histoire, l’histoire de l’humanité même ». Dans ce petit village du sud de l’Italie, il y a, en effet, un poids religieux, des codes d’honneur, une chape patriarcale très forte. « Dans ce petit village rural que l’on pourrait croire très conservateur, et qui l’est certainement, ajoute le comédien, les gens commencent à changer d’avis à la vue de cette traversée-là. Ils s’interrogent sur comment il a été possible de vivre selon ces codes pendant si longtemps. C’est le trajet de cette jeune fille qui provoque cela, mais ce qui est peut-être le plus intéressant, c’est de se dire que si c’est possible dans un petit village reculé, s’il est possible que ces gens aient changé d’avis, se soient mis à vivre autrement, c’est possible partout. »

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