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Rêver, encore… toujours

Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM

Mise en ligne le 3 octobre 2022

Quand nous sommes arrivés dans ce camp, nous étions tous des humains, mais seuls quelques-uns d’entre nous en seront encore quand nous partirons.

Après des études à Londres, Sulaiman Addonia s’est installé à Bruxelles il y a une quinzaine d’années. Il y a créé l’Asmara-Addis Literary Festival, dont la dernière édition a été consacrée à l’exil. Le second roman de cet auteur anglophone suit les destins fracassés de réfugiés dans un camp au Soudan. Parmi eux, il y a Jamal et son Cinéma Silenzioso dont la narration ouvre le livre. Il y a surtout Saba et son frère Hagos, arrivés une nuit au camp avec leur mère. Étudiante douée, indocile, Saba rêve d’instruction, espérant l’ouverture d’une école dans le camp, sans cesse différée. Hagos, lui, ne parle pas, par choix ou non, nul ne le sait. Seule Saba peut entrer en dialogue avec lui au travers du lien extrêmement fort, fusionnel même, qui les unit.

D’une écriture ciselée et puissante – qui sent le vécu puisque Sulaimann Addonia, né en Érythrée, a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan –, l’auteur donne à voir la promiscuité et les privations vécues par les migrants dans cet enfermement. Il évoque le contrôle social exacerbé et le poids de la tradition, « troisième religion du camp ». Il nous dit la manière dont les camps de réfugiés affectent les individus au travers de récits intimes. La contrainte exercée sur les corps des enfants et des femmes, les violences qui leur sont faites sont abondamment abordées. De courts chapitres intitulés « le sang », « le rasoir » se révèlent à cet égard glaçants. Mais l’auteur décrit également la puissance de l’instinct de survie, l’importance de s’accrocher à ses rêves et la capacité de reconstruction des êtres même dans ces endroits oubliés. Bousculant les codes et les genres, des amours naissent, ainsi que de nouveaux espoirs.

On ne peut qu’attendre avec intérêt de voir comment ce roman, finaliste de plusieurs prix littéraires, sera prochainement porté sur grand écran.

Sulaiman Addonia, Le silence est ma langue natale, traduit de l’anglais par Laurent Bury, Partis, La Croisée, 2022, 272 pages.

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