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Pour des villes en santé

Par Evelyne de Leeuw · Professeure de santé publique à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada « Une seule santé urbaine »

Mise en ligne le 10 octobre 2024

Le changement climatique représente le défi majeur que le monde devra affronter dans les prochaines années. Ses conséquences sont considérables tant pour la santé humaine que pour celle des écosystèmes, ainsi qu’en termes socio-économiques. Pourtant, le fait que les personnes vivant dans la précarité en subissent les effets de plein fouet n’est pas une fatalité : la résilience est aux portes et à la portée des villes.

Photo © Fahroni/Shutterstock

Dans les zones urbaines, où vit la majorité de la population mondiale, les effets du changement climatique sont particulièrement visibles en raison de la forte densité de population, des infrastructures fragilisées et du risque accru de phénomènes climatiques violents. Ces enjeux exigent le développement de stratégies innovantes pour soutenir et renforcer la résilience et l’adaptabilité des villes face aux perturbations écologiques.

À l’origine, le modèle « One Health» (« Une seule santé » ou « santé circulaire »1, NDLR) est pensé pour lutter contre les maladies infectieuses émergentes, à l’interface entre les santés humaine, animale et les écosystèmes. Il est maintenant reconnu comme un cadre de référence pour répondre aux problématiques complexes en matière de santé. En admettant les liens étroits entre la santé humaine, animale, les écosystèmes et l’environnement, « Une seule santé » souligne l’importance d’une collaboration interdisciplinaire et d’une réflexion systémique sur les questions de santé. Cette approche est soutenue par l’alliance quadripartite formée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le programme pour l’environnement de l’ONU (UNEP), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA).

Un cadre de référence sanitaire

Ces dernières années, un intérêt grandissant pour l’approche « Une seule santé » a permis d’affronter de façon plus globale des enjeux de santé publique et environnementaux, y compris ceux liés à la dégradation de nos écosystèmes, à la pollution environnementale et aux changements climatiques. « Une seule santé », initialement axée sur les forêts tropicales, les laboratoires et autres installations de la bio-industrie intensive, s’est étendue aux zones urbaines, tout particulièrement lors de la crise de la Covid-19. Les villes sont devenues le point focal de crises multifactorielles, intrinsèquement liées aux pandémies, aux changements climatiques et aux déséquilibres écologiques ou sociaux2.

Face à de pareilles mutations, profondes et soudaines, le mouvement mondial reconnu des Villes-Santé apporte des méthodes scientifiques valides qui, associées à la perspective « Une seule santé », permettent d’envisager un nouveau cadre d’analyse, essentiel dans un tel contexte. Cependant, ce changement de paradigme pose des défis au sein des administrations municipales et collectivités urbaines, en raison des adaptations qu’il implique en matière de gouvernance, à la fois institutionnelle et organisationnelle. Souvent, les mandats de santé publique ne sont pas confiés aux collectivités locales ni à leurs résidents et ne s’appuient pas sur les mécanismes décisionnels locaux.

Des villes fragiles face aux changements climatiques

Les changements climatiques exacerbent les vulnérabilités existantes en milieu urbain, tout en engendrant de nouveaux défis. Les vagues de chaleur, les inondations, l’augmentation du niveau de la mer et la pollution de l’air figurent parmi les enjeux prioritaires auxquels doivent faire face les villes du monde entier. Leurs répercussions menacent non seulement la santé et la sécurité des populations humaines, mais aussi les infrastructures, tout en perturbant les écosystèmes et en accentuant les inégalités sociales. Certains groupes démographiques, comme les personnes âgées, les enfants, les personnes à faible revenu ou marginalisées, subissent de façon disproportionnée les effets du changement climatique. Par ailleurs, des facteurs comme l’insalubrité du logement, l’accès limité aux soins de santé ou l’isolement social renforcent cette vulnérabilité. Le contexte géographique joue également un rôle, les zones côtières, de basse altitude et les habitations précaires étant particulièrement exposées aux inondations et autres catastrophes climatiques. La notion de « réfugiés climatiques » prend tout son sens et gagne en importance dans le débat public, compte tenu de l’impact de leurs déplacements sur l’environnement urbain.

Vers des stratégies de résilience efficaces

De nombreuses villes ont élaboré des stratégies pour renforcer leurs capacités à atténuer les effets du changement climatique, notamment à travers l’amélioration des infrastructures, le développement de plans de préparation aux catastrophes naturelles potentielles et la consolidation du réseau communautaire, grâce à l’engagement citoyen. Cependant, ces efforts se concentrent souvent sur des risques et domaines individuels. Les interconnexions entre notre planète, ses habitants et leurs écosystèmes sont fréquemment négligées, ignorant ainsi la nature mutuelle et fluctuante des vulnérabilités urbaines. La concurrence pour des ressources limitées restreint l’efficacité d’initiatives visant à renforcer la résilience.

Il est crucial de reconnaître les interdépendances planétaires au niveau urbain et local. Les interactions entre humains, animaux et nature sont de plus en plus fréquentes au sein même des villes. Adopter une perspective non anthropocentrique et considérer les liens entre santé humaine, santé animale et santé environnementale en milieu urbain ouvre de nouvelles perspectives, malgré les défis à relever en matière de santé.

Parmi les stratégies de résilience, la promotion d’infrastructures vertes commence à se répandre dans le monde : en installant des structures basées sur la nature, comme des toits verts, des parcs urbains, des revêtements perméables, les effets du changement climatique peuvent être atténués dans les milieux urbains tout en améliorant le bien-être et la santé des humains et des autres êtres vivants présents. Des exemples notables incluent les corridors écologiques à Montréal, ou encore l’utilisation de toits végétalisés en Europe et au Québec pour lutter contre les vagues de chaleur.

L’urbanisation et la dégradation de l’environnement augmentent le risque de transmission de maladies des animaux aux humains. Le besoin d’une surveillance constante et de dépistage et diagnostic précoce, dans un effort collaboratif entre les agences vétérinaires et de santé publique, est essentiel pour prévenir de nouvelles épidémies. Le projet « Parcs en santé » à Montréal illustre ces possibilités et l’ambition de répondre au risque de zoonoses.

Avec des structures fondées sur la nature dans les villes et autour de celles-ci, les effets du changement climatique peuvent être atténués, impactant positivement la santé des humains et des autres êtres vivants.

© Miha Creative/Shutterstock

 

Défis et opportunités

Malgré les bénéfices potentiels évidents de l’approche « Une seule santé » en milieu urbain, son implémentation rencontre de nombreuses difficultés telles que la fragmentation des instances de gouvernance, le cloisonnement disciplinaire et le financement limité de la recherche interdisciplinaire. L’importance de considérer les écosystèmes et les perspectives planétaires et globales au niveau local est de plus en plus soutenue par des données probantes, quantitatives et qualitatives. Cependant, transposer de tels concepts dans les politiques et pratiques reste délicat, nécessitant un changement de vision politique et des mécanismes de gouvernance3.

Les approches globales et intégrées sont reconnues comme nécessaires et adaptées en matière d’urbanisme et de gouvernance pour tenir compte des dimensions sanitaires, environnementales et sociales. Les principes d’« Une seule santé », adoptés dans les politiques urbaines, permettent aux villes de promouvoir un développement durable et résilient, en abordant les problèmes de santé complexes. Le plan d’action quadripartite précédemment mentionné vise cet objectif, mais sa mise en œuvre efficace requiert la création et le développement de nouveaux réseaux et partenariats, tout en renforçant les existants.

Au niveau mondial, des institutions telles que ONU-Habitat, Greenpeace et WWF sont mobilisées. Tandis qu’au niveau local, les municipalités et autres groupes communautaires ou d’agriculteurs urbains sont à la pointe en matière de résilience, à travers des initiatives innovantes cherchant à atténuer les répercussions du changement climatique et à réduire les émissions de carbone. Impliquer les communautés et les acteurs locaux dans le processus décisionnel favorise une appropriation de l’approche « Une seule santé » et renforce le pouvoir d’agir local de manière efficace et durable. Les méthodes participatives, telles que la science citoyenne ou les systèmes de surveillance communautaires, génèrent des informations précieuses sur les questions de santé et environnementales à l’échelle locale. Les savoirs et pratiques autochtones doivent également être étudiés et valorisés dans ces efforts communs, car ils représentent une source riche de connaissances.

Un espace fertile

L’augmentation du nombre et de la gravité des catastrophes liées au changement climatique représente l’une des principales menaces auxquelles les milieux urbains seront confrontés. Le cadre conceptuel « Une seule santé » offre un espace fertile qui encourage la collaboration interdisciplinaire, et une approche intégrée de la gestion de la santé et de l’environnement. En prenant en compte l’interconnexion entre la santé humaine, animale et les écosystèmes, « Une seule santé » contribue à renforcer la résilience en zone urbaine et à atténuer les effets du changement climatique sur les populations les plus vulnérables. Pour atteindre le plein potentiel d’une telle approche, des efforts de travail interdisciplinaire, visant à favoriser les partenariats intersectoriels, sont essentiels. Les futures recherches et mesures politiques devraient prioriser l’intégration des principes d’« Une seule santé » dans leur planification stratégique urbaine et dans les processus de gouvernance, afin de promouvoir des villes durables et résilientes face au changement climatique.

  1. Cf. « Santé circulaire, une approche décloisonnée », dossier paru dans Espace de Libertés, no 496, février 2021.
  2. Evelyne de Leeuw, Ilona Kickbusch et Simon R. Rüegg, « A health promotion perspective on One Health », dans Canadian Journal of Public Health, no 115(2), 2024, pp. 271-275.
  3. Evelyne de Leeuw, « Intersectorality and health: a glossary », dans Journal of Epidemiology and Community Health, 2022, no 76, pp. 206-208.

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